Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
19 sept. · 5 mn à lire
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2025 : le duel Merz-Scholz, le revenant et le gisant

Près d'un an avant les prochaines élections générales du 28 septembre 2025, les unions chrétiennes-démocrates ont désigné leur candidat à la chancellerie, Friedrich Merz. CDU et CSU arrivent loin en tête dans les sondages aujourd'hui alors que la coalition du chancelier Scholz est au plus mal. Les jeux sont-ils faits pour autant ?

La lutte fratricide de 2021 a été évitée pour la désignation du candidat conservateur pour la chancellerie. Lundi, le ministre-président de la plus grande région allemande, la Rhénanie du Nord Westphalie, Henrik Wüst, annonçait qu’il n’était pas dans la course. Il aura cinquante ans l’été prochain et peut encore patienter. Restait donc à trancher qui du président de la CDU, Friedrich Merz ou de la CSU bavaroise, Markus Söder, serait désigné. La question devait être tranchée après la troisième élection régionale de cet automne, dimanche prochain dans le Brandebourg (voir plus bas). Finalement, le calendrier s’est accéléré.

Le quotidien de gauche a à nouveau accouché mercredi d’une une succulente. On peut y lire (sur fond d’intenses débats sur la politique migratoire) : “Première expulsion réussie à la frontière germano-bavaroise. Söder doit rester à Munich, Merz devient candidat à la chancellerie”.

Friedrich Merz partait favori.Le président de la CDU a réussi à unir le parti derrière lui. Ce conservateur, mis sur la touche par Angela Merkel au début des années 2000, avait plus tard abandonné la vie politique pour faire carrière dans les affaires. Il a lancé un come back fin 2018 après que la chancelière avait annoncé renoncer à la présidence de la CDU. Friedrich Merz avait dû s’incliner face à Annegret Kramp-Karrenbauer, dauphine à l’époque d’Angela Merkel.

L’échec historique des chrétiens-démocrates aux élections générales de septembre 2021, emmenés par Armin Laschet, un autre “Merkelien”, permet à Friedrich Merz de s’imposer à la tête de la CDU. Sa victoire coïncide avec le départ du pouvoir d’Angela Merkel. Le conservateur symbolise une rupture avec l’ancienne chancelière avec une politique économique plus libérale et un durcissement sur les questions de société comme l’illustrent actuellement les débats sur l’immigration.

CDU et CSU font aujourd’hui de loin la course en tête dans les sondages et devancent largement les sociaux-démocrates du chancelier Scholz (en 2021, le SPD avait obtenu 25,7% contre 24,1% pour CDU et CSU). Les Unions chrétiennes-démocrates font mieux aujourd’hui dans les sondages que l’ensemble des trois partis de la coalition (SPD/Verts/FDP). A un an des élections générales, les chances des conservateurs de revenir au pouvoir sont donc plutôt bonnes. Friedrich Merz avec son cours plus à droite est dans l’air du temps. Mais il lui sera difficile de marquer des points auprès d’électeurs centristes. Les femmes sont également moins convaincues. L’homme a d’autres faiblesses : un tempérament fougueux qui le conduit parfois à s’emporter ou à faire des déclarations polémiques négatives pour son parti.

Olaf Scholz s’est immédiatement félicité mardi de devoir affronter Friedrich Merz l’an prochain. Un adversaire chrétien-démocrate moins centriste que dans le passé est perçu comme un avantage parmi les sociaux-démocrates. Cela doit leur permettre de mieux mettre en exergue leurs différences. Leur espoir est également de pouvoir plus aisément séduire des électeurs centristes.

Les sondages actuels montrent que remonter la pente sera très difficile pour le SPD. Les écologistes sont au plus mal. Les libéraux sont menacés avec 4% dans les sondages de disparaître du prochain Bundestag comme cela s’est déjà produit en 2013. Il faudrait donc que Friedrich Merz fasse de nombreuses erreurs pour que le vent tourne radicalement. Et il serait nécessaire que le rejet massif de la coalition au pouvoir aujourd’hui recule. Dans un sondage ce jeudi, seuls 3%!! des Allemands souhaitent que le gouvernement actuel continue à gérer le pays après les législatives de l’automne 2025.

Dans son camp, Olaf Scholz semble être le seul à croire qu’il peut l’emporter à nouveau dans un an et rester chancelier. La base sociale-démocrate est plus qu’inquiète. Dans le Brandebourg où on vote dimanche, le ministre-président sortant, Dietmar Woidke SPD, a préféré renoncer à des meetings avec Olaf Scholz qui réside pourtant à Potsdam, la capitale du Land, où la femme du chancelier a été ministre de l’Education. Face à ce qui ressemble de plus en plus à la chronique d’une défaite annoncée, faut-il changer de cheval au milieu du gué ? Ce matin, le quotidien de centre-gauche de Munich “Süddeutsche Zeitung” recommande au SPD de prendre exemple sur les démocrates américains et de remplacer Olaf Scholz, le mal aimé, par son populaire ministre de la Défense Boris Pistorius.

Lamentos brandebourgeois

Et de trois ! Après la Saxe et la Thuringe le 1er septembre, une troisième région de l’Est de l’Allemagne vote ce dimanche. Cette fois, c’est le Brandebourg, le Land qui entoure Berlin qui est appelé aux urnes. L’extrême-droite devrait engranger un nouveau record. Dans ce dernier sondage publié en début de semaine, l’AfD obtient 28% des voix contre 23,5% il y a cinq ans et arriverait en tête. Le ministre-président de la région, le social-démocrate Dietmar Woidke remonte la pente mais a dû jouer son va-tout : si son parti n’arrive pas en tête dimanche soir, l’homme politique populaire dans le Brandebourg a annoncé qu’il tirerait sa révérence. Si son pari échoue, le SPD continuera malgré tout à diriger cette région comme c’est le cas depuis la réunification en 1990 dans ce fief. Actuellement, les sociaux-démocrates gouvernent avec la CDU et les Verts.

Néanmoins, un échec de Dietmar Woidke serait un coup dur pour le SPD du chancelier Scholz à un an des élections générales. La base du parti, et pas seulement elle, pourrait sérieusement commencer à ruer dans les brancards.

”Si vous voulez Woidke, votez SPD-Notre ministre-président”

Une visite à Cottbus mardi l’illustrait : comme ailleurs dans les régions de l’Est, les inquiétudes sont omniprésentes et exploitées à fond par des forces populistes. Bien que la situation se soit sensiblement améliorée depuis le chômage de masse et la désindustrialisation qui ont frappé dans les années 90, bien que des investissements importants aient eu lieu et que la région enregistre une croissance supérieure à la moyenne nationale, les angoisses demeurent. Peut-être est-ce aussi le reflet des traumatismes liés à la transformation profonde depuis la réunification ? Toute nouvelle incertitude semble réveiller d’anciens traumatismes et développer de nouvelles angoisses et des peurs d’une remise en cause des acquis même si les faits n’étayent pas cette perception d’abord émotionnelle. La peur et le rejet des migrants reviennent dans beaucoup de discussions, la crainte d’un conflit armé explique que l’aide à l’Ukraine est perçue avec scepticisme et que beaucoup plaident pour un arrangement avec Moscou. La peur de l’avenir en général est souvent évoquée avec des discours apocalyptiques sur une Allemagne au bord du gouffre. Le rejet de la politique et des partis établis, à commencer par le gouvernement fédéral, s’ajoute à ce sentiment diffus.

Sur un camion à Cottbus, les drapeaux russe et allemand avec le slogan : Sauvez-nous encore une fois !’

“Papiere bitte!” : le retour des contrôles aux frontières

L’Allemagne avait déjà réintroduit des contrôles à l’automne dernier à ses frontières avec la Pologne, la république tchèque, l’Autriche et la Suisse. Depuis lundi, l’ensemble des 3700 kilomètres entourant le pays sont concernés, dont la frontière avec la France. Cette mesure est valable pour six mois. Elle ne signifie pas pour autant que des contrôles systématiques ont lieu. Les passages quotidiens des frontaliers doivent être aussi peu perturbés que possible.

Objectif : réduire l’immigration illégale de personnes qui n’ont pas de papiers et ne déposent pas de demande d’asile.La ministre de l’Intérieur allemande Nancy Faeser (SPD) qui a longtemps rejeté de tels contrôles en raison de la libre circulation au sein de l’Union européenne s’est félicité que ceux en place depuis l’automne dernier aient permis le refoulement de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

”Vous êtes un islamiste radical ? Vous avez des couteaux et autres armes ? Vous planifiez un attentat en Allemagne ? Je dois malheureusement vous refouler. Mais merci d’avoir répondu si cordialement à mes questions. Je vous souhaite un bon voyage !” (caricature parue dans le quotidien “Tagesspiegel”)

Après l’attaque meurtrière au couteau commise fin août par un migrant syrien qui aurait dû être renvoyé vers la Bulgarie où il avait déposé une demande d’asile, la coalition au pouvoir à Berlin s’est mise d’accord sur un paquet de mesures dans l’urgence : les aides aux demandeurs d’asile qui ont déposé un dossier dans un autre pays de l’UE avant de se rendre en Allemagne seront supprimées. Ils devront retourner dans ce pays. Des demandeurs d’asile qui ont voyagé dans leur pays perdront leur statut. Les expulsions pour les criminels doivent être facilitées. Les autorités doivent obtenir des compétences supplémentaires. Fin août, 28 criminels afghans ont été renvoyés via le Qatar dans leur pays, une première symbolique depuis le retour des Talibans à Kaboul.

A la une du “Monde” cette semaine

La vague d’émotion après l’attaque de Solingen, les succès de l’extrême-droite aux deux régionales du 1er septembre, l’élection de ce dimanche dans le Brandebourg poussent le gouvernement Scholz à agir dans l’urgence. Des rencontres avec l’opposition chrétienne-démocrate ont achoppé la semaine dernière en raison de propositions jugées trop radicales de la CDU et de la CSU. Les conservateurs proposaient que toute personne soit refoulée aux frontières extérieures de l’Allemagne même si elle y demandait l’asile politique estimant que cela était possible dans les pays de l’Union européenne déjà traversés par ces personnes. Pour les sociaux-démocrates et les Verts, cette mesure remettrait en cause un principe de base du droit allemand ancré dans la constitution.

L’Allemagne s’efforce par ailleurs de multiplier les accords migratoires bilatéraux avec d’autres pays :

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20240913-%C3%A0-berlin-allemagne-et-kenya-vers-un-accord-migratoire-strat%C3%A9gique

https://www.rfi.fr/fr/europe/20240914-l-immigration-de-travail-et-les-r%C3%A9fugi%C3%A9s-afghans-au-c%C5%93ur-de-la-visite-d-olaf-scholz-en-ouzb%C3%A9kistan

Le pont de la rivière Elbe

“Un parmi des milliers” : le titre du quotidien berlinois ci-dessous après l’effondrement du pont de Dresde n’est pas vraiment rassurant. 13 000 ouvrages doivent être d’urgence rénovés ou remplacés. Un exemple parmi d’autres des investissements insuffisants depuis des années dans les infrastructures du pays.

Economie

-Volkswagen : des négociations cruciales débuteront la semaine prochaine entre la direction et les syndicats après que l’entreprise a résilié l’accord sur la garantie de l’emploi en vigueur depuis trente ans et censé courir jusqu’en 2029. Des licenciements seraient possibles parmi les 120 000 salariés de la marque Volkswagen en Allemagne à partir du 1er juillet 2025. Le constructeur automobile a provoqué un choc dans le pays en annonçant au début du mois qu’il pourrait fermer un ou plusieurs sites en raison de ses difficultés.

-Intel a annoncé lundi soir qu’elle reportait de deux ans la construction de son usine de semi-conducteurs à Magdebourg dans l’Est de l’Allemagne. Il s’agit d’un coup dur pour le gouvernement régional de Saxe-Anhalt comme pour Berlin. Le projet d’usine de 30 milliards d’Euros devait être le plus gros investissement étranger en Allemagne et permettre au pays de s’émanciper de la concurrence asiatique et américaine pour ces composants. Une subvention publique de dix milliards d’Euros était prévue pour ce projet. Déjà, la coalition au pouvoir se dispute pour savoir comment utiliser ce pactole, pour réduire le déficit ou pour des investissements d’avenir.

La saucisse au curry, la Currywurst, fête ses 75 ans !

Ce plat incontournable de la restauration rapide a l’âge de la république fédéral. Tout commence le 4 septembre 1949 à Berlin.Herta Heuwer, tenancière d’un stand de restauration rapide dans l’arrondissement de Charlottenburg, à Berlin-Ouest, invente une nouvelle recette de saucisse accompagnée de purée de tomates, de sauce Worcestershire, de poudre de curry et de divers condiments. Elle dépose un brevet. Une success story commence.

Mais différentes versions existent sur l’origine du plat qui aurait pu être lancé ailleurs et avant en Allemagne. Peu importe, la Currywurst est un mythe avec 800 millions de portions ingurgitées chaque année. Le chanteur Herbert Grönemeyer lui a même consacré un hymne : https://www.youtube.com/watch?v=MnZT0cXNRJQ