Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
1 nov. · 6 mn à lire
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Volkswagen : sortie de route pour la voiture du peuple

"Le crépuscule des dieux" : la une du quotidien "Tagesspiegel" ci-dessus résume bien le choc après l'annonce d'une possible restructuration brutale chez Volkswagen. La crise de ce symbole du modèle économique et social allemand est emblématique de la situation du pays en général.

« Une saignée à blanc aux dimensions historiques ». La présidente du comité d’entreprise du groupe Volkswagen n’a pas mâché ses mots lundi dernier pour qualifier les plans de l’entreprise. D’après Daniela Cavallo, la direction du constructeur automobile allemand envisagerait de fermer au moins trois usines de la marque Volkswagen en Allemagne qui compte dix sites et 120 000 salariés.

Début septembre déjà, la direction avait choqué en évoquant une telle option. Il s’agirait d’une première dans l’histoire de l’entreprise fondée dans les années 30. Et cela briserait l’image d’une société qui a longtemps fait figure de laboratoire social en Allemagne. On pense par exemple à la semaine de quatre jours qui dans les années 90 avait été mise en place durant une période difficile pour Volkswagen. Le père des réformes sociales mises en place par le chancelier Schröder au début des années 2000 était Peter Hartz, ancien directeur du personnel chez Volkswagen.

Le constructeur automobile est l’archétype du modèle allemand d’après-guerre où prévaut la cogestion avec les représentants des salariés, cogestion renforcée par la présence de la région de Basse-Saxe au sein du capital de l’entreprise à hauteur de 20%. Les salariés de Volkswagen bénéficient de nombreux avantages qui font des envieux dans des secteurs moins bien lotis.

”Volkswagen surpris par l’avenir”

Le groupe Volkswagen fait toujours des bénéfices mais la marque historique du groupe subit un recul certain avec 500 000 voitures de moins vendues en Europe par rapport à l’avant-pandémie. Longtemps, les bonnes affaires en Chine ont permis de payer l’ardoise. Mais celle-ci s’alourdit. Avec deux fois moins de salariés, Toyota, le numéro un mondial, produit deux millions de véhicules de plus que Volkswagen.

La réduction des coûts - le quotidien économique Handelsblatt parle de 4 milliards d’euros -, entraînerait la disparition de milliers d’emplois, mais aussi une remise en cause des conditions de travail des employés de Volkswagen. Les réductions de salaires pourraient atteindre 10% ce qui permettrait une réduction des coûts de deux milliards. Le comité d’entreprise comme les régions concernées vont tout faire pour que des fermetures de sites ne soient pas décidées. Par son porte-parole, le chancelier Olaf Scholz a fait savoir que “les salariés ne doivent pas subir l'impact d'éventuelles mauvaises décisions prises par le management dans le passé et que la priorité doit être à présent de préserver les emplois ».

La presse critique une direction qui s’octroie toujours des salaires records malgré des erreurs stratégiques d’ampleur. On pense au Dieselgate qui a coûté à Volkswagen environ 30 milliards d’Euros de dommages et intérêts et autres frais judiciaires. Une somme gigantesque qui aurait pu être investie pour préparer l’avenir, par exemple en produisant une “voiture du peuple” (la traduction de Volkswagen en français) électrique à bon marché permettant au groupe de prendre une longueur d’avance dans ce domaine. Les primes à la casse pour soutenir l’achat de véhicules de ce type que suggèrent le SPD ne constituent-elles pas une subvention indirecte pour un acteur industriel qui n’a pas fait les bons choix?

« C’est curieux ! Quand le club va mal, on vire l’entraîneur. Mais quand la boîte est en difficulté, on vire des milliers de personnes de l’équipe mais l’entraîneur reste en place »
Klaus Stuttmann dans “Tagesspiegel”

Sommets à gogo

A 11 mois des élections générales, la coalition au pouvoir en Allemagne parait plus déchirée que jamais. Ces dirigeants se critiquent ouvertement en public alors que la situation économique est inquiétante et les sondages pour les partis au pouvoir déprimants. Dernier exemple de ces déchirements : mardi, Olaf Scholz réunissait à la chancellerie des représentants des milieux économiques pour évoquer la difficile situation de l’industrie allemande, en omettant sciemment d’inviter ses partenaires verts et libéraux. Quelques heures plus tôt, le ministre des Finances Christian Lindner, président du FDP, organisait un sommet concurrent. Vous avez dit cacophonie ?

La presse a ironisé sur les querelles de bacs à sable de la coalition qui ne cherche même plus à dissimuler ses divisions. Olaf Scholz a évoqué sans prendre de gants la manifestation concurrente de son ministre des Finances en déclarant en amont : “Nous devons abandonner les effets de scène et éviter de faire une proposition qui ne sera pas acceptée par les partenaires de la coalition. Il faut plus d’harmonie ».  Le vice-chancelier et ministre de l’Economie, le Vert Robert Habeck s’est fendu d’un commentaire ironique : „Je ne vais pas organiser un sommet. Grimper des sommets, c’est mon pain quotidien. J’ai tellement de rendez-vous avec les milieux économiques et les syndicats ; j’ai des sommets tous les jours ». Le même ministre avait proposé quelques jours plus tôt un fonds spécial pour financer la restructuration de l’économie allemande, une proposition assez illusoire vu les commentaires de ses alliés et les contraintes budgétaires. Son rival, le ministre libéral des Finances Lindner, a dénoncé à la télévision une annonce non concertée :„Nous discutons ensemble mais je ne connais pas ces propositions. C’est un problème. Cet automne, nous devons savoir quelle sera la politique économique et budgétaire de notre pays ».

Les efforts du SPD, du FDP et des Verts pour venir en aide à l’industrie allemande

Deux logiques économiques s’opposent entre les sociaux-démocrates et les verts qui misent sur une politique industrielle active et des aides aux secteurs en difficulté et des libéraux qui plaident pour un strict respect du frein à la dette et misent sur le marché et des baisses d’impôts.

Au-delà, c’est aussi la campagne électorale qui a commencé puisque les trois leaders de la coalition -Scholz, Habeck, Lindner- défenderont les couleurs respectives de leurs partis lors du prochain scrutin. Les déclarations et autres propositions faites ces jours-ci ne sont pas nécessairement faites pour promouvoir des solutions communes à la coalition mais avant tout pour prendre date pour la bataille électorale et satisfaire ses supporters.

Les rivalités actuelles vont connaître possiblement leur heure de vérité d’ici la mi-novembre avec un vote sur le budget qui comme en France pourrait faire imploser le gouvernement. Le tout Berlin ne parle que d’élections anticipées au printemps prochain (au lieu de fin septembre 2025).

85% des Allemands tirent un bilan négatif de l’action de leur gouvernement. Dans un sondage tout frais, l’union chrétienne-démocrate (CDU/CSU) gagne trois points en un mois à 34%, loin devant le SPD à 16% et les Verts à 11%. Les libéraux comme dans d’autres études restent en dessous de la barre des 5% et disparaitraient du Bundestag.

Guerre et paix

Après les trois élections régionales de septembre en Thuringe, en Saxe et dans le Brandebourg, le nouveau parti “Alliance Sahra Wagenknecht” (BSW) joue les faiseurs de rois pour permettre la formation de coalitions viables. En Thuringe et en Saxe, deux alliances emmenées par la CDU pourraient associer les chrétiens-démocrates au mouvement BSW et au SPD. Dans le Brandebourg, le ministre-président sortant social-démocrate espère se maintenir au pouvoir avec une coalition avec le parti de Sahra Wagenknecht.

Après des rencontres exploratoires, des négociations de coalition ont été approuvées en Thuringe et dans le Brandebourg. La principale pierre d’achoppement reste le positionnement sur des questions de politique étrangère pour lesquelles en Allemagne les régions n’ont pas de compétences. Mais pour le BSW, le rejet des aides militaires à l’Ukraine, le plaidoyer pour des négociations comme issue à la guerre mais aussi l’opposition au déploiement de nouveaux missiles américains en Allemagne constituent un dossier central.

La fédération de Thuringe du BSW s’émancipe du diktat de la présidente du parti Sahra Wagenknecht

Dans le Brandebourg, le SPD a avalé son chapeau et n’a pas hésité à prendre ses distances avec le soutien de Berlin à l’Ukraine. On peut lire dans le préambule d’un projet de coalition : “Nous prenons au sérieux les inquiétudes de nos concitoyens qui craignent un élargissement de la guerre et une implication de l’Allemagne. Le conflit ne peut pas se terminer par des aides militaires supplémentaires”. En Thuringe, le BSW a rejeté la ligne plus dure de la direction du parti et accepté une formulation plus vague, plus acceptable pour chrétiens et sociaux-démocrates. Déjà, on spécule sur une possible scission de la fédération de Thuringe du BSW où l’on fait preuve de plus de pragmatisme. Le recul du parti dans un récent sondage constitue-t’il une sanction du cours inflexible de la direction du mouvement?

Les compromis trouvés sur la question ukrainienne, surtout dans le Brandebourg, provoque des réactions négatives. Le quotidien de droite populiste “Bild Zeitung” parlait il y a quelques jours d’une “semaine moscovite” au SPD pour évoquer les concessions faites sur les livraisons d’armes à l’Ukraine mais aussi les déclarations du nouveau secrétaire général social-démocrate qui a estimé que l’ex-chancelier Gerhard Schrôder avait malgré ses liens avec Poutine toute sa place au sein du parti.

Les 35 ans de la chute du mur

Berlin célébrera le 9 novembre le 35ème anniversaire de cet événement historique. “Défendez la liberté !” : c’est le slogan de ces commémorations qui veulent créer un lien entre le symbole de liberté qu’a été cette chute du mur et son actualité en 2024.

Une installation de plusieurs kilomètres de long sur le parcours de l’ancien mur qui séparait les deux parties de la ville rappellera avec 5000 affiches la révolution pacifique de l’automne 1989 et les revendications des manifestants opposés au régime est-allemand.

Des centaines de musiciens et groupes, amateurs ou professionnels, ont été invités à se produire le long de l’ancien mur pour interpréter des morceaux emblématiques de 1989. Le week-end des 9 et 10 novembre sera également marqué par de nombreux autres événements à travers la ville. Sept sites emblématiques comme la porte de Brandebourg, la Potsdamer Platz ou Checkpoint Charlie accueilleront des expositions thématiques. Le dimanche 10, le campus de la démocratie abritera le festival “Révolution ! Et après ?” où le groupe contestataire Pussy Riot se produira, sur le site de l’ancien QG de la police secrète est-allemande, la Stasi.

Le magazine berlinois vient quelque peu casser la fête avec en une “Mais où est passée l’euphorie ?”

La division allemande a été marquée par des musiques qui sont entrées dans l’histoire. Cela vaut pour la fameuse chanson de Udo Lindenberg “Sonderzug nach Pankow/train spécial pour Pankow”. Le rocker ouest-allemand qui souhaitait se produire en RDA où il avait aussi des fans s’adresse dans ce hit à la direction du régime communiste (dont les dirigeants avaient au départ habité dans le quartier de Pankow à Berlin-Est).

https://www.youtube.com/watch?v=b-NSfmhiTBg

Finalement, Udo Lindenberg dont le fameux titre sort début 1983 pourra se produire en RDA à l’automne de la même année mais sa chanson jugé irrespectueuse par les responsables communistes n’aura pas le droit d’être interprétée. Plus de quarante ans plus tard, elle doit être chantée le mois prochain par différents choeurs. Mais le forum Humboldt qui héberge le concert juge le terme de “Super Indien” par lequel Lindenberg interpellait ironiquement le numéro un est-allemand Erich Honecker trop politiquement incorrect aujourd’hui. Le texte est modifié. Udo Lindenberg est censuré une deuxième fois !

Le quotidien populaire berlinois proteste contre la mesure

Ikea va financer un fonds pour les travailleurs forcés est-allemands

La RDA finissante faisait tout pour obtenir des devises lui permettant de survivre. L’Ouest y a ainsi entreposé ses déchets (bien sûr sans trop s’inquiéter des conséquences pour l’environnement), des prisonniers politiques est-allemands ont pu quitter leur pays moyennant un paiement en bonne et due forme de la république fédérale. D’autres ont dû se livrer à du travail forcé pour des entreprises de l’Ouest qui trouvaient en RDA du personnel à bon marché. Habillements, moteurs, appareils photos ou électro-ménager ont ainsi été produits dans des prisons est-allemandes. Le Suédois Ikea a aussi profité de cette filière bon marché. La société est la première à accepter de financer un fonds pour les anciens prisonniers politiques est-allemands dans le besoin. D’autres comme Aldi trainent encore les pieds. Certaines sociétés ont aujourd’hui disparu. Ce fonds doit être approuvé dans les prochaines semaines par le Bundestag.

Riefenstahl, documentaire événement

Andreas Veiel, réalisateur de documentaires reconnu et plusieurs fois récompensé, a eu accès à 700 caisses de documents, enregistrements et autres photos laissées par Leni Riefenstahl après sa mort à 101 ans en 2003. Ce fonds n’avait jamais été exploité et il a fallu trois ans au réalisateur pour mener son projet à son terme.

”Visionnaire ? Manipulatrice ? Menteuse?” peut-on lire sur l’affiche ci-dessus qui annonce la sortie du film cette semaine. Leni Riefenstahl, la réalisatrice fétiche d’Adolf Hitler, est l’auteur de films entrés dans l’histoire sur les congrès nazis ou encore les jeux olympiques de Berlin en 1936.

Considérée par d’autres cinéastes comme une pionnière, elle a aussi activement contribué à fonder son propre mythe en se présentant en permanence comme une artiste apolitique qui bien sûr ignorait tout des atrocités commises par le IIIème Reich.

Trailer du film avec sous-titres en anglais : https://www.youtube.com/watch?v=7n5wKuahSZs

RFI fête les 30 ans de sa fréquence FM berlinoise

L’événement avait lieu la semaine dernière au Deutsches Theater en présence de Marie-Christine Saragosse, la présidente directrice générale de France médias monde.

Vous pouvez retrouver l’histoire de cette fréquence FM dans l’article que j’ai rédigé pour le site de RFI : https://www.rfi.fr/fr/europe/20241023-rfi-f%C3%AAte-les-trente-ans-de-sa-fr%C3%A9quence-%C3%A0-berlin-issue-de-la-r%C3%A9unification

Cet événement a donné lieu à une discussion franco-allemande sur la liberté de la presse à l’heure des manipulations qui a été diffusée hier soir sur notre antenne : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/d%C3%A9bat-du-jour/20241031-la-libert%C3%A9-de-la-presse-%C3%A0-l-heure-des-manipulations-de-l-information

Mon collègue Pascal Paradou a produit deux éditions de son émission “De vives(s) voix” à Berlin dont je vous recommande l’écoute. La première était consacrée à la scène théâtrale https://www.rfi.fr/fr/podcasts/de-vive-s-voix/20241023-en-direct-de-berlin-th%C3%A9%C3%A2tre-allemand-et-fran%C3%A7ais-dramaturgies-crois%C3%A9es

La seconde a évoqué la perception de Berlin par les écrivains francophones : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/de-vive-s-voix/20241024-le-berlin-des-%C3%A9crivains-francophones-la-capitale-allemande-vue-par-ses-auteurs