On en est là : éviter un éclat et des remontrances publiques lors d'une rencontre avec le président américain constitue aujourd'hui un succès diplomatique et médiatique. Mieux, la visite de Friedrich Merz s'est déroulée dans une atmosphère cordiale et les sujets qui fâchent n'ont pas été évoqués devant les caméras. Un succès pour le chancelier.
Lors de son premier mandat, Donald Trump avait eu la dent dure contre l’Allemagne, notamment contre Angela Merkel qu’il s’agisse de la politique migratoire de la chancelière, du gazoduc Nord Stream et de la dépendance de l’Allemagne par rapport à la Russie ou encore de dépenses militaires jugées insuffisantes.
Friedrich Merz a été accueilli cordialement et a dormi à Blair House, en face de la Maison-Blanche, la semaine dernière, un privilège réservé aux hôtes de marque. Le chancelier avait apporté l’acte de naissance du grand-père de Donald Trump qui avait quitté la petite ville de Kallstadt en Rhénanie-Palatinat pour émigrer aux Etats-Unis. Friedrich Merz s’était intensément préparé pour cette visite en contactant en amont des personnalités qui ont déjà rencontré Donald Trump.
Les sujets qui fâchent n’ont pas été évoqués durant la rencontre de 45 minutes avec la presse qu’il s’agisse des tarifs douaniers très dommageables pour les exportations germaniques, du soutien à l’Ukraine ou des mesures contre l’AfD que d’aucuns à Washington considèrent comme une attaque contre la liberté d’opinion.
”Frédéric le Grand. 5.6.2025 : je n’ai pas été humilié par Trump”
Sur les dépenses militaires, la réforme du frein à la dette allemand qui ne vaut plus au-delà de 1% du PIB et permet à Berlin de pratiquer le quoi qu’il en coûté en faveur de la Bundeswehr ne peut que satisfaire Washington. L’Allemagne a accepté le principe de dépenses militaires à moyen terme de 5% du produit intérieur brut (3,5% pour le budget des forces armées stricto sensu et 1,5% pour les infrastructures ou encore la lutte contre les attaques cyber). Berlin veut disposer à terme de la plus grande armée conventionnelle en Europe. La semaine dernière, le ministre de la Défense Boris Pistorius a estimé que son pays avait besoin de 50 à 60 000 soldats supplémentaires. Une gageure alors que déjà aujourd’hui la Bundeswehr a du mal à séduire de nouvelles recrues. La perspective d’un service militaire non plus simplement volontaire mais obligatoire est envisagée.
Friedrich Merz a eu très peu la parole lors de sa rencontre avec Donald Trump qui a beaucoup parlé. Et la presse américaine s’est surtout intéressée aux bisbilles entre le président américain et Elon Musk. Le chancelier allemand a toutefois, en restant courtois, mis les points sur les i au sujet de l’Ukraine. Alors que Donald Trump parlait pour évoquer Kiev et Moscou de gamins qui se chamaillent, Friedrich Merz a clairement rappelé sa solidarité avec l’Ukraine et dénoncé la responsabilité de la Russie.
La relation bilatérale s’est gravement détériorée pour les Allemands d’après un sondage. 73% d’entre eux pensent que les Etats-Unis ne sont plus un partenaire fiable. 18% conservent une opinion positive des USA. En juillet 2021, lorsque Joe Biden était au pouvoir, les résultats étaient inversés avec quatre Allemands sur cinq qui avaient un avis favorable sur le grand frère américain.
Cette visite à Washington sans escalandre de Friedrich Merz a donné lieu à des commentaires positifs dans les médias mais aussi dans la classe politique allemande. Même des élus de l’opposition ont salué la performance du chancelier. Parallèlement à la remontée des chrétiens-démocrates dans les sondages après une baisse depuis les élections, la popularité du nouveau chancelier augmente également. Il obtient 36% d’opinions positives dans un récent sondage soit une hausse de 13 points en un mois. Une majorité relative reste encore sceptique avec 45% des personnes interrogées qui tirent un bilan négatif de l’action de Friedrich Merz.
CDU/CSU se rapprochent à nouveau de leur score des législatives de février (28,5%). Mais cette remontée ne nuit pas l’AfD qui engrange toujours un résultat très élevé. Les sociaux-démocrates perdent près de 2,5 points par rapport au scrutin du 23 février.
La politique étrangère constitue un domaine essentiel où Friedrich Merz a déjà montré qu’il était particulièrement actif. Ses nombreux déplacements depuis son élection début mai en témoignent. Sa visite à Washington en est un exemple. L’Allemagne transatlantique doit lentement faire son deuil de cette alliance centrale pour elle, a fortiori pour les chrétiens-démocrates.
Les conservateurs allemands revoient de façon brouillonne leur soutien inconditionnel à Israël alors que la politique de l’Etat hébreu et le soutien de Berlin sont de plus en plus impopulaires. Durant la campagne électorale, Friedrich Merz avait souligné que la solidarité avec Israël resterait totale. Juste après le scrutin, il avait déclaré que Benjamin Netanyahou était le bienvenu en Allemagne malgré le mandat d’arrêt de la cour pénale internationale contre le premier ministre israélien : «Je me suis engagé à ce que nous trouvions un moyen pour qu’il puisse visiter l’Allemagne et repartir sans être arrêté».
Les ministres allemand et israélien des Affaires étrangères, Johannes Wadephul et Gideon Saar, la semaine dernière au mémorial de l’holocauste à Berlin
Fin mai, c’est le même Friedrich Merz qui affirmait lors d’une discussion publique : “Je ne comprends franchement plus quel est l’objectif de l’armée israélienne qui inflige de telles souffrances à la population civile à Gaza”. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Johannes Wadephul CDU, allait plus loin en conditionnant la poursuite des livraisons d’armes à Israël au respect du droit international. Des propos qui ont irrité dans le camp chrétien-démocrate. Depuis, le chef de la diplomatie allemande a rétropédalé en affirmant la semaine dernière en recevant son homologue israélien que les livraisons d’armes se poursuivront. (En 2024, elles s’élevaient à un montant de 160 millions d’Euros; au premier trimestre, elles atteignaient 28 millions). Johannes Wadephul a réitéré son hostilité à une remise en cause de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne et à la reconnaissance d’un Etat palestinien.
On le voit, il reste très difficile pour les responsables allemands de modifier leur politique traditionnelle de soutien à Israël qui s’explique par des raisons historiques évidentes. Mais ce positionnement tranche avec une population qui critiquent très largement l’Etat hébreu. 16% seulement des Allemands considèrent Israël comme un partenaire fiable. Trois personnes sur quatre rejettent les livraisons d’armes de leur pays à l’Etat hébreu. Une très large majorité condamne les opérations militaires à Gaza.
Ces questions ont joué un rôle central durant la campagne électorale. La montée en puissance de l’AfD comme diverses attaques meurtrières ont alimenté et polarisé les débats. Les chrétiens-démocrates ont promis des mesures drastiques. L’objectif est clairement de prouver aux électeurs que les partis non extrémistes peuvent réagir et prendre des mesures efficaces. Les trois quarts des Allemands souhaitent une politique migratoire plus stricte. Même le SPD, allié aujourd’hui des chrétiens-démocrates au sein du gouvernementMerz, a lu les sondages et a avalé quelques couleuvres durant les négociations de coalition.
La mesure phare immédiatement mise en oeuvre après l’entrée en vigueur du nouveau gouvernement réside dans les contrôles plus stricts aux frontières et le refoulement de toute personne ne disposant pas de papiers en règle. La nouveauté : les personnes demandant l’asile politique sont également concernées. Jusqu’à début mai, des personnes qui se présentaient aux frontières allemandes et déposaient une demande voyaient cette dernière examinée même si ces personnes étaient ensuite renvoyées vers le pays de l’UE où une première démarche avait été entamée. Mais la durée des procédures et le refus de certains pays de reprendre ces personnes conduisaient souvent à un séjour plus long en Allemagne, malgré les règles dites de Dublin.
”Personne n’est illégal, sauf Dobrindt” ironisait le quotidien la semaine dernière après la décision d’un tribunal berlinois retoquant le renvoi à la frontière de trois Somaliens qui demandaient l’asile en Allemagne.
Cette décision du nouveau gouvernement allemand a été dès le départ critiquée, non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi parce qu’elle remettrait en question les règles européennes. La semaine dernière, le tribunal administratif de Berlin saisi par trois Somaliens a qualifié “d’illégales” les pratiques du gouvernement estimant que les demandeurs d’asile devaient être d’abord être accueillis. Le ministre de l’Intérieur, le chrétien-social bavarois Alexander Dobrindt, ne se sent pas lié par cette décision estimant qu’il s’agit d’un “cas isolé”. Les refoulements vont donc se poursuivre.
Reste qu’hormis les aspects juridiques, ces refoulements restent très modestes. En un mois, 160 personnes qui demandaient l’asile aux frontières allemandes ont été refoulées. Le principal syndicat de la police GDP dénonce des mesures peu utiles qui impose de nombreuses heures supplémentaires aux forces de police mobilisées pour un résultat fort modeste.
A ce maigre bilan s’ajoutent les dommages collatéraux des récentes mesures. Les bouchons aux frontières étaient déjà conséquents. La situation s’aggrave surtout à la frontière germano-polonaise. Les travailleurs frontaliers souffrent de ces pratiques. Les pays voisins sont irrités. Quant aux principes de libre circulation en Europe, ils en prennent pour leur grade.
Ces mesures ont d’abord leur racine dans la vie politique intérieure allemande. Berlin veut prouver aux électeurs qu’il réagit à leurs angoisses et que l’extrême-droite n’est pas la seule à apporter des réponses. Le gouvernement allemand a également décidé de suspendre durant deux ans le regroupement familial pour les personnes qui n’ont pas obtenu l’asile politique ou n’ont pas le statut de réfugié. Ces migrants ne peuvent pas être renvoyées dans leur pays en raison de la situation politique sur place. Environ 400 000 personnes appartiennent à cette catégorie. Mais le regroupement familial pour ces personnes était déjà limité à 12 000 visas par an sans qu’ils soient tous utilisés. Là aussi, une mesure sans impact réel majeur.
Troisième mesure, la suppression de la “naturalisation express” après trois années de séjour en Allemagne. La nouvelle loi entrée en vigueur l’an dernier prévoit que cinq années de résidence au lieu de huit sont nécessaires pour obtenir la nationalité allemande. Dans certains cas, cela pouvait aller plus vite. Là aussi, peu de cas, exceptionnels, sont concernés. La nouvelle loi du gouvernement Scholz a en tout cas conduit à un record historique des naturalisations l’an dernier avec 300 000 nouveaux citoyens allemands soit une hausse de 50% par rapport à 2023.
Le gouvernement allemand a adopté un paquet de mesures de 46 milliards d’Euros la semaine dernière pour soutenir l’investissement et permettre à terme à l’économie allemande en stagnation de rebondir. Baptisé “booster de croissance”, ce dispositif prévoit des amortissements généreux pour les entreprises sur une durée de trois ans suivis d’une baisse de l’impôt sur les sociétés qui passera de 15 à 10%. Ces mesures doivent renforcer la compétitivité des entreprises allemandes et renforcer la croissance atone, si possible dès le second semestre de cette année. Le gouvernement a par ailleurs relancé les dispositions en faveur de la mobilité électrique qui avaient été interrompues fin 2023.
”Jeunes, Allemands, dangereux" : la montée en puissance des délits d’extrême-droite notamment chez les plus jeunes
Le rapport 2024 de l’office de protection de la constitution présenté hier confirme avec des chiffres inquiétants la montée en puissance et le danger de l’extrême-droite la plus radicale. Le nombre de délits commis par des personnes issues de cette mouvance a augmenté l’an dernier de 50%. Le rapport comptabilise 50 000 militants actifs d’extrême-droite soit une hausse d’un quart en un an. Ceux qui sont susceptibles d’actions violentes sont aussi plus nombreux. Cela vaut aussi pour les plus jeunes, parfois mineurs, qui ne sont pas membres d’organisations et se radicalisent en ligne via les réseaux sociaux. Les surveiller constitue dès lors un défi pour les autorités.
Les migrants constituent une cible privilégiée de ces extrémistes mais ces derniers s’en prennent aussi à leurs opposants politiques ou à des minorités comme la communauté juive. Une augmentation sensible des actes antisémites a été enregistrée en 2024. Elle est également due à des délits commis par des pro-palestiniens radicaux et des islamistes et en liaison avec la situation au Moyen-Orient.