L'Allemagne a peur

Attaques au couteau, violences lors de manifestations, agressions contre des policiers, statistiques record pour les délits politiques, démantèlement de groupuscules d'extrême-droite : les derniers jours sont venus malheureusement allonger une liste déjà longue qui alimente les inquiétudes des Allemands.

Lettre d'Allemagne
7 min ⋅ 24/05/2025

Les chiffres présentés mardi par le nouveau ministre de l’Intérieur Alexander Dobrindt sont alarmants. Le rapport sur les délits politiques révèle une explosion en 2024 avec une hausse de 40% pour un total de 84 000 cas. Les violences proprement dites (4000) ont augmenté de 15%. Le ministre de l’Intérieur a repris à son compte l’analyse de ses prédécesseurs et souligné que l’extreme-droite constitue le danger numéro un avec une hausse de près de 50% des cas (voir graphique ci-dessous), soit la moitié des délits politiques recensés.

Les nombreuses élections (régionales, européennes, nationales) l’an dernier expliquent pour partie cette forte hausse (11 000 cas soit une hausse de 425% sont liés aux différents scrutins et campagnes). L’attaque brutale d’un candidat SPD aux Européennes gravement blessé alors qu’il accrochait des affiches avait choqué l’Allemagne au printemps dernier.

Ces derniers jours, deux groupuscules d’extrême-droite ont fait l’objet de vastes opérations de police pour être démantelés ou interdits. La plus grande mouvance des « Reichsbürger » ou « citoyens du Reich » (près de 25 000 membres au total en Allemagne) a été interdite. Longtemps considérés comme des illuminés inoffensifs avec leur volonté de créer un Etat parallèle, ces groupes ont également des activités criminelles et constituent un danger.

Des papiers d’identité, des emblêmes, une banque et une caisse d’assurance maladie : les Reichsbürger ne reconnaissent pas l’Allemagne d’aujourd’hui et sa légitimité. Les partisans de ce monde parallèle cultivent les théories complotistes et antisémites contraires aux principes démocratiques et disposent parfois d’armes illégales.
800 policiers dans sept régions ont participé la semaine dernière à une vaste opération. Ils ont notamment arrêté Peter Fizek, le chef de ce « royaume d’Allemagne » qui a été interdit. Lancé en 2012, il comptait 6000 membres.
Cette mouvance née dans les années 80 a pris de l’ampleur. La pandémie de covid qui a attisé les théories complotistes les plus folles a contribué à renforcer ses rangs. Des interdictions avaient déjà été prononcées par le gouvernement Scholz. Fin 2022, c’est un groupuscule armé qui voulait renverser les institutions démocratiques qui a été démantelé. Hormis un pseudo prince, on trouvait dans ses rangs d’anciens soldats d’élite et une ex-députée du parti d’extrême-droite AfD au Bundestag. Un autre groupe avait planifié l’enlèvement de l’ancien ministre de la Santé Karl Lauterbach aux affaires durant la pandémie de covid et haï dans ces milieux .

L’émission de l’ARD qui réunit plusieurs journalistes sera consacrée ce dimanche aux jeunes extrémistes de droite violents “Un nouveau danger pour la démocratie ?”

Cette semaine, c’est « dernière vague de défense », un groupe de jeunes néo-nazi qui a été demantelé. Leur slogan « Nous sommes la vague qui va débarrasser notre pays de ses ordures ». Leur logo rappelait celui de la division tête de mort de la SS nazie. Ce qui choque l’Allemagne, c’est l’âge des cinq personnes interpellées mineures au moment des faits. Ces jeunes avaient sévi depuis un ans dans la partie Est du pays. A l’automne, ils ont incendié un centre culturel ; en janvier, ils s’en sont pris à un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile. Leurs actes n’ont heureusement pas fait de victimes.

L’année 2024 a aussi été marquée par les retombées du conflit au Moyen-Orient. Les délits politiques liés à ce dossier ont augmenté de 70%. Cela se traduit également par une hausse sensible des actes antisémites avec un record historique (voir graphique ci-dessous).

Cette évolution se retrouve au niveau local. L’ONG RIAS qui recense les actes antisémites à Berlin, également ceux qui passent sous le radar des poursuites de la police ou de la justice, évoque également un record sans précédent dans la capitale avec 2500 cas l’an dernier soit un doublement par rapport à 2023. L’attaque brutale contre l’étudiant germano-israélien Lahav Shapira a été le cas le plus spectaculaire et le plus médiatisé. L’agresseur a récemment été condamné. Hormis des délits physiques ou non contre des personnes, y compris des enfants, des lieux de mémoire, des plaques commémoratives sont endommagés ou taggés.

”Un génocide n’en justifie pas un autre” : manifestation pro-palestinienne à Berlin

Les retombées du conflit au Moyen-Orient, ce sont aussi de nombreuses manifestations de soutien aux Palestiniens. Une des dernières en date à Berlin s’est soldée par un lourd bilan : onze policiers blessés, 56 arrestations et 42 procédures pour différents délits. Le tout pour un bon millier de participants encadré par plusieurs centaines de membres des forces de l’ordre.

Le cas d’un policier que des vidéos montraient se faire piétiner par les manifestants a suscité une violente polémique. Les responsables de la police comme les dirigeants politiques berlinois ont condamné ce qu’ils considéraient comme une agression inacceptable. Mais des débats se poursuivent sur le déroulement des événements et la stratégie de la police. Les forces de l’ordre berlinoises, habituées à gérer de nombreuses manifestations, parfois violentes, sont connues pour leur stratégie de la désescalade. Dans le cas des rassemblements pro-palestiniens, la stratégie consiste plutôt à intervenir très vite avec force dès qu’un symbole ou une déclaration est jugée remettre en cause l’existence d’Israël comme le slogan “From the river to the sea”. Des experts critiquent cette stratégie musclée qui attise des contre-réactions au lieu de tolérer quelques dérapages. La solidarité de principe des autorités allemandes avec Israël explique ce modus operandi robuste.

Les autorités comme les syndicats de policiers dénoncent eux plus largement les attaques dont sont souvent victimes les forces de l’ordre. La responsable de la police berlinoise a évoqué 30 blessés en fin de semaine dernière entre la manifestation pro-palestinienne évoquée ci-dessus, des agressions de supporters violents lors d’un match de football et l’attaque au couteau devant un commissariat contre un policier grièvement blessé au cou. L’office criminel fédéral a recensé l’an dernier 5000 agressions motivées politiquement contre des forces de l’ordre.

L’attaque au couteau vendredi soir à la gare de Hambourg occupe toute la page 3 de “Bild Zeitung”

Les attaques au couteau et autres continuent de scander dramatiquement la vie du pays. Vendredi soir, une femme a frappé sans prévenir des personnes avec un couteau sur un quai bondé de la gare de Hambourg. 18 voyageurs ont été blessés dont six gravement. La femme d’origine allemande souffrait de troubles psychologiques d’après la police. Une information qui ne réduit que modérément le sentiment d’insécurité ambiant.

A Berlin, cette semaine, c’est un jeune de 13 ans qui a frappé au couteau dans une école un autre élève de douze ans grièvement blessé. Une motivation raciste ou religieuse parait exclue.

Et puis, il y a les attaques au couteau commises par des migrants qui ont attisé les débats ces derniers mois, particulièrement durant la campagne électorale. Friedrich Merz a durci son discours après plusieurs agressions. A l’arrivée, le parti d’extrême-droite a enregistré un score historique et les chrétiens-démocrates un résultat dévevant…

Pour certaines agressions commises par des migrants, les troubles psychiques ont été mis en avant. Mais cela n’est pas toujours le cas. Alors que le procès va s’ouvrir contre l’auteur de l’attaque au couteau de Solingen fin août dernier qui a fait trois morts et huit blessés, une enquête commune de plusieurs médias allemands montrent que le Syrien Issa Al H. s’était radicalisé et rapproché de l’organisation Etat islamique.

Le week-dernier, un autre Syrien a attaqué au couteau à Bielefeld des supporters de football qui faisaient la fête après la qualification de leur équipe pour la finale de la coupe d’Allemagne face à Stuttgart. Cinq personnes ont été blessés dont une grièvement. L’agresseur a ensuite pris la fuite avant d’être arrêté lundi soir. L’homme aurait des contacts avec les milieux islamistes.

Une étude publiée cette semaine montre qu’une large majorité des Allemands voit la cohésion sociale menacée dans leur pays. Près de neuf personnes sur dix dénoncent une société divisée et polarisée. Beaucoup se recroquevillent dans leur cocon privé face aux tensions en Allemagne et dans le monde. La famille, les amis, des personnes partageant des points de vue identiques deviennent les groupes de référence. La confiance dans les médias, les institutions s’affaiblit. 28% des personnes interrogées s’estiment en sécurité dans l’espace public. Les plus grandes inquiétudes des Allemands sont la situation économique, la politique migratoire et des sujets sociaux comme les loyers trop chers, l’inflation ou le développement de la pauvreté parmi les seniors.


Germany is back

”La CDU devient un parti à 5%” : non les chrétiens-démocrates ne se sont pas effondrés à ce point dans les sondages et ne sont pas menacés par cette limite basse nécessaire pour un parti pour être représenté au Bundestag. Berlin -sur cette une le ministre des Affaires étrangères Johannes Wadephul- soutient l’objectif de 5% du PIB pour les dépenses militaires exigé par l’admnistration Trump.

L’Allemagne soutient le principe de dépenses plus élevées pour la Bundeswehr qui devrait être entériné lors du prochain sommet de l’OTAN. Le nouveau ministre des Affaires étrangères a le premier déclaré qu’il soutenait l’idée de l’administration américaine de consacrer 5% du PIB aux dépenses militaires (au lieu de 2,1% aujourd’hui). Si le SPD a un peu toussé, le ministre de la Défense social-démocrate Boris Pistorius a repris cet objectif à son compte.

Son portrait sur RFI : https://www.rfi.fr/fr/europe/20250524-allemagne-boris-pistorius-un-populaire-ministre-de-la-d%C3%A9fense-aux-commandes-du-r%C3%A9armement-allemand

Les dépenses strictement militaires devraient graduellement augmenter d’ici 2032 pour atteindre 3,5% du produit intérieur brut. A cela s’ajouterait des dépenses pour les infrastructures, la protection civile ou la lutte contre les cyberattaques.

80 ans après la fin de la guerre, des soldats allemands s’installent en Lituanie, cette fois pour défendre et non occuper le pays et y commettre des crimes. Friedrich Merz était à Vilnius jeudi avec son ministre de la Défense Boris Pistorius pour le début du déploiement d’une brigade blindée allemande destinée à renforcer le flanc Est de l’OTAN. Le nouveau chancelier a eu des accents kennedyens en déclarant : “Protéger Vilnius, c’est protéger Berlin”. Cette visite et cette présence militaire allemande constituent un signal fort alors que Friedrich Merz a récemment affirmé vouloir doter son pays de l’armée européenne la plus puissante.

Des échos du parlement

Le nouveau Bundestag se met au travail. Cette semaine, les présidences des 24 commissions ont été désignées. Elles se répartissent entre les partis représentés au parlement en fonction de la taille de leurs groupes. Arrivée en deuxième position lors des élections du 23 février, l’AfD a droit en théorie à la présidence de six commissions. Mais démocratie oblige, ces postes sont soumis au vote. Le blocage des autres groupes parlementaires a empêché le parti d’extrême-droite qui s’estime discriminé de décrocher ces postes. De même, aucune vice-présidence du Bundestag n’a été accordée à l’AfD, son candidat n’ayant pas recueilli la majorité nécessaire.

Cette non représentativité de ce parti suscite des débats. D’un côté, les députés de l’AfD ont été élus démocratiquement et le mouvement dispose du deuxième groupe parlementaire derrière les chrétiens-démocrates. D’un autre côté, le parlement peut-il accorder des postes aussi importants à un parti qui vient d’être reconnu clairement d’extrême-droite par l’office de protection de la constitution et qui en clair est accusé de ne pas respecter les principes démocratiques ? Le nouveau président du groupe CDU/CSU, Jens Spahn, qui avait récemment plaidé pour un traitement “normal” de l’AfD a depuis corrigé son point de vue.

Le député du parti Die Linke Marcel Bauer a provoqué une polémique avec son béret, son couvre-chef préféré qu’il porte souvent, y compris lors des séances plénières du Bundestag. La semaine dernière, la présidente du parlement l’a tancé estimant que cela n’était pas conforme aux usages. Le Bundestag a supprimé l’obligation du port de la cravate pour les messieurs. Mais le béret passe visiblement mal. L’intéressé qui a décidé de quitter l’hémicycle en guise de protestation a depuis annoncé qu’il reviendrait tête nue mais il a demandé que cette question cruciale soit examinée pour savoir si l’interdiction de son béret était ou non légitime.

Les plus jeunes lecteurs de cette Lettre d’Allemagne se demanderont sans doute ce que signifie ce gros paquet cadeau made in Germany. C’était au siècle dernier, il y a trente ans pour être plus précis : l’artiste bulgare Christo et sa femme Jeanne emballait le Reichstag. Un combat de longue haleine qui avait duré des années. Le chancelier de l’époque Helmut Kohl n’était pas très partant au départ. Finalement, la chose s’est faite. Les artistes ont profité d’une fenêtre d’opportunité : après la décision de transférer le gouvernement et le parlement de Bonn à Berlin après la réunfication allemande, le bâtiment datant du Second Empire, le Reichstag, devait être complètement réaménagé. Avant que l’architecte britannique Norman Foster ne lance les travaux, l’édifice fut emballé durant quelques semaines. Un projet qui a suscité un énorme engouement et a transformé la pelouse devant le bâtiment en un Woodstock made in Germany.

Trente ans plus tard, une initiative privée veut rappeler cet événement historique qui a marqué la ville dans les années 90. Le bâtiment ne va pas être à nouveau emballé. Non, des projecteurs vont restituer sur la façade d’aujourd’hui l’apparence de la performance des époux Christo. A voir tous les soirs à partir de 21.30 heures du 9 au 20 juin.

Lettre d'Allemagne

Lettre d'Allemagne

Par pascal thibaut

Les derniers articles publiés