Merz, le nouveau Merkel ?

La comparaison peut paraitre incongrue. La rivalité entre le nouveau chancelier et sa prédécesseure est légendaire. Mais la presse s'interroge. Friedrich Merz a surtout brillé depuis 70 jours sur la scène internationale. Mais peut-il tenir ses promesses ambitieuses pour réformer l'Allemagne ?

Lettre d'Allemagne
7 min ⋅ 17/07/2025

Le commentaire de une du quotidien suisse “Neue Zürcher Zeitung” le week-end dernier -”Merkel s’appelle maintenant Merz”- pouvait surprendre. Mais le journal conservateur qui ne porte pas l’ancienne chancelière dans son coeur n’est pas le seul à faire cette comparaison. La NZZ souligne que Merz a dû faire des concessions importantes à son partenaire SPD. Mais contrairement à une Angela Merkel au style plus consensuel et amatrice de compromis, son successeur est lui plus connu pour son côté plus tranchant. Etre contraint à des contorsions idéologiques est pour lui moins simple que pour Angela Merkel et peut nuire à son image.

L’hebdomadaire “Der Spiegel” titrait dans sa dernière édition sur “la poursuite du merkelisme” et se demandait si la volonté de Merz de mettre la politique étrangère en avant ne constituait pas un moyen de fuir les aléas de la politique intérieure. Le nouveau chancelier pourrait préférer gérer le pays sans faire de vagues et heurter certains groupes comme a pu le faire Angela Merkel. Le déblocage du frein à la dette avec des investissements massifs dans les infrastructures et la Défense permet à l’intendance de suivre. Pourtant de nombreux experts soulignent que l’Allemagne a besoin de réformes en profondeur pour relever les défis de l’avenir. Celles du système de retraite, de la protection sociale ou de l’aide sociale ne sont que quelques exemples.

”Beaucoup à apprendre”

Friedrich Merz est connu pour son talent rhétorique et parfois tranchant qu’il a cultivé comme opposant d’Olaf Scholz. Le nouveau chancelier a dans le passé souvent formulé des propositions radicales, parfois avec des dérapages verbaux. Mais une grande coalition avec les sociaux-démocrates implique des compromis qui font pâlir certaines promesses de campagne et peuvent susciter l’incompréhension d’électeurs qui s’attendaient à un tournant radical. A cela s’ajoute le manque d’expérience gouvernementale de Friedrich Merz qui n’a jamais été aux affaires; le chancelier se voit reprocher de plutôt utiliser les méthodes moins consensuelles qu’il a appris durant sa carrière dans le privé. Dans son propre parti, on s’irrite de ne pas toujours être bien informé ou impliqué avant certaines décisions. Enfin, si Merz avait dénoncé en parlant d’Olaf Scholz “un plombier du pouvoir”, comprenez un bureaucrate qui connait ses dossiers sur le bout des doigts, mais sans visions, l’actuel chancelier lui n’est pas connu pour s’investir dans les détails techniques.

”Le chancelier en crise”

Malgré la volonté de Friedrich Merz de mettre un terme aux querelles incessantes de la coalition dirigée par Olaf Scholz, tout ne tourne pas rond depuis pour le nouveau chancelier. Il y a eu le 6 mai, son élection ratée au premier tour au Bundestag, une première depuis la guerre. Plus récemment, le gouvernement s’est fait étriller pour avoir renoncé à une promesse à savoir la baisse de la taxe sur l’électricité pour les particuliers. Seules les entreprises et les agriculteurs en bénéficieront. Le gouvernement met en avant la rigueur qui reste d’actualité pour le budget courant, même si des fonds spéciaux de plusieurs centaines de milliards échappent au frein à la dette.

La cause de la dernière crise en date la semaine dernière parait au premier abord quasi secondaire, à savoir l’élection de trois nouveaux juges à la cour constitutionnelle. Elle a pourtant ébranlé la coalition de Friedrich Merz. Le fait qu’un psychodrame ait lieu sur un tel sujet en dit long sur l’état de cette coalition.

Trois sièges sur les seize que compte le tribunal de Karlsruhe doivent être renouvélés. Un candidat a été proposé par les chrétiens-démocrates, les deux autres par le SPD dont la juriste Frauke Brosius-Gersdorf qui a suscité une levée de bouclier à droite et dans des médias conservateurs. Curieusement, les responsables de la coalition avaient approuvé les trois noms en commission avant le vote à la majorité des deux tiers du Bundestag qui devait avoir lieu vendredi dernier. Mais la polémique a enflé en amont du scrutin : l’impétrante se voit reprocher d’avoir défendu la vaccination obligatoire durant la pandémie de covid et d’être favorable à une légalisation de l’avortement. Ses positions ont été distordues et exagérées. La professeure qui a été depuis défendue par une pétition signée par 300 universitaires a été présentée comme une “gauchiste” à droite. La veille du vote au Bundestag, des accusations de plagiat peu crédibles ont été lancées. La messe était dite pour les conservateurs qui ont plaidé pour un report du scrutin. Ce revirement souligne la gestion amateure du dossier par CDU et CSU. Le président du groupe parlementaire conservateur Jens Spahn, déjà fragilisé par une polémique persistante sur sa gestion des achats de masques durant la pandémie lorsqu’il était ministre de la Santé, est encore un peu plus affaibli. Malgré l’adoption de différentes réformes avant la pause de l’été, Friedrich Merz a vu son bilan provisoire entâché par cette polémique.

”Seulement 67 jours et au bord du gouffre” “Bild Zeitung”

Les électeurs restent dubitatifs. Un cinquième d’entre eux estime que la situation de leur pays s’est améliorée depuis l’arrivée du nouveau chancelier au pouvoir. Un tiers pense qu’elle s’est dégradée. 37% ne voit rien de nouveau au soleil. Les Allemands ne sont que 17% à partager l’avis de Friedrich Merz affirmant diriger un des meilleurs gouvernements des dernières décennies. 71% ne partagent pas cette auto-satisfaction.

Brèves politiques

-congrès du SPD fin juin

Le co-président du parti, le vice-chancelier et ministre des Finances Lars Klingbeil a été sévèrement sanctionné par les délégués. Il a été réélu avec 65% des voix seulement, une claque magistrale. En 2023, il avait obtenu 85% des voix. La défaite historique du SPD aux élections de février dont les leçons n’ont pas été tirées alors que Klingbeil étaient aux commandes explique pour partie ce résultat.

Lars Klingbeil après sa réélection

Ce mauvais score contraste avec l’élection de maréchale de la nouvelle co-présidente du parti. Bärbel Bas, à la tête du Bundestag durant la dernière législature, a été élue avec 95% des voix. Cette femme de la Ruhr d’origine modeste symbolise par son parcours le SPD traditionnel qui a perdu ses racines populaires. Bärbel Bas est ministre des Affaires sociales au sein du nouveau gouvernement et est devenue une icône du SPD.

-L’AfD moins radicale ?

Le parti d’extrême-droite fondé en 2013 a connu depuis une radicalisation continue qui est allée de pair avec des départs, volontaires ou non, de différents responsables. Le parti est dans le colimateur de l’office de protection de la constitution (le renseignement intérieur) qui a récemment classé l’AfD comme “extrémiste de droite confirmé”. Des débats réguliers divisent la classe politique sur la délicate question d’une procédure visant à interdire le parti.

Ce dernier est dans une impasse politique malgré d’excellents résultats au niveau national et régional. Tant que le cordon sanitaire tiendra bon, une alliance, souhaitée par l’AfD, avec les chrétiens-démocrates est exclue. Pour la rendre à terme plus réaliste, le parti veut donner de lui une image plus policée. Un code de bonne conduite en ce sens a récemment été adopté par le groupe parlementaire AfD au Bundestag.

”Je freine aussi pour les migrants” et sur la plaque de la voiture on reconnait AH pour Adolf Hitler et 88, un code pour “Heil Hitler” dans les milieux d’extrême-droite

Cette évolution de façade est avant tout tactique. L’AfD veut par là éviter que le renseignement intérieur n’augmente sa surveillance. Pour certains électeurs, cela peut servir de repoussoir. Déjà, des régions s’interrogent sur l’attitude à adopter face à des membres du parti d’extrême-droite qui veulent intégrer la fonction publique. Un rejet de principe n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant mais les Länder comptent bien au cas par cas se réserver le droit de refuser un impétrant.

L’exemple de Maximlian Krah est symptomatique de cette réflexion. L’ancien député européen qui siège au Bundestag depuis quelques semaines est une personnalité sulfureuse, y compris au sein de son parti. Les accusations d’espionnage au profit de la Chine contre un ancien collaborateur du député, des déclarations sur les SS qui ne doivent pas être tous considérés comme des criminels et d’autres détails croustillants expliquent cette image d’un responsable qui fait un tabac sur les réseaux sociaux, notamment auprès des plus jeunes.

Aujourd’hui, le même Maximilian Krah prend ses distances avec le concept de “remigration”, prôné notamment par le mouvement identitaire qui a une définition ethnique du peuple germanique. En conséquence, des Allemands d’origine étrangère seraient aussi priés de faire leurs valises, pas seulement des étrangers. Krah relativise aujourd’hui ces théories quitte à passer pour un traitre parmi ses anciens camarades. Conscients que le concept ethnique de la remigration est incompatible avec la constitution allemande et pourrait alourdir le dossier déjà chargé des renseignements intérieurs contre l’AfD, Krah plaide désormais pour le seul renvoi des migrants.

-rapprochement BSW/AfD ?

Une rencontre en Thuringe entre l’alliance Sahra Wagenknecht (BSW), le mouvement janus avec des idées sociales de gauche et bien à droite sur la migration et les questions sociétales et l’AfD a fait le buzz. Le parti d’extrême-droite a évoqué des discussions au niveau national que BSW a démenties. Mais Sahra Wagenknecht, la présidente de ce parti ne serait pas contre. Elle a souvent répété tout le mal qu’elle pensait de “l’ostracisme” dont serait victime l’AfD.

”Tout sur une carte" avec les “drôles de dames”, les présidentes de BSW Sahra Wagenknecht et de l’AfD Alice Weidel

Kulturkampf autour du drapeau arc-en-ciel

Ce symbole du mouvement queer est attaqué. Tout d’abord sur le terrain comme l’illustrent des contre-manifestations d’extrême-droite contre des marches des fiertés et l’augmentation sensible des délits homophobes. L’office criminel fédéral en comptabilisait 1188 en 2022 contre 2108 l’an dernier. Une tendance qui n’épargne pas une grande ville libérale comme Berlin.

A ces attaques concrètes s’ajoute actuellement un vent mauvais dans la sphère politique comme on le voit dans d’autres pays. La décision de la nouvelle présidente du Bundestag, la chrétienne-démocrate Julia Klöckner, de ne pas hisser comme cela se faisait ces dernières années le drapeau arc-en-ciel au dessus ou devant le Reichstag lors de la marche des fiertés berlinoise a suscité une vive polémique. L’intéressée met en avant la nécessaire neutralité de l’institution et a demandé au groupe queer du parlement allemand de ne pas participer à gay pride berlinoise.

”Ce drapau transforme-t’il le Bundestag en cirque ?”

Interrogé à ce sujet, le chancelier Merz a estimé que le parlement n’était pas un cirque au sommet duquel on pouvait hisser n’importe quel drapeau. Une déclaration qui a fait bondir la communauté queer qui s’est sentie humiliée par ces propos faisant indirectement des personnes concernées des animaux de cirque.

Schengen se meurt

Après la mise en place début mai par le nouveau gouvernement allemand de contrôles renforcés aux frontières de l’Allemagne, c’est la Pologne qui a au début du mois décidé de faire de même. Une mesure de rétorsion qui s’explique également pour des raisons internes en raison de la pression exercée par les forces nationalistes sur le gouvernement Tusk.

”Jeux de frontières” avec un ping pong germano-polonais autour des migrants

Ces mesures relèvent plutôt du symbolique quand on observe les résultats concrets de ces contrôles à l’heure où les flux migratoires reculent sensiblement. Les demandes d’asile en Allemagne ont baissé de 45% au premier semestre avec 61 000 dossiers déposés. Pour la première fois depuis longtemps, ce pays n’est plus la première destination en Europe et est précédé par l’Espagne et la France.

En revanche, ces dispositifs de contrôles ne facilitent pas la vie des frontaliers et égratignent un peu plus la noble idée d’une Europe au sein de laquelle la libre circulation doit prévaloir. L’assemblée parlementaire franco-allemande a auditionné à ce sujet la semaine dernière les ministres de l’Intérieur Retailleau et Dobrindt.

A lire aussi : la justice allemande ordonne au gouvernement de délivrer les visas promis à des Afghans menacés

https://www.rfi.fr/fr/europe/20250708-allemagne-la-justice-ordonne-au-gouvernement-de-d%C3%A9livrer-les-visas-promis-%C3%A0-des-afghans-menac%C3%A9s

Des procès spectaculaires

-le procès Block, c’est l’histoire de l’héritière richissime d’une chaîne de restaurants de steaks jugée à Hambourg pour avoir ordonné l’enlèvement de deux de ses enfants lors du Nouvel An 2023. Ces derniers vivaient auprès de leur père au Danemark. Les époux étaient en conflit pour la garde de leur progéniture; le père les avait gardés près de lui après une visite convenue chez lui.

Un commando a enlevé les deux plus jeunes enfants du couple (10 et 13 ans à l’époque des faits) après avoir neutralisé le père. Ils ont ensuite pris la fuite vers l’Allemagne. Le parquet de Hambourg accuse Christina Block d’avoir commandité l’enlèvement. L’affaire se corse en raison du profil de l’actuel compagnon de l’accusée : Gerhard Delling est un journaliste sportif très connu des téléspectateurs allemands. Il est lui même accusé de complicité dans l’enlèvement. Christina Block affirme qu’elle n’était en rien impliquée dans l’opération. Un de ses avocats a déclaré que le rapt avait été organisé par un agent de sécurité israélien travaillant pour la famille de restaurateurs dans l’espoir de lui soutirer de l’argent.

-”Le maître de la vie et de la mort”, c’est ainsi que le procureur du tribunal de Berlin a présenté un médecin spécialisé en soins palliatifs à domicile accusé du meurtre de quinze patients. L’homme est soupçonné d’en avoir tué six fois plus. Ce père de famille pourrait être le plus grand tueur en série des dernières décennies en Allemagne. Le médecin n’aurait pas eu d’autre motif que l’homicide d’après le parquet. 35 audiences sont prévues jusqu’en janvier prochain.

Les châteaux de Louis II de Bavière au patrimoine mondial de l’Unesco

Neuschwanstein, Linderhof, Herrenchiemsee, la maison royale de Schachen, ces emblêmes de la région construits par le roi Louis II (1845-1886) ont obtenu cette consécration samedi dernier à Paris. Cette reconnaissance marque la fin d’un long parcours qui remonte à 1997. Les quatre sites ont été inscrits sur la liste allemande de propositions de classement en 2015. La candidature a été bouclée en 2023 et déposée l’an dernier.

Beaucoup de touristes (Neuschwanstein dont la rénovation vient de s’achever accueille un million de visiteurs chaque année) sont étonnés d’apprendre que ces sites ne figuraient pas depuis longtemps au patrimoine mondial de l’Unesco. Il faut rappeler que pendant des décennies cet héritage a été dénigré comme trop kitsch par les experts alors que le grand public très tôt est tombé sous le charme.

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Par pascal thibaut

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