"Schafft er das?"-"Y arrivera-t'il ?" : dix ans après la célèbre phrase de Merkel sur les réfugiés dont il sera aussi question dans cette "Lettre d'Allemagne", Friedrich Merz parviendra-t'il à mener à bien une réforme en profondeur des systèmes sociaux (retraites, assurance maladie, aide sociale...) dont l'Allemagne a besoin ?
Après avoir ouvert les cordons de la bourse au printemps (fonds hors budget de 500 milliards pour les infrastructures et disparition du frein à la dette pour la Bundeswehr) et adopté diverses mesures pour relancer la conjoncture, Friedrich Merz a promis “un automne des réformes” pour l’Etat providence. Le chancelier a déclaré cet été lors d’un meeting électoral que l”Etat social n’était plus “finançable dans sa forme actuelle”.
Comme en France (voir endettement et déficit du budget), tout le monde ou presque s’accorde à dire que des réformes sont nécessaires. Mais malgré des mises en scène estivales où la coalition CDU/CSU-SPD a surjoué son harmonie éternelle, la méfiance rôde entre les partenaires de ce mariage de raison. Entre des chrétiens-démocrates aux accents libéraux messianiques qui peuvent donner l’impression d’être en guerre ouverte contre un Etat providence trop généreux où des coupes claires seraient nécessaires et des sociaux-démocrates arcboutés dans la défense bec et ongles du statu quo, encore tramatisés vingt plus tard par les réformes sociales de Gerhard Schröder, trouver un consensus n’est pas simple.
La ministre des Affaires sociales Bärbel Bas (SPD) avait répliqué “Bullshit” pour commenter les déclarations de son patron, le chancelier Merz, évoquant un Etat social qui ne serait plus finançable. Mais sinon, chrétiens et sociaux-démocrates s’entendent super bien.
Mais les faits sont têtus. Malgré les centaines de milliards d’Euros débloqués au printemps pour les années à venir, le bouclage du budget régulier s’avère difficile. Les comptes sociaux souffrent de l’anémie de l’économie allemande et du vieillissement de la population. Les coups de pousse budgétaires pour soutenir le système de retraites, la sécu ou l’assurance dépendance augmentent. Le départ des baby boomers de al vie active va accélérer les problèmes. Si la part du budget de l’Etat consacrée à ces dépenses augmente, l’argent risque de manquer ailleurs. Une augmentation des cotisations nuit à l’économie et au pouvoir d’achat des salariés. Des réformes structurelles doivent permettre au système de survivre sur la durée. Pour éviter de paniquer, une étude relativise des débats enflammés : si les dépenses sociales ont progressé notablement en chiffres bruts, elles restent stables rapportées au produit intérieur brut qui a lui doublé en 25 ans en Allemagne.
”Pauvre Allemagne” titrait le journal il y a deux semaines
Les esprits se sont beaucoup échauffés cet été sur l’aide sociale, en allemand “l’argent citoyen” ou “Bürgergeld”. Cette prestation de 563 Euros pour un adulte (plus prise en charge du loyer et des charges locatives) concentre les critiques des conservateurs qui dénoncent une prestation trop élevée qui dissuaderait ses bénéficaires de travailler. L’extrême-droite, elle, tire à boulets rouges sur des dépenses qui profitent -devinez!- à trop d’étrangers (la moitié des 5,4 millions de bénéficiaires). Certes, les coûts augmentent, notamment après l’arrivée de nombreux Ukrainiens qui perçoivent cette allocation, mais elle ne représente que 4% des dépenses sociales du pays. Les gros postes où des réformes sont prioritaires sont les retraites et les dépenses de santé (29% et 25%). Déjà, on a vu le chancelier Merz réduire ses ambitions sur la réduction des dépenses pour le “Bürgergeld”. Dans un éditorial au vitriol, le quotidien populiste “Bild Zeitung” dénonçait une promesse électorale de plus que Friedrich Merz aurait sacrifié (après le frein à la dette).
”La fin d’une erreur” pour l’hebdomadaire conservateur
Sur les retraites, la ministre chrétienne-démocrate Katharina Reiche a cet été secoué un chiffon rouge en affirmant : “Trop de gens refusent depuis trop longtemps d’accepter la réalité démographique. Nous devons travailler davantage et plus longtemps” suggérant de repousser le départ à la retraite à 70 ans. Une revendication que d’autres dans son parti partagent sans doute mais que la CDU avait soigneusement évité de faire figurer dans son programme électoral. Pour le SPD, une telle mesure est exclue. Mais c’est un ministre social-démocrate d’un gouvernement Merkel qui a fait passer (progressivement) l’âge de départ de la retraite de 63 à 67 ans… Récemment, le vice-président du SPD, le ministre des Finances Lars Klingbeil, a loué les “réformes courageuses” de Gerhard Schröder alors que l’ancien chancelier est devenu un pestiféré dans son parti (et au-delà) en raison de sa connivence avec Vladimir Poutine.
Alors que la conjoncture en Allemagne reste morose (le chômage a atteint la barre des trois millions, plusieurs instituts de conjoncture ont revu leurs pronostics à la baisse), le salon de l’automobile de Munich a de nouveau été l’occasion d’illustrer les difficultés du pays à travers celles d’un secteur phare.
Ce grand rendez-vous international qui alterne avec son homologue de Paris était marqué à nouveau par une forte présence chinoise. Mais les constructeurs automobiles allemands répliquent avec des produits nouveaux face à cette concurrence.
“L’industrie automobile allemande peut-elle être encore sauvée ?” : Le titre du très sérieux quotidien “Süddeutsche Zeitung” de Munich a pu surprendre. Certes, les mauvaises nouvelles s’accumulent. La concurrence chinoise -40% d’exposants supplémentaires cette année au salon de Munich, la valse de droits de douanes américains, des erreurs notamment le flop des premiers modèles électriques en Allemagne- font fondre les bénéfices de Volkswagen, BMW ou Mercedes. Et les parts de marché se réduisent. Sur les 1,2 million d’emplois de cette branche cruciale en Allemagne, 55 000 ont été supprimés depuis 2019; 90 000 seraient menacés d’ici 2030 d’après une étude.
Pourtant les constructeurs allemands ont débarqué à Munich avec de nouveaux modèles qui se veulent plus performants que leurs concurrents étrangers. Ils doivent encore convaincre les consommateurs. Autre option pour sauver les meubles : obtenir des assouplissements voire une remise en question du calendrier sur la réduction des émissions de CO2 pour sauvegarder les véhicules thermiques. La droite allemande y est favorable. Le chancelier Merz a réclamé plus de flexibilité de Bruxelles et a annoncé un sommet sur l’automobile dans les semaines qui vienent à Berlin.
Je vous renvoie au site de RFI avec mon récit des événements il y a dix ans : https://www.rfi.fr/fr/europe/20250831-wir-schaffen-das-dix-ans-plus-tard-la-politique-migratoire-d-angela-merkel-divise-l-allemagne
et au bilan aujourd’hui :
Le parti d’extrême-droite bas des records dans les sondages au niveau national et fait jeu égal ou devance parfois d’une courte tête les chrétiens-démocrates avec environ 25% des intentions de vote. Visiblement, le coup de barre à droite du nouveau gouvernement Merz sur l’immigration et la sécurité ne permet pas aux conservateurs de faire baisser l’AfD.
”Le bilan des 100 jours du gouvernement Merz”
Partout, la droite copie les recettes de l’extrême-droite alors que toutes les analyses démontrent que cela profite aux populistes. L’immigration est uniquement présentée depuis des mois comme un danger et toutes les mesures annoncées ont pour but de la réduire, d’expulser plus massivement les personnes en situation irrégulière ou d’empêcher un regroupement familial déjà minime. Berlin au passage s’asseoit sur ses engagements et trainent des pieds pour tenir ses promesses de rapatrier des Afghans qui ont travaillé pour l’Allemagne et sont menacés par le régime taliban. Tout cela par peur de l’extrême-droite.
Les dix ans de “Wir schaffen das” n’ont pas été l’occasion pour la classe politique de mettre en valeur les formidables exemples d’intégration afin de souligner que la migration dont l’Allemagne a besoin ne se réduit pas à des islamistes armés de couteaux et à des violeurs en série.
L’AfD montre un talent certain à dénoncer la politique du gouvernement Merz comme une pâle copie des mesures du parti d’extrême-droite et affirme en permanence que seul le mouvement d’extrême-droite a les bonnes recettes. Son succès auprès des électeurs ne se dément pas.
Le sondage ci-dessus dans la région de Saxe-Anhalt où l’on vote dans un an est venu souligner un peu plus le danger d’une prise du pouvoir de l’AfD dans un Land de l’Est. Le parti obtient ses plus grands succès dns l’ex-RDA. Avec 39% dans ce sondage, l’extrême-droite atteint un score historique dans cette région.
Ce dimanche, on attend fébrile le résultat des élections municipales et locales dans la plus grande région d’Allemagne, la Rhénanie du Nord Westphalie, à l’Ouest cette fois, où une percée de l’AfD, notamment dans les fiefs SPD de la Ruhr, est à craindre. Deux régionales en Rhénanie Palatinat et dans le Bade Wurtemberg au printemps prochain devraient confirmer la montée en puissance du mouvement dans la partie Ouest du pays.
Les démêlés judiciaires de certains responsables de l’AfD ne nuisent en rien à l’attractivité du parti. Cette semaine, une figure des plus sulfureuses du mouvement d’extrême-droite a vu son immunité parlementaire levée. Des perquisitions ont eu lieu à Berlin, Dresde et Bruxelles dans des bureaux et appartements de Maximilian Krah, député au Bundestag. Connu pour ses prises de position favorables à la Russie et à la Chine, l’élu est soupçonné de corruption et de blanchiment d’argent en lien avec Pékin. Le magazine « Der Spiegel » évoque des versements reçus entre 2019 et 2023 de plus de 50 000 Euros via des sociétés proches d’un ex-assistant parlementaire de Maximilian Krah au parlement européen. Un procès contre cet ancien collaborateur du député d’origine chinoise se déroule actuellement. On lui reproche d’avoir espionné au profit de Pékin. Maximilian Krah a après la levée de son immunité parlementaire dénoncé des «accusations absurdes » et évoqué une « tentative d’intimidation ». (voir message sur X ci-dessous)
L’AfD a réclamé une enquête transparente et rapide sans soutenir explicitement le député incriminé. Maximilian Krah avait été banni des instances dirigeantes du parti d’extrême-droite l’an dernier. La tête de liste du mouvement pour les élections européennes avait affirmé que tout membre de la SS nazie « n’était pas automatiquement un criminel ». Une sortie qui avait provoqué une rupture entre l’AfD et le Rassemblement National en France.
Jeudi, la figure la plus radicale de l’AfD, Björn Höcke, a vu son appel en cassation rejeté. La condamnation du député de Thuringe est donc confirmée en dernière instance. Il avait utilisé le slogan de la SA, les troupes d’assaut nazies, “Alles für Deutschland/Tout pour l’Allemagne”, prétendant qu’il ne connaissait pas la référence au Troisième Reich. La justice a rejeté l’argumentation de l’ancien prof d’histoire.
La formule “Alles für deutschland” ornait les poignards qui faisaient partie de l’uniforme de la SA et ont été distribués à au moins un million de membres de l’organisation nazie
L’été a été aussi marqué par l’histoire rocambolesque du néo-nazi Sven Liebich qui a changé de sexe ce que permet depuis l’année dernière par une simple mention à l’état civil une nouvelle loi. Cet homophobe qui a organisé dans sa région, la Saxe-Anhalt, des manifestations contre les marches des fiertés voulait par là se moquer d’un texte honni par les milieux d’extrême-droite qui en Allemagne comme ailleurs font des questions de genre une bataille culturelle. Sven Liebig, pardon Marla-Svenja Liebich, condamné.e pour “incitation à la haine” ne s’est pas présenté comme prévu à la prison pour femmes de Chemnitz pour purger sa peine. Il est depuis en fuite et nargue la police allemande comme avec cette publication sur les réseaux sociaux:
”bons baisers de Russie-James Bond” avec Marla-Svenja Liebich à gauche
Les derniers soubresauts de la politique française ont été intensément suivis en Allemagne. « Kaputt » : pour le quotidien populaire « Bild Zeitung », amateur de titres accrocheurs, le gouvernement français est « cassé».
« La France en crise, l’Europe en danger ? » : la une du quotidien « Tagesspiegel » ci-dessous résumait bien lundi dernier le sentiment ambiant en Allemagne.
Berlin s’inquiète de l’instabilité politique de son principal partenaire à l’heure, où le couple Macron/Merz parait plus harmonieux que celui que composait le président français et le chancelier Scholz. La perspective de nouvelles initiatives communes dans les prochains mois est hypothéquée juste après un conseil des ministres franco-allemand à Toulon où de nombreux projets bilatéraux ont été listés. Et à nouveau, on s’inquiète ici du risque pour l’Europe d’une possible victoire du Rassemblement National à la présidentielle de 2027.
La classe politique allemande reste prudente et a évité de donner des leçons à ses voisins. Le ministre de l’Europe Gunter Krichbaum estime que la continuité l’emportera avec un nouveau gouvernement français.
”The show must go on” (au centre on lit “démission”)
L’autre grande crainte en Allemagne, ce sont les retombées pour l’Europe des difficultés françaises avec un endettement qui pourrait pour certains provoquer une nouvelle crise de la zone Euro. Mais la France n’est pas la Grèce soulignent les plus inquiets qui redoutent déjà de voir l’Allemagne et ses voisins payer l’ardoise française
Le futur directeur de l’orchestre philharmonique de Munich, Lahav Shani, ne pourra pas diriger un concert de cette formation au festival de Flandre à Gand le 18 septembre. Les organisateurs lui reproche de ne pas avoir “suffisamment clarifié” son attitude à l’égard du gouvernement Netanyahu et de l’offensive de ce dernier à Gaza.
Lahav Shani aujourd’hui directeur musical de l’orchestre philharmonique d’Israël doit prendre la direction de la formation de Munich dans un an. Formé en partie à Berlin, il a dirigé plusieurs fois le West-Eastern Divan Orchestra, un ensemble fondé par Daniel Barenboim et qui réunit des musiciens palestiniens, arabes et israéliens.
En Allemagne, la décision du festival de Gand a suscité de violentes critiques. Le nouveau ministre fédéral de la Culture Wolfgang Weimer a dénoncé un “boycottage culturel” et évoqué “un antisémitisme pur et simple”. (voir déclaration ci-dessus). La ville de Berlin a décidé de réagir. L’orchestre munichois se produira lundi dans la capitale allemande sous la direction de Lahav Shani dans le cadre du festival “Musikfest”.
Cela fait parfois du bien de tordre le cou aux clichés. Par exemple, celui d’une Allemagne ordonnée et rigoureuse où des irrégularités que l’on soupçonnerait plutôt dans des républiques bananières ou dans des pays méridionaux sont possibles. Ainsi à Duisbourg où une enseignante est en arrêt maladie depuis seize ans. Jamais son aptitude à exercer à nouveau ses fonctions n’a été évaluée. Un directeur arrivé à la tête de l’établissement il y a dix ans n’avait même jamais entendu parler de cette enseignante. L’intéressée a perçu depuis 2009 l’intégralité de son salaire soit entre 5000 et 6000 Euros par mois d’après le quotidien “Bild Zeitung”. (oui, il vaut mieux être prof en Allemagne qu’en France…). Des années après, l’inspection scolaire se réveille et exige de l’enseignante qu’elle passe un examen médical. Mais l’intéressé se rebiffe et a saisi la justice.