Au sommaire également : la réforme du service militaires, l’AfD se déchire sur sa relation avec la Russie, le parti BSW perd sa fondatrice, l’Allemagne veut renvoyer des réfugiés syriens et afghans, la libération de l’écrivain Boualem Sansal, la disparition et le retour du train du nuit Paris/Berlin
Les trois quarts des Allemands ont une opinion négative de leur gouvernement après six mois. Un résultat bien plus mauvais que celui enregistré par la coalition du chancelier Scholz quelques mois après son entrée en fonction. Cette semaine, Friedrich Merz fêtait ses 70 ans. Les médias ont rappelé de façon moyennement élégante qu’aucun chef de gouvernement septuagénaire depuis la guerre n’avait été en poste en Allemagne, à l’exception de Konrad Adenauer. Est-ce l’âge du capitaine ou bien son impopularité ? Les trois quarts des Allemands interrogés ne souhaitent pas un second mandat de Friedrich Merz au terme de l’actuelle législature en 2029. 18% en redemandent.
Cette insatisfaction se traduit dans les sondages. Les chrétiens-démocrates sont en recul par rapport à leur score médiocre des élections de février. Le parti d’extrême-droite AfD est le grand gagnant du blues actuel en Allemagne et fait plus ou moins jeu égal avec les conservateurs. Le durcissement de la politique sécuritaire et migratoire du gouvernement ne dissuade pas les électeurs de se détourner de l’AfD mais confirme plutôt les thèses de l’extrême-droite.
Les analyses montrent aussi que la conjoncture atone et les mauvaises nouvelles régulières sur l’emploi avec des vagues de licenciements inquiètent les Allemands qui attendent d’abord des résultats sur le front économique et social.
Rencontre jeudi dernier des dirigeants de la coalition au pouvoir à bord du MS Germany.
Le premier violon Merz : “A-nous continuons à jouer; B-ça n’est pas le Titanic !”
Non, l’Allemagne ne ressemble pas au Titanic. Et comme souvent, la perception subjective de la population est plus négative que la situation réelle. Les médias dissèquent à longueur de temps les divergences au sein de la coalition Merz entre chrétiens et sociaux-démocrates. Bien sûr, elles existent qu’il s’agisse de la réforme des retraites, de celle de l’aide sociale ou de l’assouplissement de l’interdiction des moteurs thermiques après 2035.
En tout cas sur le net, la chanson “bonne humeur” du groupe Grossstadt Engel rencontre un succès phénoménal : retraités, prêtres, ouvriers du bâtiment, postiers… Tout le monde s’en inspire
Mais en même temps, de très nombreuses réformes prévues dans le contrat de coalition ont déjà été lancées ou adoptées au parlement qui ne chôme pas. Cela vaut notamment pour les fonds massifs hors budget pour booster la Bundeswehr débarrassée du frein à la dette ou pour les infrastructures. Ces réformes historiques expliquent que l’Allemagne se dote d’un budget 2026 avec un endettement record depuis la guerre de près de 180 milliards d’Euros. (En 2020, il avait été encore plus élevé, crise du Covid oblige).
Ces dépenses vont soutenir l’activité en 2026 avec une croissance qui devrait enfin repartir après plusieurs années de récession ou de stagnation. Les “cinq sages” prévoient dans leur rapport présenté cette semaine une croissance l’an prochain de 0,9% comparable à la moyenne de la zone Euro contre 0,2% attendus cette année. Mais les experts comme l’opposition critiquent une utilisation des fonds disponibles qui pourrait être plus efficiente. Ils dénoncent aussi la dérive consistant à financer grâce à ces moyens hors budget des dépenses courantes ou la consommation plutôt que de préparer l’avenir.
Friedrich Merz à qui on a reproché de s’investir plus dans un premier temps dans la politique étrangère que dans les méandres de l’intendance domestique -une critique fallacieuse vu l’état du monde et la maigre présence sur ces dossiers de son prédecesseur Scholz- veut corriger cette impression. La rencontre des dirigeants CDU/CSU et SPD jeudi soir a par exemple accouché de différentes mesures, même si “l’automne des réformes”, une sorte de grand soir qui avait été promis est plutôt synonyme de petites pousses qui demandent à faire leurs preuves. Jeudi soir donc, la coalition s’est mise d’accord sur un tarif d’électricité préférentiel pour les industries énergivore. De 2026 à 2028, la chimie ou la sidérurgie paieront leur kilowattheure cinq centimes. Les dépenses supplémentaires pour l’Etat seront financées par le fonds spécial “Climat et Transformation”. Un feu vert de Bruxelles est nécessaire mais Berlin est optimiste. Des centrales au gaz avec des capacités de 8 à 10 gigawatts sont prévues pour assurer les besoins en électricité quand le renouvelable ne suit pas. Autre décision, la hausse des taxes sur les billets d’avion adoptée l’an dernier sera abandonnée l’an dernier. Les milieux économiques et les compagnies aériennes sont satisfaites. Les défenseurs de l’environnement montent sur les barricades.
La statue célébrant le rôle pionnier de l’Allemagne pour la protection du climat.
Après l’adoption tôt vendredi du budget 2026 par le commission compétente du Bundestag, le vote définitif du texte à la fin du mois fait peu de doute. Une réforme importante du gouvernement est elle sur la sellette, celle des retraites. Le conseil des ministres a adopté plusieurs textes en août notamment une mesure permettant aux retraités à compter de janvier de pouvoir travailler sans que ces revenus ne soient imposables (jusqu’à 2000 Euros par mois. Un autre projet tient à coeur aux sociaux-démocrates à savoir la stabilisation du niveau des retraites jusqu’en 2031 à 48% du salaire brut. Mais les jeunesses chrétiennes-démocrates dénoncent une disposition qui pour les années 2032-2040 impliquerait des coûts supplémentaires de 100 milliards d’Euros. Elles sont vent debout contre une mesure qu’ils estiment être prise sur le dos des plus jeunes générations. Les 18 députés CDU/CSU qui appartiennent à cette organisation refusent pour l’instant de voter le texte cet automne au parlement. La coalition n’ayant que douze voix de majorité, un projet important est donc en cause. HIer, lors du congrès des jeunesses chrétiennes-démocrates, l’accueil pour Merz a été glacial alors que cette organisation a soutenu avec ferveur la candidature et la campagne de l’actuel chancelier.
Au congrès des jeunesses CDU/CSU, le chamboule-tout avec la réforme des retraites comme cible
Comme dans d'autres pays, l'Allemagne procède à une réévaluation de sa politique militaire. Cela passe par des investissements très importants pour l'équipement des forces armées. Mais cela implique aussi une hausse sensible du nombre de soldats actifs et de réservistes. La conscription suspendue il y a quinze ans doit être réintroduite, mais sur une base volontaire. Un compromis entre les partis de gouvernement a été laborieux, mais a été trouvé il y a quelques jours.
”Le service militaire reste pour l’instant volontaire”
Il prévoit un service militaire basé sur le volontariat afin de renforcer une armée en manque de recrues. Lors de ces longues négociations, il a été question un temps de réintroduire une forme de conscription obligatoire pour les hommes et par tirage au sort, mais c’est une version non coercitive qui a été retenue.
Mais l'idée d'une forme de service militaire obligatoire, portée par les conservateurs, peut encore revenir sur la table, selon Jens Spahn, chef du groupe parlementaire CDU/CSU : « Si le service volontaire ne suffit finalement pas, alors le service obligatoire sera aussi nécessaire », a jugé l'élu. Un nouveau texte de loi devrait alors être adopté. Le service obligatoire est « un dernier recours», a répondu le ministre social-démocrate (SPD) de la Défense, Boris Pistorius, chargé du projet de loi.
En revanche, les partis membres de la coalition du chancelier Merz sont d’accord : l’armée allemande, dont les moyens explosent, a besoin à terme de plus d’effectifs. D'après le nouveau texte, qui doit encore être présenté au Parlement, le compromis trouvé prévoit que tous les jeunes de 18 ans reçoivent, à partir de 2026, un formulaire sur leur motivation et leur aptitude. Une réponse est obligatoire pour les hommes, facultative pour les femmes. Les jeunes garçons de 18 ans subiront des tests de sélection.
L’accord sur le service militaire coïncidait la semaine dernière avec le 70ème anniversaire de la Bundeswehr accompagné d’une grande campagne dans la presse.
L’objectif serait que 20 000 d’entre eux effectuent volontairement un service militaire, alors que le chancelier Friedrich Merz a pour ambition de bâtir l'armée conventionnelle la plus puissante d'Europe, pour contrer la menace russe et compenser le désengagement américain. La Bundeswehr leur fait miroiter une solde de 2 600 euros bruts par mois. Si ces objectifs n’étaient pas atteints, le Parlement devrait trouver une solution cette fois plus contraignante. D’après un sondage, 84% des Allemands rejettent le principe d’un tirage au sort.
Cette insatisfaction à l’égard du gouvernement Merz explique sans doute en partie la Merkel-nostagie rampante qu’illustrait récemment la une du magazine “Der Spiegel”. L’ex-chancelière continue inlassablement de promouvoir ses mémoires lors de lectures où des visiteurs se pressent pour l’applaudir. Ils ne sont pas forcément des supporters traditionnels de la CDU. Un sondage montre ainsi que six électeurs sur dix du parti de gauche Die Linke regrettent Merkel et un écologiste sur deux. L’ancienne chancelière évoque pour certains une époque où Mutti les protégeait -à tort ou à raison- des soubresauts de ce bas monde. Si 25% des Allemands souhaitent le retour au pouvoir d’Angela Merkel (une pure hypothèse), 68% sont cependant d’un avis contraire.
Le parti d’extrême-droite s’est illustré dans le passé par sa proximité avec Moscou. Une affinité qui s’est traduite par différents voyages de responsables du mouvement en Russie même ou dans les territoires ukrainiens annexés. Avec le retour au pouvoir de Donald Trump, un autre allié s’impose. Les liens avec Moscou suscitent des débats internes au sein du parti. Certains comme la co-présidente Alice Weidel prône une plus grande retenue. Son homologue Tino Chrupalla est sur une ligne plus russophile. Le fait qu’il soit originaire de l’ex-RDA où une proximité avec Moscou est plus palpable n’est pas un hasard. Alice Weidel a critiqué la visite annoncée d’élus AfD en Russie ces jours-ci. Tino Chrupalla a déclaré lui dans une émission télévisée que Poutine ne lui avait rien fait personnellement, que Moscou ne constituait pas un danger pour l’Allemagne et que c’est plutôt la Pologne qui pourrait un jour en vouloir à sa voisine occidentale.
Le président Frank-Walter Steinmeier le 9 novembre, jour anniversaire de la chute du mur mais aussi des pogroms nazis de 1938, a qualifié l'extrémisme de droite, sans nommer l’AfD, de plus grande menace pour la démocratie. Pour le chef de l’Etat, cette menace n’a jamais été aussi importante depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
C’est un tournant pour le petit nouveau dans le paysage politique germanique. Sahra Wagenknecht, fondatrice début 2024 de ce nouveau parti, se retire de ses fonctions éxécutives. La quinquagénaire quitte sa fonction de co-présidente du mouvement pour diriger à l’avenir une commission de réflexion.
Cette figure de la gauche allemande a fait carrière durant des années au sein du parti “Die Linke” où ses déclarations fermes sur l’immigration ou contre des positions sociétales progressistes ont longtemps irrité ses camarades. Sahra Wagenknecht, oratrice brillante est la coqueluche des talkshows qui ont contribué à sa notoriété. Mais elle n’a jamais brillé par ses talents d’organisatrice et le réseautage n’est pas sa tasse de thé. Elle passe donc la main.
Jeu de mots : le W de Wagenknecht devient “weg” pour “partie”
Le député européen Fabio De Masi doit lui succéder le mois prochain lors du congrès du parti et le diriger aux côtés de l’actuelle co-présidente Amira Mohamed Ali. Le parti qui avait enregistré des succès aux élections européennes de l’an dernier et lors d’élections régionales à l’Est (il participe à deux gouvernements en Thuringe et dans le Brandebourg) a échoué de peu à franchir la barre des 5% pour décrocher un groupe parlementaire au Bundestag en février dernier. Il ne lui manquait que quelques milliers de voix. BSW espère toujours qu’un recomptage des bulletins lui permette d’obtenir gain de cause.
Ce sujet a provoqué des tensions au sein du camp chrétien-démocrate. Le chef de la diplomatie allemande Johannes Wadephul après un déplacement à Damas était revenu choqué par les destructions dues à la guerre et avait estimé qu’il lui paraissait difficile de rapatrier dans ces conditions des Syriens installés en Allemagne. Son collègue de l’Intérieur, le chancelier Merz et d’autres responsables chrétiens-démocrates ont critiqué ces déclarations.
A l’hôpital : ”Et que se passe-t’il si nos collègue syriens partent ?” “Et bien, ça sera ici comme à Aleppo”
Ces personnes estiment que l’état du pays n’empêche pas le retour des Syriens. Berlin veut dans un premier temps expulser comme ces derniers mois vers l’Afghanistan des criminels condamnés en Allemagne. Des personnes disposant d’un statut provisoire pourraient ensuite être renvoyées vers la Syrie.
L’Allemagne a accueilli environ un million de Syriens qui avaient fui la guerre dans leur pays. Ils sont nombreux à disposer d’un statut dit subsidiaire qui normalement prend fin avec la fin de la guerre.
Berlin ne reconnait pas le régime de Kaboul et pourtant des émissaires afghans dirigent depuis peu l’ambassade de ce pays à Berlin et le consulat à Bonn. Le gouvernement Merz veut pouvoir expulser des Afghans vers leur pays. Pour cela, ces personnes ont besoin de papiers que Kaboul doit leur établir. D’où la décision d’accueillir ces diplomates talibans.
Le consulat général afghan à Bonn
Le gouvernement allemand a renvoyé au début de l’été 80 personnes vers l’Afghanistan condamnées pour des crimes commis dans leur pays d’accueil après de longues négociations. Mais Berlin veut désormais que de tels transferts deviennent réguliers. Une délégation allemande était il y a quelques semaines à Kaboul. Cette stratégie dénoncée par les partis de gauche dans l’opposition comme par des organisations de défense des droits de l’homme fait partie du durcissement de la politique migratoire du gouvernement Merz. Un durcissement qui se veut aussi une réaction à la montée de l’extrême-droite.
Des Afghans vivant en Allemagne sont alarmés. Une manifestation de protestation a eu lieu devant le consulat de Bonn. Certaines personnes interrogées se demandent si les délais pour le renouvellement d’un passeport sont normaux ou si les nouveaux responsables passent au crible le soutien ou non des visiteurs au régime taliban. Jusqu’à l’an dernier, beaucoup de représentations afghanes étaient dirigées par des personnes nommées avant les talibans. Mais depuis, le régime veut reprendre en main ces établissements.
Le consulat de Bonn joue un rôle important, car les données d’Afghans à l’étranger installés en Europe, au Canada et en Australie y sont conservées avec de nombreuses données personnelles. Ceux qui ne soutiennent pas le régime taliban s’inquiètent des répercussions pour eux - on pense aux agissements des services secrets afghans à l’étranger-, mais ils craignent aussi pour leurs proches restés dans leur pays d’origine.
L’ambassade afghane à Berlin
Parallèlement Berlin remet en cause des promesses passées pour accueillir des ressortissants de ce pays qui ont travaillé pour l’Allemagne avant l’arrivée au pouvoir des Talibans et sont menacées. Berlin s’était engagé à rapatrier ces personnes menacées par le régime taliban. 33 000 ont été accueillies depuis 2021. Mais aujourd’hui, l’Allemagne traine les pieds. 2 000 personnes attendent angoissées au Pakistan. Certains obtiennent au compte-goutte satisfaction après avoir saisi la justice allemande. Berlin a proposé à ces personnes de l’argent pour renoncer à leurs prétentions. Dans une lettre ouverte au chancelier Friedrich Merz, beaucoup ont refusé, craignant pour leur vie en cas de retour en Afghanistan.
La nouvelle n’a pas fait la une des médias ici en Allemagne contrairement à la France. Pourtant, le président Frank-Walter Steinmeier a joué un rôle central dans la libération de l’écrivain franco-algérien. Des contacts avaient été noués depuis plusieurs mois entre Berlin et Alger. L’Allemagne a pour des raisons évidentes une relation plus apaisée que la France avec l’Algérie. Et Steinmeier entretient de bonnes relations avec son homologue Tebboune. L’hospitalisation de ce dernier à deux reprises en Allemagne durant la pandémie de Covid où sa situation était critique peut expliquer une certaine dette à l’égard de Berlin. Mais approuver la demande de grâce formulée officiellement lundi dernier par Frank-Walter Steinmeier évitait à Alger de “faire un cadeau” à la France.
Mercredi, un avion militaire allemand a donc transporté Boualem Sansal vers Berlin où l’écrivain a été hospitalisé pour des examens avant de regagner la France.
L’éditeur allemand de Boualem Sansal s’est félicité de la libération de l’écrivain et a remercié tous ceux qui y ont contribué. La plupart des livres du Franco-Algérien ont été traduit en allemand où le monde culturel s’est mobilisé pour sa libération. L’écrivain avait obtenu en 2011 le célèbre Prix de la Paix remis chaque année lors de la foire du livre de Francfort.
L’Europe du ferroviaire n’est pas un long fleuve tranquille. En 2014, la Deutsche Bahn avait mis fin à son offre entre les deux capitales jugée trop peu rentable. Les amateurs de transports nocturnes avaient ensuite pu prendre le train Moscou/Paris qui lui a déraillé en 2020, Covid oblige. Il y a bientôt deux ans, une nouvelle liaison était lancée en grande pompe. Le Nightjet disparait donc à la mi-décembre après la décision du ministère français des Transports de retirer sa subvention à la SNCF.
Un énième épisode de cette série au long cours s’annonce déjà : la coopérative belgo-néerlandaise European Sleeper a annoncé vouloir lancer un train de nuit trihebdomadaire le 26 mars 2026 entre Paris et Berlin. Les ventes de billets devraient débuter à la mi-décembre. Leurs prix ne sont pas encore connus. La nouvelle ligne aura un trajet plus nordique que l’actuelle. European Sleeper va prolonger son actuelle liaison Bruxelles-Hambourg- Berlin-Prague.