La possible réélection de Donald Trump et les récentes déclarations de l'ex-président sur l'OTAN suscitent des inquiétudes en Allemagne. Un débat sur une dissuasion nucléaire européenne fondée sur la force de frappe française s'est développé mais le gouvernement allemand bloque et peine à envisager une plus grande autonomie de l'UE.
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La caricature ci-dessus résume le sentiment ambiant après la conférence sur la sécurité de Munich le week-end dernier. Dans un monde traversé par de nombreuses crises, responsables politiques et experts ont multiplié les rencontres dans la capitale bavaroise. L’annonce juste avant le début de la conférence de la mort d’Alexeï Navalny a été comme un coup de massue pour les responsables présents.
L’Ukraine a dominé une large partie des débats. La solidarité exprimée à l’intention du président Zelensky qui avait fait le déplacement à Munich contrastait avec la situation difficile de l’armée ukrainienne, son manque de munitions alors que les occidentaux sont à la peine pour en livrer plus et qu’un nouveau paquet d’aides américaines est bloqué au congrès.
L’Allemagne s’est imposée comme le deuxième pays après les Etats-Unis pour le soutien financier et militaire à l’Ukraine. Le chancelier Scholz longtemps critiqué, dans son pays comme par ses partenaires, pour sa retenue a finalement changé de braquet. Ces dernières semaines, il a à plusieurs reprises, comme samedi dernier à Munich, souligné que d’autres pays devaient faire un effort supplémentaire. La France, l’Espagne et l’Italie sont visées. A Paris, on n’apprécie modéremment les critiques contre un soutien trop faible de la France et on dément les chiffres régulièrement publiés par l’institut de Kiel IW Ukraine Support Tracker | Kiel Institute (ifw-kiel.de)
La France et l’Allemagne ont signé le même jour, vendredi dernier, des accords de sécurité sur la durée avec Kiev. Volodymyr Zelensky s’est le même jour rendu à Berlin puis à Paris. La signature de ces accords à la conférence sur la sécurité de Munich où le président ukrainien intervenait le lendemain aurait été un beau symbole. Olaf Scholz y était présent alors qu’Emmanuel Macron après une valse hésitation a préféré ne pas faire le déplacement.
A Munich, un manifestant réclamait à l'Allemagne la livraison des missiles Taurus
Bien que l’Allemagne aiguillonne ses partenaires européens pour faire plus, les polémiques sur la retenue du chancelier Scholz se poursuivent (de tels débats étaient inexistants en France jusqu’aux récentes critiques contre un soutien insuffisant de Paris à Kiev). A Berlin, il semble qu’Olaf Scholz, quoi qu’il fasse, reste attaqué. Les débats se focalisent actuellement sur les missiles Taurus que le chancelier refuse de livrer à l’Ukraine qui les réclament avec insisitance. Ces armements ont une portée de 500 km et pourraient permettre à Kiev d’attaquer des positions et centres logistiques essentiels de la Russie alors que l’offensive est à l’arrêt sur le front. Mais Scholz craint des attaques sur le territoire russe qui constitueraient une escalade du conflit ou seraient perçues comme une implication directe de l’Allemagne. Quelque part, il semble que la peur latente de Moscou demeure comme la volonté de ne pas aller trop loin à l’égard de Moscou. Les verts et les libéraux au sein de la coalition au pouvoir à Berlin comme les chrétiens-démocrates dans l’opposition plaident pour la livraison de ces missiles. Une motion en ce sens du groupe parlementaire CDU/CSU a été rejetée ce jeudi.
"Je ne vous protégerai pas-L'Allemagne a t'elle besoin de la bombe ?"
Les récentes déclarations de Donald Trump sur l’OTAN ont fait surgir un débat sur la nécessité d’une plus grande autonomie par rapport au grand frère américain. Dans un pays profondément transatlantique comme l’Allemagne, cela implique une remise en cause. Olaf Scholz, très proche de Joe Biden, a par exemple depuis le début de la guerre en Ukraine presque toujours aligné ses avancées sur celles des Etats-Unis.
Mais la perspective d’une victoire de l’ex-président républicain à l’automne fait bouger les lignes. La conscience qu’une Défense européenne doit être renforcée avec une politique industrielle plus forte fait son chemin. Les dépenses militaires augmentent dans de nombreux pays. L’Allemagne atteindra en 2024 à nouveau les 2% du produit intérieur brut, une première depuis une trentaine d’années. Mais le financement de la Bundeswehr sur la durée reste problèmatique, une fois le fonds exceptionnel de 100 milliards d’Euros, adopté après le début de la guerre en Ukraine, épuisé.
"Encore plus d'argent pour la Défense" titre le journal en une avec une photo d'Olaf Scholz chez l'armurier Rheinmetall
Les inquiétudes en raison d’une possible victoire de Donald Trump ont également suscité un débat sur un parapluie nucléaire européen si la garantie offerte aujourd’hui par Washington devait être remise en cause. L’Allemagne avait jusqu’à présent boudé les propositions d’Emmanuel Macron et les offres de service françaises d’une dimension européenne de la force de frappe hexagonale. Mais Olaf Scholz comme son ministre de la Défense Boris Pistorius ne veulent pas entendre parler d’une telle hypothèse. La tête de liste du SPD pour les Européennes, Katarina Barley, qui avait lancé la discussion dans une interview a été désavouée par ses camarades de parti. Les libéraux en revanche comme les chrétiens-démocrates sont prêts à ouvrir une discussion sur ce sujet.
"Elle veut remettre ça"
Le suspense était mince. Lundi dernier, Ursula von der Leyen a officiellement annoncé qu’elle était candidate à sa succession à la présidence de la commission européenne. Pour être exact, l’ancienne ministre d’Angela Merkel a été désignée par son parti, la CDU et doit être confirmée début mars par un congrès du parti populaire européen.
Ursula von der Leyen a toujours eu une relation compliquée avec les chrétiens-démocrates allemands, surtout avec l’aile la plus conservatrice qu’incarne le président actuel Friedrich Merz. Sur une ligne plus libérale, elle a souvent donné de l’urticaire à ses camarades de parti. Certains ont critiqué sa ligne trop verte durant son premier mandat à Bruxelles et un excès de bureaucratie. Mais la présidente de la commission a mis ces derniers mois de l’eau dans sa bière en réduisant ses ambitions sur le front de l’environnement et en lâchant du lest pour satisfaire le monde agricole en révolte.
"Encore" (la caricature fait référence à la passion équestre d'Ursula von der Leyen)
Les chrétiens-démocrates savent qu’ils ont avec Ursula von der Leyen la candidate disposant des meilleures chances pour diriger la prochaine commission. Le groupe parlementaire CDU/CSU au prochain parlement européen devrait être plus important en raison du bon score actuel du mouvement dans les sondages. La coalition actuelle entre les sociaux-démocrates, verts et libéraux soutient un deuxième mandat d’Ursula von der Leyen. Démonter la présidente allemande sortante pour des raisons partisanes à courte vue ferait désordre.
Plus le temps passe, plus l’alliance entre sociaux-démocrates, verts et libéraux expose ses désaccords sans qu’une orientation claire ne perce. Une situation dramatique pour la crédibilité des gouvernants qui explique dans une large mesure l’impopularité de la coalition au pouvoir.
Le parti libéral, depuis plusieurs semaines sous la barre des 5% dans les sondages, est menacé, après plusieurs défaites électorales lors de scrutins intermédiaires, d’être éjecté du prochain Bundestag. Le parti est pris de panique. Les différences idéologiques avec les deux partenaires plus à gauche, écologistes et sociaux-démocrates, sont de plus en plus visibles. Mais le FDP ne peut pas jeter l’éponge. Des élections anticipées signifieraient son arrêt de mort parlementaire. La stratégie des derniers mois des libéraux, à savoir donner des coups de gueule et afficher leur différence n’a en rien profité à l’image du FDP.
"Le FDP est énervant" (la coalition feu tricolore avec le jaune ou orange la couleur politique traditionnelle des libéraux)
Le week-end dernier, le secrétaire général du FDP, a dans une interview fait des yeux doux aux chrétiens-démocrates, des partenaires avec lesquels les libéraux ont longtemps gouverné. Mais il faudrait pour cela que le parti reprenne des couleurs dans les sondages. C’est ce qu’a dit diplomatiquement le président de la CDU Friedrich Merz en début de semaine qui finalement n’exclut plus une alliance avec les verts; il faut être pragmatique.
Au-delà, difficile de comprendre où ce gouvernement emmène le pays. Le ministre de l’Economie, le Vert Robert Habeck, et son homologue aux Finances Christian Lindner, évoquent la situation dramatique du pays. Est-ce la bonne stratégie pour remonter le moral des troupes déjà dans les chaussettes-sandales ? Surtout quand les remèdes sont nébuleux et contradictoires entre un Habeck qui prône, malgré le frein à la tête, des investissements massifs et un Lindner partisan d’une politique de l’offre avec baisse des impôts et moins de bureaucratie. Et pour couronner le tout, le paquet de mesures du gouvernement pour la croissance est menacé d’un blocage par les chrétiens-démocrates en raison de l’approbation nécessaire de la chambre haute, le Bundesrat.
"C'est toi qui a mon cannabis, Robert ?" demande le ministre de la Santé à Robert Habeck dont les mesures pour dynamiser l'économie sont bloquées
On pourrait prolonger cette liste. La loi sur la libéralisation du cannabis qui doit être votée ce vendredi pourrait ne pas l’être en raison de la résistance de députés SPD au Bundestag. Une défaite sur une réforme sociétale phare serait un mauvais coup pour le gouvernement.
Même si la mobilisation est moins forte, les manifestations contre l’extrême-droite et ses plans de “remigration” se poursuivent. La ministre de l’intérieur a annoncé une série de mesures pour lutter plus efficacement contre ces extrémistes. Nancy Faeser était épaulée pour sa conférence de presse par le chef des renseignements intérieurs et le président de l’office criminel fédéral. Ces institutions doivent obtenir des compétences supplémentaires pour observer, contrôler et sanctionner des groupes ou des personnes d’extrême-droite.
L'AfD démasquée au carnaval
L’office de protection de la constitution doit à l’avenir pouvoir fermer des comptes en banque en raison d’une « menace pour l’ordre public ». Aujourd’hui, seules des incitations à la haine ou à la violence peuvent permettre une telle mesure. L’appartenance à un mouvement considéré comme suspect par les renseignements intérieurs doit permettre de retirer une autorisation de port d’arme. Les informations de cette organisation pourront être partagées avec la police sur le terrain ou l’inspection du travail pour pouvoir plus facilement interdire une réunion clandestine de l’extrême-droite. Un fonctionnaire membre d’une organisation extrémiste pourra perdre son emploi. L’entrée sur le territoire de certaines figures de ces milieux pourra être interdite.
la co-présidente de l'AfD après sa rencontre avec Marine Le Pen et Jordan Bardella à Paris
La dérive toujours plus extrémiste de l’AfD contraste avec la volonté du Rassemblement National d’afficher une façade plus respectable et d’être reconnu comme un parti comme les autres du paysage politique français. La récente polémique sur les projets de l’AfD d’expulser des millions d’étrangers et d’Allemands “non assimilés” a provoqué une prise de distance du RN. Mardi, une discrète rencontre entre les dirigeants des deux mouvements a eu lieu à Paris. Le Rassemblement National n’a pas pipé mot. La présidente de l’AfD Alice Weidel sur X a été plus prolixe : “J’ai rencontré aujourd’hui personnellement Marine Le Pen et Jordan Bardella. Nous avons discuté de nombreux sujets politiques et constaté que nous avions des idées communes pour apporter des solutions aux problèmes actuels. Merci pour cet accueil chaleureux à Paris. A bientôt !”
Plus d’infos vu de France sur “Huffington Post” : https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/marine-le-pen-et-jordan-bardella-ont-dejeune-avec-la-cheffe-de-l-afd-mais-ne-veulent-trop-que-ca-se-sache_230151.html
Publicité dans la presse de nombreuses entreprises contre les projets de l'AfD
D’ordinaire, les responsables politiques sont connus pour enjoliver les choses. Mais quand le ministre de l’Economie de la première puissance européenne estime que “la situation est dramatiquement mauvaise”, on se demande a priori quelle mouche l’a piquée ou si on a bien compris.
Le même Robert Habeck a présenté cette semaine des prévisions de croissance pour 2024 radicalement à la baisse. Au lieu des 1,3% pronostiqués à l’automne dernier, l’Allemagne devrait se contenter cette année d’une hausse symbolique du PIB de 0,2% (après une récession de -0,3% l’an passé).
La croissance allemande vue avec humour par le quotidien de gauche n'est plus qu'un nain de jardin
Une lueur d’espoir tout de même est à attendre pour cette année : la baisse de l’inflation devrait profiter à la demande car les salaires réels seront à nouveau à la hausse.
On ne plaisante pas avec les titres en Allemagne. Si vous avez fait une thèse, vous devenez “Frau Doktor” ou “Herr Doktor”, vous imprimez de nouvelles cartes de visite, et si quelqu’un devait omettre ce titre en vous présentant, vous remettez ce mécréant à sa place.
Et pour couronner le tout, ce titre devient partie intégrante de votre patronyme à l’état civil.
Ici la carte d'identité de l'ancien ministre CDU Thomas de Maizière
Mais cette tradition germanique se heurte aux dures réalités de la globalisation. Lorsque les Dr. Schmidt ou Dr. Müller voyagent, cette curieuse abréviation suscite des interrogations voire des irritations lors des contrôles aux frontières. Pour y remédier, le ministère de l’Intérieur envisage une réforme supprimant cette mention. Ou presque : le fétichisme des titres ronflants ne disparaitra pas totalement des pièces d’identité. Une rubrique spéciale sera créée à cette fin à un autre emplacement sur ces documents.
Une mesure symbolique certes mais qui touche une vache sacrée du modèle allemand : cela valait bien la une de l'auguste journal