La relation franco-allemande est sur les rails. Depuis quelques jours, un nouveau train de nuit relie les deux capitales. Un événement célébré comme si un nouveau Concorde avait été lancé avec un écho médiatique impressionnant qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux.
Merci de reprendre un petit rail de Lettre d’Allemagne ! Cette édition sera la dernière cette année. Je vous souhaite de bonnes fêtes, une bonne glissade vers 2024 comme on dit ici et me réjouis de vous retrouver l’an prochain !
-Accord à Berlin sur le budget 2024 : la coalition n’implose pas. Raccomodage ou nouveau départ ?
-tribulation des partis : nouveau programme de la CDU, congrès du SPD, referendum au FDP
-antisémitisme : sondages contradictoires
-un zeste de culture avec Sandra Hüller superstar
Autrefois ringards, les trains de nuit font un come back. La nouvelle liaison entre Berlin et Paris a été inaugurée en grande pompe lundi dernier à la gare centrale de Berlin. Des ministres, des patrons de quatre compagnies de chemins de fer européennes et d’autres responsables se pressaient sur le quai pour célébrer l’événement. Le ministre des Transports allemand Volker Wissing a résumé : “Manger une dernière saucisse au curry avant de prendre le train à Berlin, se réveiller à Paris avec des croissants”.
"Prochain arrêt Paris" titrait dimanche dernier le quotidien "Tagesspiegel"
Neuf ans après l’interruption de la ligne, les wagons-lits “Nightjet” aux couleurs bleues circulent désormais trois fois par semaine dans chaque direction. Le service doit devenir quotidien à compter d’octobre 2024. C’est à la compagnie autrichienne ÖBB qu’on doit ce renouveau. Elle a repris cette offre à Deutsche Bahn et lancé une offensive de nuit sur les rails, avec ses homologues allemand, français et belge (le train au départ de Berlin se sépare à Francfort pour continuer sur Bruxelles).
A bord, on trouve des voitures avec des places assises, des couchettes ou des lits. Les premières sont disponibles à partir de 30 Euros, les secondes à partir de 60 Euros. Les dernières sont évidemment plus chères et coûtent au moins 95 Euros.
Accolade franco-allemande avant le départ du train lundi soir à Berlin entre les ministres des Transports Clément Beaune et Volker Wissing
Ceux qui attendaient le retour de cette nouvelle liaison sont à la fête. La transition climatique plaide évidemment pour ce mode de transport. Cela explique aussi que la France mette la main au portefeuille pour soutenir des trains de nuit dont la rentabilité reste fragile, même si la demande augmente. Le nombre de places disponibles est par définition moindre. Les coûts pourraient être réduits si la TVA était supprimée et si les frais pour l’utilisation du réseau étaient inférieurs. Aujourd’hui, la concurrence avec des billets d’avion bon marché reste forte. Et la durée de la liaison Berlin-Paris -14 heures- avec une arrivée en milieu de matinée est dissuasive pour une clientèle d’affaires.
Petit clin d’oeil musical pour finir : les trains de nuit vers Paris ont inspiré différents chanteurs allemands comme Udo Jürgens sur un mari un peu blasé qui répond à une petite annonce pour retrouver à Paris une femme inconnue https://www.youtube.com/watch?v=ePsC_hNOi14
Sans oublier la merveilleuse chanson de Georgette Dee : https://www.youtube.com/watch?v=XHWkzTyTO9k
La décision de la cour constitutionnelle d’annuler plusieurs dizaines de milliards de crédits pour les années à venir après des acrobaties budgétaires téméraires du gouvernement a provoqué un séisme politique. La coalition a sauvé la mise pour l’année en cours en suspendant à nouveau pour la quatrième fois la règle d’or qui n’autorise qu’un déficit budgétaire de l’Etat d’au plus 0,35% du produit intérieur brut.
Pour 2024, cette option était sur la table mais elle se heurtait à deux difficultés. La cour constitutionnelle ne risquait-elle de retoquer ce nouveau budget estimant que les circonstances exceptionnelles pour lever le frein à la dette n’étaient pas réunies ? Et le parti libéral rejetait à tout prix une option qui heurte son ADN. D’ailleurs, les Allemands approuvent cette règle. Les deux tiers d’entre eux s’opposent même à son assouplissement alors que de nombreux experts et économistes estiment que la disposition actuelle est trop rigide et handicape des investissements nécessaires pour l’avenir du pays.
Bref, il restait donc aux trois partis au pouvoir à faire des économies (17 milliards) pour respecter le frein à l’endettement en 2024. Après 200 heures de négociations entre Olaf Scholz, le vice-chancelier Robert Habeck (vert) et le ministre des Finances libéral Christian Lindner, un compromis a été trouvé et présenté mercredi. Comme dans toute négociation, chacun a dû faire des concessions. La caricature ci-dessus montre les rois mages Olaf, Christian et Robert avec leurs offrandes qu’ils apportent à l’auberge des intérêts partisans. Scholz : “Je suis le roi car je n’ai pas réduit les dépenses sociales”; Lindner “Je suis le roi car le frein à la dette n’est pas suspendu”; Habeck : “Je suis le roi car le fonds pour le climat dispose encore de ressources”.
-Economies :
des subventions nocives pour le climat (trois milliards) ont été remises en cause. Une décision qui satisfait les verts même si les libéraux en amont y voyaient une augmentation indirecte des prélèvements. Les avantages fiscaux pour le gasoil utilisé par les agriculteurs et pour le kérosène pour les vols intérieurs sont supprimés. Une taxe plastique que l’Etat prenait en charge et versait à l’UE sera désormais payée par les entreprises concernées.
Les Verts doivent accepter l’arrêt prématuré de subventions pour l’achat de voitures électriques (dernier jour ce dimanche pour les demandes) et la réduction du soutien au photovoltaïque. Les mesures contenues dans la “loi chauffage” pour la modernisation des installations privées ne sont pas remises en cause. Cela vaut également pour le développement du réseau d’hydrogène ou le soutien à l’industrie des semi-conducteurs (confer subvention massive à Intel pour un nouveau site à Magdebourg).
Une subvention pour les réseaux électriques disparait. La facture des particuliers va donc augmenter, de 60 Euros par an d’après un fournisseur pour une consommation de 3500 kWh.
-Nouveaux prélèvements : la taxe CO2 va passer en 2024 à 45 Euros par kWh (au lieu des 40 prévus). Cela aura des conséquences pour les automobilistes et pour les personnes qui se chauffent au gaz ou au fioul. Le prix du litre d’essence et de gasoil pourrait augmenter 5 centimes à la pompe.
"Encore de nouveaux impôts" dénonce le quotidien populisteLes libéraux, hostiles par principe à tout nouveau prélèvement, rappellent que les allègements déjà prévus de 15 milliards d’Euros pour les particuliers en 2024 ne sont pas remis en cause.
Si ces mesures permettent de rester dans les clous du frein à la dette, le gouvernement allemand n’exclut pas totalement une nouvelle suspension de cette règle en 2024 si la situation en Ukraine devait l’y contraindre. Le doublement de l’aide à Kiev, huit milliards, est acté dans le budget courant. En cas de difficultés majeures de Kiev ou si des pays devaient réduire leur soutien à l’Ukraine, l’Allemagne pourrait augmenter sa contribution. Cela justifierait pour le gouvernement une nouvelle suspension du frein à la dette en raison d’une situation exceptionnelle. L’opposition chrétienne-démocrate pourrait difficilement s’y opposer.
Ce laborieux compromis intervient après de nombreuses interrogations sur la capacité de la coalition au pouvoir à y parvenir. Les spéculations sur sa fin prématurée enflammaient déjà le landerneau politico-médiatique. Les libéraux allaient-ils jeter l’éponge face aux exigences de leurs partenaires sociaux-démocrates et verts? Dans une interview ce week-end, le président du FDP, le ministre des Finances, Christian Lindner, rassure : “Le budget 2024 est bouclé. Le chancelier n’a aucune raison de douter de sa majorité au parlement”.
Sur le compte satirique de l'émission "Heute Show" : "L'impopularité du gouvernement et de Scholz n'a jamais été aussi importante. Voici ici en exclusivité, la photo des dernières 22 personnes qui restent satisfaites du gouvernement"
Les soucis budgétaires de l’Allemagne et les nécessaires économies à réaliser ont des conséquences pour une conjoncture qui n’était déjà pas avant cette crise des plus roses. Plusieurs instituts de conjoncture ont revu cette semaine leurs prévisions de croissance à la baisse pour 2024. L’institut IFO table dorénavant sur une hausse du PIB de 0,9% l’an prochain (au lieu de 1,4%). Les experts du DIW ne pronostiquent plus qu’un léger plus de 0,6% (au lieu de 1,3%). Les incertitudes actuelles poussent les consommateurs à épargner. Les entreprises et les ménages sont moins disposés à investir.
-Le parti d’Olaf Scholz, le SPD, a tenu son congrès le week-end dernier. Les militants ont le moral dans les chaussettes. Les sondages sont mauvais avec environ 15% d’intentions de vote (contre 25,7% aux législatives de 2021). La popularité du gouvernement et celle du chancelier atteignent des abysses.
"Bonjour, c'est pour un sondage. Que pensez-vous du chancelier ? De qui ?"A l’arrivée, le congrès s’est déroulé sans règlements de compte avec la direction réélue avec des scores comparables aux précédents. Si Scholz a été critiqué par les jeunesses sociales-démocrates, les autres délégués ont serré les coudes. Le chancelier a été applaudi chaleureusement. Le SPD a mis un coup de barre à gauche en réclamant des prélèvements plus élevés pour les plus riches. Sur des sujets qui suscitent des tensions au sein de la coalition comme une réforme du frein à la dette ou l’immigration, des formulations permettant différentes interprétations ont été adoptées ce qui ne réduit pas la marge de manoeuvre de Scholz.
-La CDU a présenté lundi dernier son nouveau programme fondamental (le dernier datait de 2007). Il sera adopté lors d’un congrès au printemps prochain. Les 70 pages portent l’empreinte du président du parti Friedrich Merz avec un virage sur l’aile droite et une rupture avec l’ère Merkel. "La CDU efface Merkel de son programme"”Vivre en liberté - Conduire l’Allemagne dans la sécurité vers l’avenir” : le document plaide pour une politique migratoire bien plus restrictive que dans le passé. Chaque demandeur d’asile doit être conduit dans un pays sûr à l’extérieur de l’Union européenne où son dossier sera traité ce qui rappelle le modèle que la Grande-Bretagne tente de mettre en place. La CDU plaide également pour une limite supérieure du nombre de migrants pouvant être accueillis chaque année en Allemagne et en Europe, une idée qu’Anglea Merkel avait toujours combattu. Le terme “pays d’immigration” pour qualifier l’Allemagne n’apparait plus dans ce programme fondamental.
Le parti plaide sur les questions économiques et sociales pour une politique libérale. Le soutien au salaire minimum contenu dans une version antérieure du texte a disparu à l’arrivée. Les impôts pour les entreprises doivent être réduits. Le slogan de Nicolas Sarkozy “Travailler plus pour gagner plus” transparait dans le texte qui veut supprimer les prélèvements pour les heures supplémentaires. Sans surprise, l’adhésion sans appel au frein à la dette figure dans ce programme.
un pic sarcastique sur le net avec le programme de la CDU pour l'avenir sur une disquette-referendum interne chez les libéraux : des membres du FDP ont réuni suffisamment de signatures pour demander un vote de la base sur la sortie du mouvement de la coalition avec les sociaux-démocrates et les Verts. La direction ne veut pas perdre de temps. Les 76 000 membres pourront voter dès demain. Le résultat doit être connu début janvier. Il n’engage pas la direction et il fait peu de doutes qu’une majorité votera pour le maintien du FDP au pouvoir. Mais le pourcentage des mécontents permettra de prendre le pouls de la base.
Le nombre de délits antisémites a sévèrement augmenté en Allemagne comme ailleurs depuis le 7 octobre. Le sondage publié cette semaine dans le magazine “Stern” surprend. On y lit que le nombre de personnes hostiles aux juifs a baissé des deux tiers en vingt ans (de 23% à 7%). 14% des personnes interrogées affirment que “les juifs ont trop d’influence dans le monde” (contre 28% en 2003). Des résultats qui étonnent alors que depuis des décennies, les études d’opinion montrent qu’environ un cinquième des Allemands soutient des préjugés antisémites. Un résultat que l’on retrouve dans une publication de la fondation Bertelsmann présentée également cette semaine. Une personne sur cinq estime que “les juifs ont trop d’influence dans notre pays” (25% en France); 43% dressent un parallèle entre la politique actuelle d’Israël à l’égard des Palestiniens et les persécutions nazies contre les juifs.
La région de Saxe-Anhalt dans l’Est de l’Allemagne exige depuis fin novembre que les candidats à la naturalisation reconnaisse le droit à l’existence d’Israël. Ils doivent signer l’attestation suivante : “Je reconnais expressément la responsabilité particulière de l’Allemagne envers l’Etat d’Israël ainsi que le droit à l’existence de ce pays. Je condamne toute forme d’antisémitisme. Je ne cherche pas et n’ai jamais cherché à contester le droit à l’existence de l’Etat d’Israël”. Le président de la CDU, Friedrich Merz, avait estimé en octobre qu’une telle reconnaissance était un préalable à la naturalisation. Les experts soulignent que la reconnaissance des principes démocratiques figure déjà dans les conditions à remplir pour obtenir la nationalité allemande ce qui rendrait des dispositions particulières superflues. Et la valeur de telles attestations restent très relative.
L’Allemande a reçu le prix européen de la meilleure actrice le week-end dernier à Berlin pour son rôle dans “Anatomie d’une chute”. Le film de Justine Triet a par ailleurs remporté les prix du meilleur scénario, de la meilleure réalisation, du meilleur montage et du meilleur film.
Vainqueur de la Palme d'or 2023, le drame français s'illustre avec quatre nominations aux Golden Globes qui seront remis début janvier. Sandra Huller postule dans la catégorie "meilleure actrice dramatique". Et le quotidien “Bild Zeitung” spécule déjà sur une nomination de l’artiste pour les Oscars. Si elle devait l’emporter, Sandra Hüller serait la première allemande a être couronnée meilleure actrice depuis… 1938.
La modeste Sandra Hüller a révélé récemment dans une interview au magazine “Hollywood-Reporter” qu’elle dispose d’un permis de conduire pour charriots élévateurs et donc d’une alternative professionnelle si sa carrière au cinéma devait s’achever prématurément. Sauf pour un rôle au cinéma, on peut douter qu’une telle reconversion s’avère nécessaire…
Et si vous voulez un bon bilan de l’année 2023 en Allemagne, une seule adresse, le Podkast d’Hélène Kohl sur toutes les plateformes habituelles : https://smartlink.ausha.co/le-podkast/s3-e22-bilan-franco-allemand-2023