Merz va-t'il battre en retraite ?

C'est le psychodrame politique du moment en Allemagne : la réforme des retraites déjà actée par la coalition au pouvoir suscite la fronde de jeunes députés chrétiens-démocrates sans lesquels le gouvernement n'a pas de majorité. Friedrich Merz est à la peine pour tenir ses troupes. Les sociaux-démocrates rejettent tout compromis.

Lettre d'Allemagne
9 min ⋅ 28/11/2025

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Au menu de cette Lettre d’Allemagne : le SPD pas en grande forme non plus; la sulfureuse AfD et les entreprises familiales qui coupent le cordon sanitaire; les 80 ans du procès de Nuremberg.


Les retraités jouent sociologiquement un rôle de plus en plus important en Allemagne en raison du vieillissement de la population. Ils représentent aujourd’hui un tiers des électeurs et se rendent plus volontiers aux urnes que d’autres. Les partis politiques sont donc aux petits oignons pour ce groupe. Les deux forces au pouvoir, les chrétiens-démocrates du chancelier Merz comme les sociaux-démocrates, avaient dans leur besace des promesses de poids pour les retraités allemands. Celles-ci ont été reprises dans le traité de coalition conclu au printemps entre CDU/CSU et SPD.

Les conservateurs ont promu le projet de “retraite active” qui permettra à des personnes qui ont atteint l’âge légal de départ à la retraite (aujourd’hui 66 ans et deux mois) de gagner jusqu’à 2000 Euros nets d’impôts par mois (salariés et employeurs devront payer des cotisations sociales sur ce montant). Objectif : lutter contre le manque de main d’oeuvre. La « retraite active » fera l'objet d'une expérimentation pendant deux ans, avant un premier bilan. Les chrétiens-sociaux bavarois ont eux obtenu un coup de pouce pour la “retraite des mères” (Mütterrente), une prestation pour indemniser les femmes ayant consacré des années à l’éducation de leurs enfants.

Les sociaux-démocrates en perte de vitesse veulent défendre à tout prix une stabilité du niveau des retraites. Ils plaident pour leur maintien au niveau actuel à savoir 48% du salaire moyen (contre 58% au début des années 80). Ce niveau est l’un des plus bas parmi les pays de l’OCDE pour lesquels la moyenne est de 63% (70% en France). Le SPD se veut le défenseur des nombreux retraités en Allemagne, qui ne disposent que de pensions modestes. La stabilité des retraites à hauteur de 48% du salaire moyen est actée jusqu’en 2031. C’est ce que prévoient le contrat de coalition comme le projet de loi adopté par le gouvernement cet été, et ce malgré la baisse du nombre des cotisants.

Le bât blesse pour la période postérieure à 2031. Les jeunesses chrétiennes-démocrates tirent à boulets rouges contre une disposition prévoyant dans le texte actuel de conserver ce niveau dans le calcul à partir de 2032. Les jeunes députés récalcitrants plaident pour 47%. La différence jusqu’en 2040 n’est pas mince et signifie 120 milliards d’Euros de dépenses supplémentaires pour le budget de l’Etat. Ce dernier est déjà largement mis à contribution pour financer le système de retraites. Pour ces jeunes conservateurs, cette disposition est contraire aux intérêts des plus jeunes générations qui devront payer pour les plus âgés.

Au récent congrès des jeunesses chrétiennes-démocrates, l’accueil a été très réservé pour le chancelier Merz

Dix-huit députés chrétiens-démocrates, membres du mouvement de jeunesse de CDU/CSU, menacent de ne pas voter la réforme en l’état, y compris les mesures promues par les conservateurs. Dans le passé, les gouvernements dits de “grande coalition” entre chrétiens et sociaux-démocrates pouvaient se permettre des défections au parlement. L’émiettement du paysage politique aujourd’hui ne le permet plus. La majorité au pouvoir ne dispose que de douze sièges de plus que les partis d’opposition. Les voix des jeunes “rebelles” sont donc nécessaires à l’adoption de la réforme des retraites.

Une réunion jeudi soir entre les dirigeants de la coalition au pouvoir a tenté de trouver une solution à cette impasse. Le texte en l’état n’est pas remis en cause mais un additif doit servir à calmer la colère des jeunes chrétiens-démocrates. La commission sur l’avenir du système de retraites qui doit prochainement être mise en place et qui rendra ses conclusions à la mi-2026 voit son agenda élargi avec des pistes de travail qui égratigent des tabous pour les chrétiens comme pour les sociaux-démocrates. Une possible remise en cause des retraites anticipées à 63 ans, un report de l’âge légal de départ à la retraite ou une indexation des pensions sur l’inflation et non plus sur la hausse des salaires (plus élevée) constituent autant de couleuvres potentielles à avaler pour le SPD. Intégrer d’autres groupes que les salariés du privé dans le régime général comme les fonctionnaires, les travailleurs indépendants ou les parlementaires, taxer les revenus liés aux loyers ou du capital provoquent de l’urticaire en revanche chez les chrétiens-démocrates.

Le vote de la réforme doit avoir lieu la semaine prochaine au Bundestag. On ignore encore si les jeunes députés CDU/CSU vont finir par rentrer dans le rang et permettre au gouvernement de sauver un projet phare. Dans le cas contraire, cela constituerait un échec sévère pour le chancelier et sa coalition.

La rencontre de jeudi soir a aussi débouché sur un accord sur le dossier sensible de l’interdiction des moteurs thermiques après 2035. Chrétiens et sociaux-démocrates plaident pour qu’au-delà de cette date butoir les véhicules à propulsion hybride rechargeables continuent d’être autorisés comme les moteurs thermiques à très haute efficacité et les prolongateurs d’autonomie. Friedrich Merz voulait envoyer une lettre dès ce vendredi soir à la présidente Ursula von der Leyen. C’est le 10 décembre que la commission européenne a prévu d’annoncer des mesures pour soulager le secteur automobile et l’aider dans sa transition vers la décarbonation.

Friedrich Merz, le roi des petites phrases

Le mois dernier, le chancelier avait provoqué une vague d’indignation en affirmant que l’immigration constituait un “problème dans le paysage urbain”. De retour de la COP à Belem, Friedrich Merz a déclaré : “J’ai demandé à plusieurs journalistes qui m’accompagnaient au Brésil : qui parmi vous aimerait rester ici ? Aucun n’a levé la main. Ils étaient tous contents que nous soyons rentrés en Allemagne, surtout de cet endroit où nous étions”.

réconciliation au G20 en Afrique du Sud

Le président brésilien Lula a réagi au quart de tour en apprenant cette déclaration et a affirmé que Berlin n’avait pas 10% de la qualité de la vie qu’offre Belem et que Merz aurait bien fait d’y sortir pour se faire une idée en direct de l’attrait de cette ville. La polémique a enflé sur les réseaux sociaux. Après le G20 en Afrique du Sud où une rencontre avec Lula a eu lieu, le chancelier s’est rendu en Angola. Après son retour, il a déclaré en visitant une boulangerie de Hambourg qu’il avait cherché en vain du pain digne de ce nom lors de sa visite dans le pays africain. On attend avec impatience la prochaine bourde.

Le SPD joue les gros bras mais n’en a plus vraiment les moyens

Les sociaux-démocrates restent inflexibles sur le dossier des retraites. La ministre des Affaires sociales, Bärbel Bas, joue les Mère Courage et défend becs et ongles la stabilité des pensions alors que des économistes de renom demandent le retrait du projet. Devant un rassemblement du patronat allemand, la ministre a provoqué l’hilarité générale cette semaine en déclarant que les projets de son parti ne se feraient pas au détriment des plus jeunes générations puisque c’est le budget de l’Etat qui serait mis à contribution et qu’une hausse des cotisations n’était pas prévue. Bärbel Bas avait oublié un peu vite que les dettes doivent être assumées par les prochaines générations.

”Des réformes, maintenant !”
“Des réformes maintenant ! Si elles ne me concernent pas !”

La base du SPD traîne par ailleurs des pieds sur la réforme de l’aide sociale. Des membres se mobilisent et réunissent des signatures pour protester contre un projet qui doit renforcer les sanctions et les pressions sur les bénéficiaires de cette prestation. Objectif : réunir suffisamment de soutiens pour contraindre la direction du SPD à débattre de ce dossier ce qui compliquerait les relations avec les chrétiens-démocrates qui ont voulu ce texte.

Berlin “Encore un ouvrage très dégradé. Sa destruction et sa reconstruction va prendre des années”

Dans la capitale où l’on vote à nouveau en septembre prochain, le SPD actuellement associé au pouvoir, comme au niveau fédéral, avec la CDU (qui dirige la ville), semble prendre un plaisir masochiste à s’auto-saborder. Certes, la tête de lice pour les prochaines élections dans dix mois a été désignée lors d’un congrès avec un score nord-coréen de 100%. Mais le choix du sémillant quadragénaire Steffen Krach mettait aussi en lumière les difficultés du parti qui est allé repêcher un ancien responsable qui depuis quatre ans avait quitté Berlin. La fédération du SPD dans la capitale allemande est sensiblement plus à gauche que dans d’autrs régions. Les jeunes sociaux-démocrates y rejettent par exemple le terme “islamisme” jugé stigmatisant. Ils critiquent leurs camarades qui choisissent d’appeler un chat et qui dénoncent par exemple la “criminalité clanique” ou parlent d’”antisémistime musulman”. Les plus pragmatiques au sein du parti, et souvent les personnes les plus connues, ont été sanctionnées lors de la préparation des listes pour les élections de l’an prochain. Dans un récent sondage, le SPD n’arrive plus qu’en cinquième position avec 13% des intentions de vote derrière la CDU, Die Linke, les Verts et l’AfD.

AfD : vous avez dit cordon sanitaire ?

Contrairement à la situation en France, l’extrême-droite reste largement ostracisée en Allemagne, même si l’Alternative pour l’Allemagne a obtenu plus de 20% des voix aux dernières législatives en février et dépasse aujourd’hui les 25% dans les sondages nationaux.

La décision de la fédération allemande des entreprises familiales, un poids lourd de l’économie germanique avec des sociétés connues internationalement, de ne plus rejeter toute rencontre avec l’AfD provoque un vaste débat. La fédération doit affronter un front roulant de critiques. La Deutsche Bank où une soirée avec un député AfD au Bundestag s’est tenue a annoncé qu’elle ne louerait plus à l’avenir ses locaux à la fédération des entreprises familiales. La chaîne allemande de drogueries Rossmann (15 milliards de chiffre d’affaires) a claqué la porte de l’organisation comme le spécialiste de l’électroménager haut de gamme Vorwerk.

”Discuter simplement avec l’extrême-droite”. Sur la photo, la présidente de la fédération des entreprises familiales Marie-Christine Ostermann

D’autres voix sont moins critiques notamment dans la partie Est de l’Allemagne où l’AfD engrange des scores autour de 30% et est très présente. Mais on le voit bien, les débats sur les rapports à entretenir ou non avec l’extrême-droite restent virulents. Le cordon sanitaire fait sens à l’égard d’un parti populiste d’importance peut-être le plus radical en Europe. Mais le rejet de tout contact ne conduit-il pas à victimiser l’AfD qui peut se vanter d’être la seule force n’appartenant pas à l’establishment ?

La radicalité du parti d’extrême-droite allemand s’est illustrée il y a quelques jours avec le “poster boy” du mouvement en Saxe-Anhalt. Ulrich Siegmund, une star des réseaux sociaux, est candidat dans cette région où l’on vote l’an prochain dans l’ex-RDA. Dans les derniers sondages, son parti y est crédité d’environ 40% des voix et est aux portes du pouvoir. Dans un entretien avec un collègue allemand, il a récemment répondu, interrogé sur l’holocauste, qu’il n’était pas en mesure de dire s’il s’agissait du pire crime commis par l’humanité. La direction nationale du parti s’est sentie obligée de prendre ses distances avec son candidat dans la région.

Ulrich Siegmund est suivi par 600 000 personnes sur TikTok

Le même Ulrich Siegmund ne voit pas non plus où est le problème lorsque lors de ses meetings des camarades sont chargés de chauffer la salle et hurlent “Sieg !” depuis la scène avant que le public ne répondent “Mund”. Le responsable de l’AfD ne voit pas en quoi le prénom “Siegmund” pourrait avoir une connotation négative…

L’AfD, comme de nombreux partis d'extrême-droite européens, a des positions proches de Moscou à commencer par la guerre en Ukraine. Des élus du mouvement ont régulièrement effectué des déplacements sur place ou souligné leur proximité avec la Russie dans leurs déclarations. Ce sujet a de nouveau été au coeur d'une polémique lors d'un débat parlementaire cette semaine à Berlin.
« Vous parlez ici, Madame Weidel, comme la cinquième colonne de Moscou » : les déclarations de la co-présidente de l’AfD au Bundestag ont suscité de vives réactions comme celle du président du groupe parlementaire chrétien-démocrate Jens Spahn. Un social-démocrate a estimé que le parti d’extrême-droite ne défendait pas les intérêts de l’Allemagne mais ceux de la Russie.
Alice Weidel avait auparavant déclaré à la tribune du parlement qu’elle voyait en Donald Trump un porteur d’espoir pour la paix et que seule l’AfD disposait de canaux de dialogue avec les Etats-Unis et avec la Russie. Le parti d’extrême-droite soutient le plan américain pour l’Ukraine, dénonce depuis trois ans les livraisons d’armes à Kiev et plaide pour des relations normalisées avec Moscou à commencer par l’achat de gaz comme dans le passé.

Le co-président de l’AfD Tino Chrupalla : “du commerce pacifique au lieu de livraisons d’armes”


Les liens de l’AfD avec la Russie de Vladimir Poutine ne sont pas nouveaux. Des élus du parti se sont rendus récemment au bord de la mer Noire pour une rencontre de soutien à Moscou. L’un d’eux a déclaré dans une interview : « Des armes allemands tuent des Russes en Ukraine; les armes russes, elles, ne tuent pas d’Allemands, ça n’est pas notre guerre ». Ces liens étroits avec la Russie suscitent toutefois des dissensions au sein de l’AfD entre les responsables dans la partie Est du pays, plus russophiles et ceux de l’Ouest de l’Allemagne sur une ligne plus réservée.

Procès contre l’Antifa

Ils ont été baptisés „le gang des marteaux », leur armée privilégiée pour s’attaquer à leurs opposants politiques. Sept personnes figurent depuis mardi sur le banc des accusés à Dresde dans l’Est de l’Allemagne. Ces militants de « l’Antifa » comprenez de la mouvance de gauche antifasciste se voient reprocher par la justice d’avoir attaqué des militants d’extrême-droite.
Six hommes et une femme comparaissent pour des violences commises entre 2018 et 2023 en Allemagne mais aussi en Hongrie. Leurs victimes étaient des personnes membres de groupes d’extrême-droite ou néo-nazis. Début 2023, les accusés s’étaient rendus à Budapest où se tenait une rencontre internationale de cette mouvance. Plusieurs participants avaient été attaqués.
Le groupe organisait des camps d’entrainement. Lors d’une descente de police dans un dépôt qu’il entretenait en Saxe, de nombreux marteaux, des sprays au poivre, des déguisements et des téléphones portables avaient été retrouvés. Le procès doit durer jusqu’à juillet prochain. Un autre a déjà donné lieu à une condamnation dans le passé. En janvier, un procès s’ouvrira à Düsseldorf contre d’autres membres de la mouvance Antifa.
Ces procédures et les arrestations qui les ont précédées font dire au ministère de l’Intérieur allemand que le danger de ce mouvement a diminué « de façon significative ». L’antifa est dans le collimateur de l’administration Trump qui a classé cette mouvance il y a quelques jours sur une liste d’organisations « terroristes » en Europe.

Les 80 ans du procès de Nuremberg

Il y a 80 ans, le 20 novembre 1945, s’ouvrait à Nuremberg, en Allemagne, un procès historique contre des responsables du IIIe Reich nazi qui a capitulé en mai de la même année. Les quatre alliés vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale n’ont pas opté pour une justice expéditive, mais ont créé un tribunal militaire international chargé de juger les criminels nazis dans le respect de l’État de droit. Des concepts inédits, comme les crimes contre l’humanité, sont posés. Ils fondent les bases du droit pénal international contemporain.

Je vous renvoie à mon reportage sur RFI : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/reportage-international/20251119-allemagne-retour-sur-le-proc%C3%A8s-de-nuremberg-%C3%A0-l-origine-de-la-justice-internationale-il-y-a-80-ans

et sur l’article https://www.rfi.fr/fr/connaissances/20251119-nuremberg-20-novembre-1945-proc%C3%A8s-de-24-dignitaires-et-de-7-institutions-nazis

Les soeurs Kessler, inséparables jusqu’à la mort

Alice et Ellen Kessler étaient célébrissimes en Allemagne et avaient fait une carrière internationale en Italie, en France ou encore aux Etats-Unis. Chanteuses, danseuses et actrices, elles étaient nées en 1936. Après des études de danse classique à Leipzig, elles gagnent l’Ouest de l’Allemagne avec leur famille en 1952. Un responsable du Lido de Paris les repère dans un théâtre de variété à Düsseldorf et les engage. En 1959, elles participent au grand prix de la chanson de l’Eurovision où elles représentent leur pays. Elles feront aussi carrière en Italie. Aux Etats-Unis, elles côtoient Burt Lancaster, Frank Sinatra ou encore Elvis Presley. Alice Kessler fut la compagne du chanteur français Marcel Amont de 1961 à 1968.

Elles se produisent aussi en français comme ici dans une émission avec Claude François et Sacha Distel

Les deux soeurs jumelles se sont suicidées ensemble à 89 ans à leur domicile commun en Bavière. Elles ont eu recours à l’euthanasie accompagnée autorisée en Allemagne.

Lettre d'Allemagne

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Par pascal thibaut

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