Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
18 nov. · 6 mn à lire
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Scholz sur la sellette

Des élections anticipées doivent avoir lieu le 23 février. La rupture de la coalition a débouché sur le départ des libéraux. Olaf Scholz dirige aujourd'hui un gouvernement minoritaire et doit poser la question de confiance au Bundestag le 16 décembre. Faute de majorité, il demandera au président Steinmeier de dissoudre le parlement.

L’Allemagne est désormais en pré-campagne électorale. Des sessions du Bundestag ont d’ores et déjà été annulées. Les partis politiques devront battre le rappel dans le froid en février et privilégier les halles chauffées s’ils veulent attirer des électeurs potentiels.

Après le limogeage du ministre des Finances et président du parti libéral Christian Lindner par Olaf Scholz, le FDP a quitté la coalition qui l’associait depuis décembre 2021 aux sociaux-démocrates du chancelier et aux écologistes. Depuis, l’Allemagne est dirigée par un gouvernement composé de ministres SPD et Verts. Leurs homologues libéraux ont été remplacés. Si de nombreuses démocraties parlementaires européennes ont à leur tête des gouvernements minoritaires, cette constellation n’est pas dans l’ADN de stabilité de l’Allemagne d’après-guerre. Certes, des lois techniques ont pu être adoptées il y a quelques jours grâce au soutien des chrétiens-démocrates, mais cette option reste limitée. CDU et CSU n’ont aucun intérêt à venir en aide à une coalition aux abois; les chrétiens-démocrates, en pole position dans les sondages, ont tout intérêt à des élections aussi rapides que possibles.

Dans ce sondage du week-end dernier, CDU/CSU pèsent deux fois plus que le SPD. Les chrétiens-démocrates augmenteraient leur score de huit points par rapport aux législatives de septembre 2021 et devraient aujourd’hui conclure à nouveau une alliance avec les sociaux-démocrates pour disposer d’une majorité en sièges au Bundestag. Une constellation pratiquée à trois reprises par l’ex-chancelière Angela Merkel, championne toutes catégories des grandes coalitions.

L’alliance qui gouvernanit l’Allemagne jusqu’à récemment (SPD, Verts, libéraux) avait obtenu 52% des voix en 2021. Ces trois partis n’attireraient aujourd’hui que 30% des électeurs ! Le pire score du SPD depuis la guerre avait été en 2017 légèrement supérieur à 20%. Les Verts perdraient aujourd’hui la moitié de leurs électeurs de 2021; le parti libéral ne serait plus représenté au Bundestag comme en 2013, faute d’atteindre la barre fatidique des 5%.

Le loueur de voitures exploite régulièrement l’actualité politique pour ses publicités.
Ici on peut lire : “Et vous décidez quand vous vous en débarrassez”

Olaf Scholz restera-t-il dans l’histoire allemande comme un de ces chanceliers dont le mandat n’aura été qu’un intermède comme Ludwig Erhard ou Kurt Georg Kiesinger, loin des records établis par Konrad Adenauer, Helmut Kohl et plus récemment Angela Merkel ?

Olaf Scholz semble être aujourd’hui le seul (comme en 2021) à croire à ses chances de succès. Il espère aujourd’hui malgré son énorme handicap dans les sondages qu’une remontada au détriment des chrétiens-démocrates reste possible. Mais sa base est incrédule. Des élus locaux et régionaux du SPD suggèrent comme aux Etats-Unis un changement de candidat et plaident pour le populaire ministre de la Défense Boris Pistorius. Les premiers députés sociaux-démocrates au Bundestag ont ces derniers jours osé avancer une telle option. La direction du parti ne parvient pas à endiguer ce débat lancinant qui égratigne un peu plus un chancelier des plus impopulaires. Changer de cheval au milieu du gué constituerait un affront majeur pour le tenant du titre. Si Boris Pistorius n’est pas un messie, il pourrait grâce à sa popularité permettre au moins au SPD de limiter les dégâts alors que le groupe parlementaire du parti au Bundestag pourrait fondre au soleil. Dans l’hypothèse aujourd’hui probable d’une nouvelle coalition avec les chrétiens-démocrates, le SPD pourrait arracher plus de compromis à la CDU lors des négociations de coalition et décrocher quelques ministères supplémentaires.

Les sociaux-démocrates partent donc affaiblis avant même le début de la campagne électorale. L’opposition ne veut rien laisser passer au chancelier. Sous la pression, y compris des chrétiens-démocrates, Olaf Scholz a dû accepter une accélération du calendrier électoral. Le chancelier voulait poser la question de confiance à la mi-janvier; celle-ci doit avoir lieu dès le 16 décembre. Ces derniers jours, il a été attaqué frontalement par les chrétiens-démocrates après son entretien téléphonique vendredi avec Vladimir Poutine. L’opposition reproche à Scholz d’avoir contribué à la “propagande” de Moscou. L’intéressé a dû avant de partir pour le G20 réitérer son soutien à l’Ukraine et dissiper les soupçons électoralistes autour de l’entretien avec Poutine. Alors qu’une partie non négligeable des électeurs, à commencer par ceux des partis populistes AfD et BSW plaident pour des négocations entre Moscou et Kiev et contre des livraisons d’armes à l’Ukraine, se positionner comme “le chancelier de la paix” constitue une stratégie tentante.

Dessin paru dans le magazine “Der Spiegel” :
on y voit le leader de la CDU Friedrich Merz pousser peu discrètement Olaf Scholz vers la sortie.

Les chrétiens-démocrates s’impatientent. Ils se savent aux portes du pouvoir. Ils ont non seulement l’avantage d’être de loin en tête dans les sondages. Ils n’ont par ailleurs pas à souffrir de débats en interne sur leur chef de file. Friedrich Merz, le président de la CDU, a été désigné sans guéguerre avec le parti frère bavarois CSU, contrairement à ce qui avait eu lieu en 2021. L’autorité du candidat à la chancellerie conservateur est incontestée. Il doit juste éviter comme il en est familier des sorties intempestives qui pourrait nuire à ses chances. Comme cela fut la règle depuis la création de la république fédérale en 1949 (avec une exception), une coalition sera nécessaire pour diriger l’Allemagne après le 23 février. Les sociaux-démocrates constitueraient aujourd’hui la seule alternative arithmétiquement possible pour une alliance entre deux partis. La CSU répète en permanence qu’elle rejette toute coalition avec les verts mais rien n’est gravé dans le marbre.

”Peut-il vraiment faire mieux” s’interroge l’hebdomadaire cette semaine

Les chrétiens-démocrates s’élancent avec un programme économique libéral. Ils ont aussi l’ambition de réformer l’Allemagne. Mais des baisses d’impôts et des dépenses pour rénover des infrastructures déficientes ou renforcer la Bundeswehr coûtent cher. Le frein à la dette, vache sacrée des conservateurs, rogne les marges de manoeuvre de tout nouveau gouvernement. Une remarque de Friedrich Merz il y a quelques jours -”il s’agit d’un sujet technique; on peut y répondre d’une manière ou d’une autre”- a surpris. Ce tabou pourrait-il tomber pour permettre aux chrétiens-démocrates d’avoir les coudées plus franches pour appliquer leur programme ? Des responsables régionaux de la CDU y sont favorables. Friedrich Merz a précisé que cela était envisageable s’il s’agissait d’investir dans l’avenir et non pour soutenir la consommation. Mais la réforme de cette mesure limitant le déficit de l’Etat fédéral à 0,35% du PIB impose une révision de la constitution et une majorité des deux tiers. Il n’est pas sûr qu’elle soit garantie après les prochaines élections.

Robert Habeck, le ministre de l’Economie, a été désigné ce week-end comme candidat à la chancellerie des écologistes allemands. Une élection de maréchal avec plus de 96% des voix qui a fait passer à l’arrière-plan les traditionnelles querelles entre les “Realos”, les pragmatiques au sein du parti dont Habeck est l’archétype, et l’aile gauche. Les écologistes ont aussi élu une nouvelle direction après la démission du précédent duo à leur tête, suite aux échecs électoraux de septembre.

Les verts allemands affichent leur unité avant les prochaines élections mais leur situation est difficile. Ils sont crédités de 10 à 12% des voix dans les sondages. Ils ont souffert de l’impopularité globale du gouvernement sortant mais aussi de leurs propres erreurs. Le mouvement est perçu comme le parti des interdits avec des propositions jugées intrusives par beaucoup. La loi mal ficelée sur le remplacement des chauffages proposée par un certain Robert Habeck a creusé le fossé entre beaucoup d’Allemands et un parti que de nombreux électeurs rejettent voire haïssent. La co-présidente sortante des écologistes, Ricarda Lang, issu d’un milieu défavorisé, a souligné le risque pour son mouvement d’être déconnecté des réalités : “Si des personnes modestes restent fidèles aux voitures diesel ou achètent de la viande bon marché, cela ne signifie pas que le climat leur est indifférent mais qu’ils prennent des décisions rationnelles. C’est du paternalisme que d’expliquer aux pauvres ce qu’est la protection de l’environnement".

Robert Habeck est aussi attaqué en raison des difficultés économiques que traverse l’Allemagne aujourd’hui. Il est critiqué sur sa gauche pour un pragmatisme trop exacerbé qui l’aurait poussé à mettre trop d’eau dans sa bière et à accepter trop de concessions sur la réduction des objectifs climatiques ou la politique migratoire sensiblement durcie par le gouvernement Scholz.

Malgré ces déficits, les Verts peuvent miser sur un candidat aux talents rhétoriques reconnus qui sait communiquer contrairement à l’autiste Olaf Scholz. Les écologistes espèrent donc regagner des couleurs d’ici aux élections du 23 février.

Le quotidien économique “Handelsblatt” titrait ce lundi sur la fin de la coalition et les débats autour de révélations selon lesquelles les libéraux (en une leur président Christian Lindner) avaient préparé depuis la rentrée leur départ du gouvernement Scholz. Depuis le limogeage par le chancelier de son ancien ministre des Finances, SPD et FDP s’accusent mutuellement d’avoir été responsables de la fin de la coalition “feu tricolore”. Une querelle qui peut influencer la campagne à venir, les électeurs appréciant peu les “magouilles” électoralistes. Ces révélations ne sont pas favorables au parti libéral qui affronte depuis des mois un vent mauvais avec des échecs électoraux et de mauvais sondages. Il en va aujourd’hui pour ce petit parti de sa survie parlementaire. Pourra-t’il ou non dans l’opposition aujourd’hui se refaire une virginité politique afin d’obtenir les 5% nécessaires pour être représenté au Bundestag ?

”La fin de la coalition feu tricolore est une libération pour notre pays”

Le parti d’extrême-droite figurera avec certitude parmi les gagnants des prochaines élections. Il est crédité selon les sondages de 17 à 19% des voix et engrangera probablement un succès historique après 10,3% en 2021 et 12,6% aux législatives de 2017.

”La coalition appartient enfin au passé.
L’alliance Sahra Wagenknecht BSW est prête pour de nouvelles élections”

L’alliance Sahra Wagenknecht dispose déjà de députés au Bundestag. Mais ce groupe s’est constitué il y a quelques mois après la scission de Die Linke. Un peu plus d’un an après sa création, le nouveau mouvement doit prouver qu’il peut de lui même faire son entrée au parlement. Avec 7% dans les sondages, le pari est jouable. Mais ce parti nouveau qui dispose de peu de membres doit faire face dans l’urgence aux défis d’une campagne électorale nationale qui nécessite une organisation professionnelle, des moyens matériels et humains. BSW a enregistré des succès en septembre lors de trois régionales à l’Est mais son audience dans la partie Ouest du pays -près de 85% de l’électorat- est plus faible.

BSW peut espérer marquer des points avec un programme de gauche traditionnel auprès des “petites gens” qui se sentent délaissées par le SPD ou les Verts. Ses positions fermes sur l’immigration peuvent aussi séduire cet électorat qui se sent menacé. Enfin, le parti qui dénonce l’aide militaire à l’Ukraine et prône des négociations pour mettre fin à la guerre ne manquera pas de miser sur cette thématique alors que les élections coincideront avec le troisième anniversaire du début du conflit.

”Il y a des gens dont on n’arrive jamais à se débarrasser. Moi, par exemple”

Le dinosaure du parti de gauche Die Linke, Gregor Gysi, ne manque pas d’humour. A 76 ans, l’ancien président du mouvement veut sauver une organisation menacée de disparition près de 35 ans après la chute du mur. Le lointain héritier du parti communiste est-allemand, en déclin depuis des années, a pâti du lancement de BSW qui lui a pris de nombreux électeurs comme les trois régionales de septembre l’ont montré. Die LInke n’est plus créditée que de 3 à 4% dans les sondages et pourrait disparaître du Bundestag. L’opération “Silberlocke” (cheveux blancs) doit sauver le patient à l’agonie. Ce ne sont pas les plus jeunes mais au contraire des vétérans qui vont mener le combat de la dernière chance. La loi électorale allemande prévoit certes une barre des 5% pour être représenté au Bundestag. Mais une disposition permet d’échapper à ce couperet si un parti remporte trois circonscriptions au scrutin uninominal. Trois vétérans populaires du parti présenteront leur stratégie mercredi. Gregor Gysi, figure emblématique du mouvement, Bodo Ramelow, l’actuel ministre-président de la Thuringe et Dietmar Bartsch veulent se faire élire grâce à leur notoriété et leur popularité dans leur circonscription permettant par là à leur parti, comme en 2021, de sauver sa représentation parlementaire au Bundestag.

Si tous les partis évoqués ci-dessus parviennent à leurs fins, le nouveau Bundestag pourrait compter un nombre record de groupes dans l’hémicycle, jamais atteint depuis les années 50.