Les 100 jours de Merz : pas de lune de miel pour une coalition lune de fiel

CDU/CSU et SPD gouvernent ensemble l'Allemagne depuis début mai. Des moyens budgétaires sans précédent ont été débloqués pour relancer l'économie. Friedrich Merz a remis le pays en selle sur la scène internationale. Mais les conflits restent latents au sein de la coalition. Les réformes sociales à venir en seront un exemple.

Lettre d'Allemagne
8 min ⋅ 08/08/2025

La coalition entre chrétiens et sociaux-démocrates fêtera bientôt ses cent jours au pouvoir. Elle avait promis juré qu’elle éviterait les chamailleries permanentes qui ont plombé le gouvernement Scholz. Mais les doutes sont permis tant il est clair que ce mariage de raison -le cinquième du genre depuis la création de la république fédérale- associe deux forces aux intérêts contradictoires. Il est vrai que ces partis sont plus éloignés idéologiquement que sous Angela Merkel qui avait gouverné durant trois législatures sur quatre avec le SPD. La CDU n’est plus sur une ligne centriste comme celle que représentait l’ancienne chancelière, considérée par d’aucuns comme une sociale-démocrate light. Les chrétiens-démocrates emmenés par Friedrich Merz sont aujourd’hui sur une ligne plus conservatrice (immigration, sujets sociétaux, politique économique). Le SPD, lui, a opéré un virage à gauche. Les sociaux-démocrates sur la défensive sur les réformes sociales à venir vont tout faire pour éviter ce qu’ils considèrent comme un détricotage de l’Etat Providence.

On voit déjà que dans la torpeur de l’été des ballons d’essai prennent leur envol alors qu’un contrat de coalition, négocié pied à pied, prévoit pourtant par le menu les mesures à mettre en oeuvre durant les quatre ans à venir. La ministre de l’Economie chrétienne-démocrate qui se veut l’égérie libérale du gouvernement agite sous le nez du SPD un chiffon rouge estimant que les Allemands devraient travailler plus longtemps; des sociaux-démocrates rêvent comme souvent de hausses d’impôts pour les plus riches. Autant de propositions qui donnent du baume au coeur de certains à droite ou à gauche mais n’ont aucune chance d’être mises en oeuvre en raison chaque partenaire étant strictement opposé aux propositions de l’autre.

”Circulez ! Il n’y a absolument rien à voir” explique le chef de la chancellerie alors que les querelles au sein de la coalition rappellent dans ce dessin les combats homériques des Gaulois dans le village d’Asterix.

Le bilan de Friedrich Merz après bientôt 100 jours “se laisse voir” (comme on dit ici). Des moyens budgétaires énormes ont été débloqués pour relancer l’économie et investir massivement alors que les infrastructures allaient à vau l’eau. Ces dépenses doivent permettre à la conjoncture allemande atone de reprendre des couleurs malgré les tarifs douaniers de Donald Trump. Mais déjà, on voit comment des décennies d’orthodoxie budgétaire ne s’oublient pas. Les commentaires évoquent souvent le danger de cet endettement supplémentaire pour le pays et les générations futures. Les opportunités que peuvent signifier une modernisation du pays passent à la trappe.

Sur le front régalien, Friedrich Merz a tenu ses promesses sur l’immigration, même si de nombreuses mesures relèvent plus de l’affichage pour convaincre les électeurs, surtout ceux qui sont déjà ou pourraient être tentés par l’extrême-droite. Des contrôles aux frontières ont été mis en place immédiatement, des vols charters ont été organisés pour rapatrier des Afghans criminels, le regroupement familial a été réduit.

Friedrich Merz a fait bonne figure sur la scène internationale. En Europe, les liens avec Paris ont été restaurés. A Bruxelles, l’Allemagne est de retour après un Olaf Scholz plutôt discret. La visite à la Maison Blanche s’est déroulée sans drame avec Donald Trump. Avec des moyens illimitées pour la Bundeswehr, Merz pourra tenir sans doute ses promesses de faire de l’armée allemande la première en Euroe et respecter les dépenses exigées à moyen terme (5% du PIB) par l’OTAN.

Mais les sondages le montrent : l’extrême-droite reste créditée d’un score historiquement élevé et fait dans certaines études d’opinion jeu égal avec les chrétiens-démocrates à la peine. La cote de popularité de Merz qui n’a jamais été phénoménale recule sensiblement. Les 2/3 des Allemands sont insatisfaits du chancelier. Sept personnes sur dix jugent le bilan du nouveau gouvernement négatif (recul de 10 points en un mois dans un sondage ARD). L’abandon d’une promesse de campagne -la baisse d’une taxe sur l’électricité pour les particuliers- est très mal passée. La cacophonie autour de la nomination de trois nouveaux juges à la cour constitutionnelle a symbolisé la gestion amateure d’un dossier a priori non central pour la coalition au pouvoir. La candidate Frauke Brosius-Gersdorf a abandonné ce jeudi après avoir été rejetée par les chrétiens-démocrates (CDU/CSU et SPD avaient pourtant adopté ensemble en commission les noms des trois impétrants). Pour les élus conservateurs, la candidate était trop à gauche en raison de ses positions jugées trop libérales sur l’avortement. Une campagne à la MAGA de médias extrémistes et sur les réseaux sociaux a attisé par des contre-vérités une polémique indigne que même Friedrich Merz a dénoncé.

Budget : des investisssements inédits et des hypothèques

Le gouvernement vient de présenter son budget pour 2026 ainsi que ses prévisions budgétaires pour la législature. La levée du frein à la dette pour la Bundeswehr au printemps ainsi que la mise en place d’un fonds de 500 milliards pour la modernisation des infrastructures se traduisent dans les chiffres. Berlin prévoit l’an prochain un investissement record de 126 milliards d’Euros. Les dépenses de Défense augmenteront d’un tiers pour atteindre 83 milliards d’Euros.

Le coffre-fort du ministre des Finances est rempli à craquer avec des centaines de milliards d’Euros; pourtant Lars Klingbeil doit faire la manche : “ça parait bizarre mais malgré tout ça ne suffit pas !”

Au total, l’endettement total devrait augmenter de 850 milliards d’Euros au cours des prochaines années. Malgré des ressources importantes, une impasse budgétaire conséquente demeure avec 170 milliards à trouver d’ici 2029. Déjà, plus de trente milliards manquent pour ficeler le budget 2027. Le ministre des Finances et vice-chancelier, le social-démocrate Lars Klingbeil reconnait que la croissance supplémentaire et des recettes fiscales à la hausse ne suffiront pas pour combler cette impasse. Les négociations au sein du gouvernement seront difficiles l’an prochain. Des coupes budgétaires modestes ne seront pas suffisantes. Les dépenses sociales (aide sociale, versements de l’Etat au système de retraites) seront passées au crible alors que de récentes mesures viennent de les augmenter. De nombreux experts réclament des réformes structurelles.

Patrons et gouvernement main dans la main pour relancer l'économie à coups de milliards

https://www.rfi.fr/fr/europe/20250722-allemagne-patrons-et-gouvernement-main-dans-la-main-pour-relancer-l-%C3%A9conomie-%C3%A0-coups-de-milliards

”Les entreprises allemandes agissent : nous investissons 631 milliards pour renforcer notre économie”

La réforme de l’aide sociale :
ballon d’essai de Markus Söder contre les réfugiés ukrainiens

Ce projet figure à l’ordre du jour du gouvernement cet automne. La prestation baptisée “Hartz 4” après les profondes réformes du modèle social allemand par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder au début des années 2000 était un symbole honni par beaucoup à gauche et a eu des conséquences électorales douloureuses pour le SPD. Le gouvernement Scholz a débaptisé cette prestation pour en faire un “Bürgergeld” ou “argent citoyen” moins rigide pour les bénéficiaires. A droite, à l’inverse, ce changement a été dénoncé comme une mesure réduisant la pression sur les bénéficiaires; les augmentations sensibles ces dernières années ont renforcé les critiques contre une aide qui dissuaderait les bénéficiaires de travailler. Aujourd’hui, un adulte perçoit 563 Euros par mois; son loyer et ses charges locatives sont payées par le Jobcenter ainsi que sa couverture maladie.

”Le festival d’été de Söder” avec le président de la CSU qui raffole du carnaval.

Le ministre-président de la Bavière a proposé le week-end dernier pour faire des économies que les réfugiés ukrainiens qui touchent cette prestation -aujourd’hui 700 000 personnes sur 1,2 million arrivées depuis 2022- perçoivent à l’avenir la prestation dévolue aux demandeurs d’asile de 441 Euros par mois. La proposition de Markus Söder a provoqué de nombreuses réactions négatives. D’abord elle contredit le contrat de coalition conclu entre chrétiens et sociaux-démocrates et qui prévoit que seuls les Ukrainiens arrivés après le 1er avril 2025 doivent toucher à l’avenir l’aide pour les demandeurs d’asile.

La proposition de Markus Söder sous-entend entre les lignes par ailleurs que les Ukrainiens préféreraient le confort de l’aide sociale à un travail en bonne et due forme. Mais cette thèse est démentie par des enquêtes sur ces réfugiés qui montrent leur volonté de travailler. Mais les règles rigides du marché du travail allemand, la nécessité d’apprendre la langue et la difficile prise en charge des enfants expliquent un taux d’activité encore bas. 

Les dépenses pour l’aide sociale sont de plus en plus importantes -47 milliards cette année. Durant la campagne électorale, les chrétiens-démocrates ont dénoncé des dépenses trop élevées. La pression pourrait donc augmenter pour contraindre les 5,5 millions de personnes concernées d’accepter un emploi, faute de quoi le montant de leur aide sociale pourrait être amputée.

Une autre piste pour faire des économies concerne la prise en charge du loyer et des charges des bénéficiaires qui pourrait baisser. Cette option a été évoquée récemment par Friedrich Merz. Elle est déjà mise en oeuvre localement lorsque les loyers des prestataires sont jugés trop élevés pour justifier une prise en charge à 100%. Il est clair que cette réforme va susciter des tensions importantes au sein de la coalition dans les mois qui viennent.

La réforme des retraites : l’insoluble serpent de mer

Le chantier numéro un en matière sociale reste celui des retraites dans un pays vieillissant. Si en 1992, 2,7 cotisants finançaient un retraité, le rapport ne sera plus que de moitié d’ici 2050 sans réforme en profondeur. Et les retraités dont l’espérance de vie augmente touchent logiquement leurs pensions plus longtemps (18,8 ans pour les hommes en 2023 contre 13,6 en 1998; pour les femmes, on est passé de 18,4 à 22,1 ans).

Les options sont connues : augmenter les cotisations retraite, le financement de l’Etat (déjà un quart du budget fédéral est utilisé à cette fin) ou bien repousser l’âge de départ légal à la retraite. La ministre chrétienne-démocrate de l’Economie Katharina Reiche qui se veut l’égérie libérale du nouveau gouvernement a récemment agité un chiffon rouge sous le nez de ses partenaires de coalition sociaux-démocrates en estimant que les Allemands devaient travailler jusqu’à 70 ans. Une réforme que le SPD n’acceptera jamais. On notera que la proposition de la ministre de l’Economie a donné lieu à un silence tonitruant chez ses camarades de parti chrétiens-démocrates. La CDU/CSU sait combien le sujet est explosif et impopulaire et préfére ne pas se brûler les doigts.

”Est-ce que nous ne travaillons pas assez ?”

Mercredi, en conseil des ministres, les sociaux-démocrates ont marqué un point avec un projet de loi qui prévoit une stabilité des retraites à 48% du salaire moyen jusqu’en 2031. Le SPD rejette toute hausse de l’âge légal de départ à la retraite bien que de nombreux experts l’estiment inévitable. Mais une commission pour une réforme en profondeur va être mise en place à l’automne. A l’automne, une loi doit permettre aux retraités de travailler sans payer d’impôts jusqu’à 2000 Euros de revenus mensuels. Les enfants de six à 18 mois doivent toucher à l’avenir dix Euros par mois de l’Etat pour se constituer une épargne pour l'avenir.

La ministre des Affaires sociales, Bärbel Bas, l’égérie sociale du SPD veille au grain et rassure les retraités : “Tant que je suis là, vous n’avez pas à avoir peur de Madame Reiche !”

Israël/Gaza : le grand écart du gouvernement allemand

« Incompréhension », « inacceptable » : les adjectifs qui sont utilisés depuis quelques semaines par Berlin pour évoquer la politique du gouvernement israélien et la situation à Gaza peuvent paraitre au premier abord peu originaux. Mais dans un pays où le soutien à Israël fait partie de l’ADN national, cette rhétorique plus offensive du gouvernement Merz n’est pas anodine. Mais elle atteint ses limites face au gouvernement israélien. Berlin joue sa crédibilité face à ses partenaires aux positions plus fermes même si le positionnement particulier de l’Allemagne pourrait lui permettre idéalement de jouer un rôle de médiateur. Le gouvernement Merz est aussi sous pression dans son propre pays. L’opinion publique condamne très largement la politique israélienne. Dans un sondage hier, les deux tiers des personnes interrogées attendent de leur gouvernement qu’il fasse pression sur Israël. Et au sein de la coalition, des sociaux-démocrates réclament un positionnement plus ferme voire des sanctions.

”Gaza, un crime”


Après la visite du ministre des Affaires étrangères allemand en Israël et en Cisjordanie la semaine dernière, le ton a monté d’un cran mais sans aucune conséquence. Friedrich Merz risque sa crédibilité. Le chancelier doit aussi composer avec des voix divergentes au sein de son propre camp. La CSU bavaroise fait preuve d’une fidélité sans faille à l’égard d’Israël. Au sein de la CDU, certains ne veulent pas exclure des sanctions contre l’Etat hébreu; d’autres estiment qu’il s’agirait d’une trahison à la “raison d’Etat”, ce soutien infallible à Israël.

”Raison d’Etat : est-ce que Merz vacille ou bien reste-t’il ferme ?” s’interrogeait le quotidien “Bild Zeitung”. Le groupe Springer est traditionnellement un soutien sans faille d’israël.

Face à cette impasse rhétorique, le gouvernement allemand a décidé ce vendredi de franchir un nouveau pas, même très symbolique : Berlin suspend les livraisons d’armes à Israël que l’Etat hébreu pourrait utiliser à Gaza. Dans les faits, il s’agit de bien peu de choses et cette mesure mi-chèvre mi-chou ne va pas beaucoup impressionner le gouvernement Netanyahu. Mais elle est pour l’Allemagne symboliquement forte. D’ailleurs, dans les coulisses, elle provoque des remous au sein du camp chrétien-démocrate.

Reconnaissance de la Palestine: «Quatre raisons au virage diplomatique allemand vis-à-vis d'Israël»

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Chinese connection à l’AfD

C’est un procès politiquement sensible pour l’AfD, le parti d’extrême-droite allemand qui a commencé mardi à Dresde. Un ancien assistant parlementaire d’origine chinoise d’un eurodéputé du parti d’extrême-droite est accusé d’avoir livré des informations sensibles aux services secrets de Pékin. Au-delà du cas de cette personne, il en va aussi des liens de l’AfD avec la Chine mais aussi d’informations ivrées sur les querelles internes au sein de l’AfD et qui pourraient nuire à l’image du mouvement.

Jian G. est arrivé en 2001 pour faire ses études en Allemagne. Il aurait été envoyé par Pékin comme informateur. Le quadragénaire devient en 2019 l’assistant de Maximilian Krah au parlement européen. Cette personnalité sulfureuse qui conduit la liste de l’AfD aux européennes l’an dernier est mis sur la touche après ses déclarations selon lequelles chaque membre de la SS n’était pas un criminel. Le Rassemblement National rejette ensuite toute alliance avec l’AfD.


L’assistant de Maximilian Krah a transmis environ 500 documents du parlement européen, en partie sensibles, aux autorités chinoises. Il s’est par ailleurs fait passer pour un opposant à Pékin en Allemagne pour pouvoir mieux espionner des dissidents. Enfin, il a transmis à son pays d’origine des informations sur les querelles entre les dirigeants de l’AfD pimentés de détails privés. Ces informations pourraient nuire à l’image du parti.
Reste le rôle de Maximilian Krah dont le soutien de longue date au régime chinois est connu. Il affirme n’avoir rien su des activités de son ancien assistant. Mais une procédure a été ouverte contre le parlementaire qui siège aujourd’hui au Bundestag. Il est soupçonné d’avoir touché de l’argent provenant de sources pro-russes dans un cas et pro-chinoises de l’autre.

L’Allemagne menacée par une crise du Döner ?

La grève chez le producteur numéro en Allemagne fait trembler le pays. Le Döner qui est parmi les mets importés par les migrants des dernières décennies en Allemagne ce que le couscous est pour la France, ce Döner est devenu un séismographe sociétal. Son prix ces dernières années a augmenté sensiblement. Déjà la presse populaire se demande quand la barre symbolique des dix Euros sera franchie. Des jeunes ont interpellé régulièrement l’ex-chancelier Scholz pour qu’il instaure un gel des prix comme cela a pu se faire pour des biens plus existentiels.

Bayreuth : CDU et CSU à l’assaut de la colline verte

Le nouveau chancelier Friedrich Merz a participé pour la première fois dans ses nouvelles fonctions au festival Wagner. On le voit ici sur le compte instagram du ministre-président de la région Markus Söder (à droite sur la photo du haut). Elle ne figure pas sur ce cliché mais elle était bien là : fidèle à ses habitudes, Angela Merkel, grande wagnérienne devant l’éternel, a assisté au lancement de l’édition 2025.

Lettre d'Allemagne

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Par pascal thibaut

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