Merz et les migrants : dérapage ou tempête dans un verre d'eau ?

L’immigration en Allemagne également suscite régulièrement des polémiques. La dernière campagne électorale l'a montré. Friedrich Merz prône la fermeté mais le chancelier impulsif provoque aussi par ses déclarations à l’emporte-pièce. Depuis dix jours, opposants et supporters battent le rappel après des déclarations du chef du gouvernement.

Lettre d'Allemagne
6 min ⋅ 24/10/2025

Tout est parti d’une phrase lors d’une conférence de presse. Friedrich Merz évoquant les migrants a parlé d’un problème qui persiste « dans le paysage urbain » malgré les mesures plus fermes de son gouvernement qu’il venait d’énumérer pour réduire l’immigration illégale et expulser des personnes en situation irrégulière. La déclaration de Friedrich Merz était assez floue mais pouvait laisser penser que les étrangers en général constituaient un problème.

Le lendemain, trois anciens barons chrétiens-démocrates publiaient un article dans le magazine “Stern” dans lequel ils critiquaient la “stigmatisation” à l’encontre du parti d’extrême-droite AfD dont ce dernier ne ferait que profiter en s’affichant comme une victime de l’establishment. L’ancien secrétaire général de la CDU, Peter Tauber, plaidait même pour des collaborations parlementaires au cas par cas. Ces prises de position illustrent la difficile situation des chrétiens-démocrates alors que l’AfD bat des records dans les sondages et que cinq élections régionales l’an prochain vont se traduire probablement par de nouveaux succès du parti d’extrême-droite. Dans deux régions de l’Est, la Saxe-Anhalt et le Mecklembourg, où l’on vote à la rentrée 2026, le mouvement frôle les 40%. Des élus chrétiens-démocrates ont ouvertement ou non moins d’états d’âme que leur direction qui rejette, elle, toute alliance avec l’AfD.

Dans certains sondages, l’AfD arrive en tête devant les chrétiens-démocrates (CDU+CSU=Union). Le parti d’extrême-droite avait obtenu 20,8% des voix aux législatives de février dernier

Réunies le week-end dernier, les instances dirigeantes des chrétiens-démocrates réitéraient fermement leur rejet total du parti d’extrême-droite. Friedrich Merz a même déclaré que l’AfD avait pour but la “destruction de la CDU”. Les propos flous du chancelier quelques jours plus tôt venaient pour les voix critiques contredire cette énième rejet par les chrétiens-démocrates de toute alliance avec l’AfD. Dimanche soir, une manifestation spontanée réunissait entre 2000 et 5000 personnes au pied de la porte de Brandebourg pour dénoncer les déclarations de Friedrich Merz.

A gauche en général, mais aussi parmi les sociaux-démocrates au pouvoir avec les conservateurs, beaucoup ont dénoncé une stigmatisation des étrangers ou des personnes d’origine étrangère en général. Sur les réseaux sociaux, les intéressés étaient nombreux à publier des vidéos les montrant par exemple en rase campagne puisque d’après eux ils perturbent “le paysage urbain”.

Friedrich Merz a également été critiqué au sein de son parti par des représentants de l’aile gauche de la CDU comme le candidat malheureux à la chancellerie en 2021Armin Laschet. Ces responsables chrétiens-démocrates ont critiqué le président de leur parti pour des propos peu nuancés. Il ne suffit pas pour ces élus de dénoncer un problème, encore faut-il lui apporter des solutions. Mais Friedrich Merz a également obtenu le soutien de nombreux cadres de son mouvement qui estiment que le chancelier a raison d’évoquer les problèmes d’insécurité ou le sentiment d’insécurité dans les grandes villes.

Le ministre-président du Brandebourg, le social-démocrate Dietmar Woidke, a irrité ses camarades de parti en début de semaine en n’excluant pas catégoriquement une alliance avec l’AfD, à condition que le parti fasse le ménage dans ses rangs et exclut “tous les extrémistes, tous les néo-nazis et beaucoup d’autres qui rejettent la démocratie”. Une déclaration complètement déconnectée de la réalité alors que le parti d’extrême-droite s’est radicalisé en permanence depuis sa création en 2013. Par comparaison, le Rassemblement National ressemble à une association d’enfants de choeur.

”Le mur pare-feu" contre l’extrême-droite tient toujours mais la tentation est grande chez les conservateurs de rebondir sur les thèmes de l’AfD et d’utiliser plus ou moins ouvertement la rhétorique de l’extrême-droite

Lundi dernier, le chancelier a déclaré qu’il n’avait rien à retirer à ses propos et a répondu à un journaliste :
« demandez à vos filles. Elles vous confirmeront que les problèmes existent au moins après la tombée de la nuit”. Des propos qui ont conduit à une manifestation de femmes hostiles à ces déclarations devant le siège de la CDU à Berlin mardi soir. Une pétition de femmes dénonçant les déclarations de Merz a réuni plus de 230.000 signatures jusqu’à ce vendredi après-midi. Mais d’autres femmes, proches ou non de la CDU, ont soutenu le chancelier, notamment sur les réseaux sociaux. Face à un débat qui perdure, Friedrich Merz a réagi mercredi soir depuis Londres pour préciser que les problèmes qu’il mentionnait viennent des migrants en situation irrégulière, souvent sans travail et qui ont un comportement criminel. En même temps, le chancelier a souligné l’importance de la migration pour l’économie allemande.

Un sondage sur les déclarations polémiques de Friedrich Merz intégrant ces précisions soulignait ce vendredi que les 2/3 des Allemands soutiennent le chancelier. Mais une autre étude d’opinion en début de semaine montrait que six personnes sur dix condamnaient le fait que Merz ne précise pas ce qui le dérangeait dans “le paysage urbain”.

L'AfD accusée d'espionner pour le compte de la Russie

https://www.rfi.fr/fr/europe/20251022-allemagne-l-afd-accus%C3%A9e-d-espionner-pour-le-compte-de-la-russie

Minimas sociaux : réforme a minima

”Trop paresseux pour travailler ?”

Les ambitions affichées par les chrétiens-démocrates qui dénonçaient la réforme par le gouvernement Scholz de l’aide sociale rebaptisée “argent citoyen” ont fondu au soleil. Les conservateurs critiquaient une prestation trop généreuse (563 Euros par mois pour un adulte et 506 pour son conjoint; entre 357 et 451 Euros pour les enfants + prise en charge du loyer). Pour de nombreux chrétiens-démocrates, l’actuelle aide sociale inciterait ses bénéficiaires à ne pas travailler. Les conservateurs critiquent également des sanctions trop modestes ou inexistantes et l’absence de pression sur les prestataires. Friedrich Merz avait promis un grand soir avec des économies substantielles (dix milliards par an soit environ un cinquième des prestations annuelles). Le chancelier a ensuite revu ses ambitions à la baisse.

L’accord trouvé entre chrétiens et sociaux-démocrates prévoient certes un système de sanctions progressives pour les prestataires qui ne se rendent pas par exemple aux rendez-vous fixés par l’administration. Le SPD a donc fait là dessus des concessions. Ils sont aussi conscients que 86% des Allemands sont favorables à des sanctions plus sévères pour les bénéficiaires de ces prestations. Parmi eux se trouvent de nombreux électeurs sociaux-démocrates.

Mais la ministre sociale démocrate des Affaires sociales n’évoque plus que quelques dizaines de millions d’Euros d’économies par an. Une goutte d’eau. La meilleure recette consiste surtout à trouver du travail pour les intéressés. 100 000 bénéficiaires de l’aide sociale en moins équivalent à un milliard d’économies pour l’Etat. Aujourd’hui, 5,5 millions de personnes touchent cette prestation qui va être rebaptisée “assurance de base” pour ne pas donner l’impression dénoncée par la droite qu’il s’agissait d’une sorte de revenu citoyen auquel tout le monde aurait droit.

Service militaire : la coalition ne marche pas au pas

L’Allemagne augmente sensiblement les moyens de son armée mais la Bundeswehr peine à recruter des soldats malgré une campagne tous azimuts sur les réseaux sociaux. Face aux besoins importants, le ministre de la Défense, le social-démocrate Boris Pistorius, plaide pour un système basé sur le volontariat. Celui-ci prévoit que tous les jeunes de 18 ans reçoivent un questionnaire en ligne sur leurs compétences, disponibilités et sur leur motivation à effectuer un service militaire. La réponse serait obligatoire pour les hommes et facultatives pour les femmes. Des mesures pour rendre la Bundeswehr plus attractive doivent permettre de convaincre suffisamment de volontaires. L’armée allemande qui compte actuellement 180 000 personnes doit disposer de 235 000 recrues d’ici 2035 auxquels s’ajouteraient 200 000 réservistes (50 000 aujourd’hui).

Débat sur le service militaire : le ministre de la Défense Boris Pistorius rejette la proposition d’un tirage au sort

Mais les conservateurs ne croient pas que ce modèle permettra de recruter suffisamment de soldats. Ils plaident pour un service militaire contraignant. Le SPD marqué par une tradition pacifiste s’y oppose. Un compromis sur lequel des parlementaires des deux bords s’étaient mis d’accord a volé en éclats. Il proposait qu’un tirage au sort permette de recruter les futurs membres de la Bundeswehr. Cette proposition s’est heurtée au rejet catégorique du ministre de la Défense. Boris Pistorius a le soutien de ses concitoyens. 84% des Allemands interrogés rejettent un système de tirage au sort jugé injuste.Sept personnes sur dix souhaitent toutefois un retour de la conscription (la moitié la prône pour les hommes comme pour les femmes; 19% y sont favorables pour les hommes comme dans le passé). Trois personnes sur dix rejettent tout retour du service militaire (dont 60% des 18-34 ans).

Doutes de la jeunesse, tirage au sort... la refonte du service militaire passe mal

https://www.rfi.fr/fr/europe/20251019-allemagne-doutes-de-la-jeunesse-tirage-au-sort-la-refonte-du-service-militaire-passe-mal

Berlin refuse la «fin brutale» des voitures à moteurs thermiques en 2035

https://www.rfi.fr/fr/europe/20251009-berlin-refuse-la-fin-brutale-des-voitures-%C3%A0-moteurs-thermiques-en-2035-en-europe

Le prix franco-allemand Elsie Kühn-Leitz 2025 remis à deux journalistes

Cette distinction qui porte le nom d’une figure du rapprochement entre la France et l’Allemagne après la guerre a été remis la semaine dernière lors du congrès de la fédération des acteurs franco-allemands (FAFA) à deux collègues talentueuses, Michaela Wiegel, correspondante du quotidien “Frankfurter Allgemeine Zeitung” à Paris depuis 1998 et Cécile Boutelet, journaliste économique du “Monde” en Allemagne depuis quinze ans.

De gauche à droite: Cécile Boutelet, Olivier Nass, le petit-fils d’Elsie Kühn-Leitz, Michaela Wiegel, Hélène Kohl

La remise du prix à Nantes a également été marquée par un beau geste des deux collègues récompensées. Doté de 10 000 Euros, ce prix doit soutenir une initiative franco-allemande. Les lauréates ont choisi d’offrir cette somme à leur collègue Hélène Kohl pour permettre à son “Podkast” qui informe depuis quatre ans sur l’actualité allemande en français de poursuivre son chemin alors que son financement est menacé. Sa maman, présente dans l’assistante et qui ignorait tout de cette bonne surprise, a dû retenir ses larmes en remerciant ses consoeurs.

Casse du Louvre : le coup de pub viral du fabricant du monte-charge

Le cambriolage dans le musée parisien a suscité beaucoup d’échos en Allemagne également et aussi de nombreuses publications humoristiques sur les réseaux sociaux. La société Böcker qui a fabriqué le monte-charge utilisé par les voleurs s’est payé un coup de pub à moindres frais.

Sur les réseaux sociaux, l’entreprise basée dans l’Ouest de l’Allemagne a publié un cliché de son engin avec le commentaire “Quand il faut faire vite” vantant les performances du modèle Agilo qui peut transporter jusqu’à 400 kilos de trésors à une vitesse de 42 mètres par minute et tout ça avec un moteur très silencieux.

Un quotidien cesse sa parution papier

Le journal de gauche berlinois a publié la semaine dernière sa dernière édition papier. Il ne parait plus que sous forme numérique du lundi au vendredi. Un magazine de fin de semaine sera lui disponible en kiosque.

Mieux vaut en rire : la série youtube de Deutsche Bahn

Les chemins de fer allemands sont le symbole d’un pays qui ne marche pas. Les retards et autres péripéties de la Deutsche Bahn sont légendaires. L’entreprise a décidé comme la société des transports en commun berlinois BVG de produire une série youtube dans laquelle la Deutsche Bahn se moque avec humour de ses maux.

Lettre d'Allemagne

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Par pascal thibaut

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