Au menu également de cette Lettre d’Allemagne : la génération perdue parmi les jeunes responsables politiques allemands, les changements à la tête du SPD et des Verts, l’Etat providence en crise et un verdict historique contre un ancien officier de la Stasi.
La visite d’État en grande pompe de la semaine dernière s’est réduite ce vendredi à un rendez-vous de travail de quelques heures. Mais visiblement, Joe Biden voulait effectuer cette visite auprès de son allié allemand avant les élections dans son pays. Après des rencontres bilatérales avec le président Steinmeier et Olaf Scholz, le président français Macron et le premier ministre britannique Starmer ont rejoint le chancelier et le président américain pour une rencontre consacrée à l’Ukraine et au Moyen-Orient.
Olaf Scholz a fait ses adieux à un partenaire très proche. On l’a vu depuis le début de la guerre en Ukraine, le chancelier a toujours fait des avancées progessives dans son soutien à l’Ukraine après s’être assuré du soutien de Washingon. Traditionnellement, la relation transatlantique est fondamentale pour les responsables politiques allemands. Scholz aurait l’habitude de dire que les États-Unis sont le partenaire le plus important de l’Allemagne et la France le plus proche.
Pour marquer ces adieux emprunts de pathos, le président Frank-Walter Steinmeier a remis à son homologue américain la plus haute distinction de la république fédérale. Joe Biden lors de brèves déclarations à la chancellerie a rendu lui hommage à la politique d’Olaf Scholz.
L’Allemagne perd avec Joe Biden le dernier président américain pour qui la relation transatlantique restait essentielle. Même si Kamala Harris l’emporte le mois prochain, une nouvelle génération arrivera aux affaires. Si Trump revient au pouvoir, une période plus agitée s’ouvrira à nouveau et la pression sur l’Europe pour assumer plus avant sa sécurité augmentera. L’Allemagne est-elle prête à faire plus, voire à jouer un rôle de leader sur ces questions? Si oui, comment ses voisins et alliés percevront-ils un tel rôle ?
Merz prend le taureau par les cornes
Joe Biden et Olaf Scholz ont travaillé très étroitement sur le dossier ukrainien. Si avant l’attaque russe, le gazoduc Nord Stream 2 constituait une divergence entre les deux hommes, on a vu ensuite comment ils ont coordonné leur soutien graduel en faveur de Kiev. Ils se rejoignent sur leur prudence et la volonté d’éviter une escalade avec Moscou en évitant ce qui pourrait être perçu comme une participation indirecte de l’OTAN.
Cela vaut en Allemagne pour le refus de Scholz de livrer les missiles à longue portée Taurus à l’Ukraine (jusqu’à 500 kilomètres). Cette semaine au Bundestag, le leader de l’opposiition, le président de la CDU Friedrich Merz, candidat des unions chrétiennes-démocrates à la chancellerie l’an prochain, a surpris. Non seulement, il a à nouveau exigé la livraison de ces missiles à Kiev mais il a aussi affirmé que s’il était chancelier il donnerait 24 heures à Poutine pour cesser ses bombardements de l’Ukraine, faute de quoi les missiles Taurus seraient livrés par l’Allemagne.
Il n’est pas sûr que Merz ait pour une telle proposition le soutien de toutes ces troupes. On a vu après les récentes élections régionales à l’Est commment des chrétiens-démocrates plaidaient pour un rôle plus grand de la diplomatie pour trouver une solution à la guerre alors qu’une partie importante de la population voit d’un mauvais oeil les livraisons d’armes à l’Ukraine. Des livraisons que rejettent la nouvelle force “Alliance Sahra Wagenknecht” à laquelle la CDU va devoir s’allier en Thuringe et en Saxe.
Les milieux culturels allemands et la crise au Moyen-Orient :
vous avez dit “antisémitisme” ?
https://www.rfi.fr/fr/europe/20241014-allemagne-le-soutien-du-gouvernement-%C3%A0-l-%C3%A9gard-d-isra%C3%ABl-critiqu%C3%A9-dans-le-milieu-culturel
Berlin reprend ses exportations d’armes vers Israël
C’est lors d’un débat au Bundestag consacré au premier anniversaire du massacre commis par le Hamas qu’Olaf Scholz, attaqué par l’opposition lui reprochant son manque de solidarité avec Israël, a annoncé une reprise des ventes d’armes à l’Etat hébreu. Depuis le début de l’année, de telles exportations avaient été considérablement réduites avec moins de 15 millions d’Euros sur les neuf premiers mois contre 320 millions en 2023.
Berlin voulait ces derniers mois s’assurer que ces livraisons et l’utilisation des armements respectaient le droit international. Le gouvernement, et en premier lieu, le ministère des Affaires étrangères, voulait éviter que des tribunaux allemands ou la justice internationale ne s’opposent à de telles livraisons. Une polémique s’est développée depuis contre la ministre écologiste des Affaires étrangères Annalena Baerbock à qui les chrétiens-démocrates, partisans d’un soutien sans faille à Israël, reprochent son positionnement attentiste.
Vie politique
-le paquet sécurité du gouvernement en partie adopté
L’attaque meurtrière au couteau d’un migrant syrien fin août à Solingen, la montée de l’extrême-droite lors des régionales de septembre avaient poussé le gouvernement a adopté dans l’urgence un projet de loi sécurité prévoyant une restriction du port d'armes blanches, des expulsions plus simples et la suppression des aides pour les demandeurs d’asile arrivés en Allemagne par un autre pays européen (des mesures assouplies il y a quelques jours; elles ne vaudront que pour pour les personnes pour lesquelle un tel renvoi est effectivement et juridiquement possible). Les mesures envisagées prévoient aussi des compétences plus larges pour les autorités.
Le Bundestag a adopté ces mesures vendredi malgré des défections au sein de la majorité. Des députés sociaux-démocrates ou écologistes critiquaient des dispositions jugées trop dures. Le Bundesrat, la chambre haute qui représente les Länder, a en revanche retoqué le texte sur la lutte contre le terrorisme, les gouvernements régionaux dirigés par les chrétiens-démocrates estimant qu’il n’allait pas assez loin. Les autres textes ne demandaient pas, en revanche, une approbation du Bundesrat. Des négociations seront nécessaires pour trouver un compromis sur le texte rejeté.
-Génération perdue ?
Le quotiden berlinois “Tagesspiegel” évoquait récemment le retrait de la vie politique du jeune secrétaire général du SPD, Kevin Kühnert et la démission (avec son homologue) de la co-présidents des Verts Ricarda Lang, 30 ans. Deux jeunes talents prometteurs qui vont sans doute manquer à la vie politique allemande dans un pays vieillissant où il importe de séduire les plus jeunes générations avec des personnalités qui leur parlent plus.
Le cas de Kevin Kühnert, qui n’est pas unique, interroge. Le secrétaire général du SPD qui a créé la surprise en annonçant sa démission a avancé des raisons de santé. Des problèmes psychologiques expliqueraient sa décision. L’ancien ministre des Affaires européennes et actuel président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag, le social-démocrate Michael Roth, avait dû faire une pause pour un burn out. Il ne ne se représentera pas aux élections générales de l’an prochain. Comme lui, d’autres responsables allemands préfèrent quitter l’arène politiques dans un an estimant qu’ils doivent tourner la page.
-Libéraux et sociaux-démocrates déjà en campagne
Le FDP est le parti le plus en difficulté au sein de la coalition puisque tous les sondages désormais le donnent en dessous de la barre des 5% nécessaire pour être représenté au parlement. Mais contrairement aux Verts et au SPD, aucun changement au sein de la direction des libéraux ne se profile à l’horizon. Le président du parti et ministre des Finances Christian Lindner demeure incontesté.
Avec 3% dans ce sondage publié vendredi, le FDP est menacé de disparition
Le parti libéral promet des allègements d’impôts supplémentaires ce qui reflète la ligne politique tradtionnelle de ce parti qui depuis le début de l’actuelle législature s’est opposé aux hausses des prélèvements obligatoires et a fait de la défense du frein à la dette un cheval de bataille.
Les sociaux-démocrates promettent également des baisses d’impôts pour 95% des Allemands. Les 1% les plus riches verraient, eux, leur contribution augmenter. Les experts s’interrogent : la hausse des impôts pour ce groupe très restreint peut-elle suffire à financer une baisse pour la grande majorité des contribuables ?
Le SPD ne prévoit pas de baisse des prélèvements pour les entreprises qu’il ne juge pas suffisamment efficiente. Les sociaux-démocrates plaident en revanche pour des règles très généreuses pour les amortissements des sociétés qui investissent dans des secteurs d’avenir. Une prime pour les acheteurs de voitures électriques est envisagée ainsi que la hausse du smic horaire à 15 Euros. Le SPD plaide pour plus d’investissements dans les infrastructures pour rattraper le retard de l’Allemagne et pour un assouplissement des règles strictes sur le frein à la dette. La polique sociale et la politique industrielle devraient figurer au centre de la campagne du parti l’an prochain.
-duel des extrêmes :
Alice Weidel, la co-présidente du parti d’extrême droite AfD a pour la première fois débattu à la télévision avec Sahra Wagenknecht, la cheffe du nouveau mouvement qui porte son nom.
https://www.rfi.fr/fr/europe/20241010-allemagne-duel-des-extr%C3%AAmes-%C3%A0-la-t%C3%A9l%C3%A9vision-allemande
-un Talahon au Bundestag
Le mot “talahon” vient de l’arabe (“viens ici !”) et désigne de façon péjorative des jeunes d’origine arabe, machistes et agressifs, qui portent souvent des répliques bon marché de vêtements ou accessoires de marques connues.
La chanson “Verknallt in einen Talahon/Amoureuse d’un talahon” est la première produite grâce à l’intelligence artificielle à avoir conquis les charts allemands. Un succès qui a provoqué des critiques contre un texte qui stigmatiserait les jeunes migrants : https://www.youtube.com/watch?v=o0aG3S3iD6Y
C’est déguisé en Talahon que le député non inscrit Matthias Helferich, exclu du groupe parlementaire AfD, a récemment tenu un discours au Bundestag. L’homme politique a plaidé au parlement pour la “remigration”, ce concept de l’extrême-droite prévoyant l’expulsion de migrants, y compris de personnes intégrées ou qui ont obtenu la nationalité allemande.
-Première intervention d’une députée en langue des signes au Bundestag
Entrée au parlement en mars, en remplacement d'un élu bavarois du parti social-démocrate SPD, Heike Heubach, 44 ans, a reçu une ovation de ses nouveaux collègues avant de s'exprimer sur le développement urbain. Lors de ses quatre minutes d'intervention, les autres députés se sont régulièrement levés pour l'applaudir en langue des signes, en tournant les mains à partir des poignets. Elle les a remerciés en formant un coeur avec ses mains à l'issue de son discours.
"C'est un moment très particulier car nous montrons ici que nous pouvons un peu mieux représenter notre société au Bundestag", a déclaré la vice-présidente du Bundestag, Aydan Ozoguz. S'exprimant en langue des signes, Heike Heubach a été traduite grâce à une oratrice qui disposait du texte du discours de la députée.
https://www.youtube.com/watch?v=nadgM7ezrT8
Economie
-réforme des retraites
Le projet phare des sociaux-démocrates baptisé “Rentenpaket II” tarde à voir le jour. Olaf Scholz a promis durant la campagne électorale de 2021 que le niveau des retraites ne devait pas baisser. Pour y parvenir, le projet du gouvernement prévoit la mise en plan d’un “capital générationnel”. Ce fonds spécial alimenté par le budget fédéral investira sur les marchés financiers. A l’arrivée, 200 milliards d’Euros sont prévus. Les intérêts générés doivent renflouer le système de retraites et permettre la stabilisation de leur niveau jusqu’en 2039 à hauteur de 48% du salaire moyen brut. Sans réforme, ce taux baisserait sauf à augmenter les cotisations ou à l’âge de départ à la retraite.
La réforme qui doit d’abord profiter aux baby boomers (7 millions partiront à la retraite d’ici 2030) est critiquée par l’opposition et par les milieux économiques qui dénonce des mesures défavorables aux plus jeunes
-réforme des hôpitaux
Les mesures adoptées cette semaine doivent venir en aide à un secteur en difficulté. La réforme veut réduire le nombre des établissements, mieux les organiser et modifier leur financement. L’Allemagne dispose de trop d’hôpitaux par rapport aux moyens disponibles. Certains doivent fermer, d’autres sont menacés. Il y a également trop de lits disponibles avec un taux d’occupation de 70%, insuffisant et coûteux pour la gestion des établissements.
Cette réduction du nombre d’hôpitaux qui doit aller de pair avec une meilleure gestion et une plus grande spécialisation, favorable aux patients, suscite la colère des régions où la disparition d’une clinique est mal perçue. Les communes concernées craignent pour leur attractivité et les patients l’éloignement plus important à l’avenir pour se rendre à l’hôpital le plus proche.
-l’assurance dépendance bientôt en faillite ?
La dernière réforme remonte au printemps 2023 et pourtant l’urgence est à nouveau d’actualité. Le vieillissement de la population, l’augmentation des coûts notamment les salaires du personnel soignant et la baisse de la part à la charge des personnes dépendante rendent à nouveau des mesures nécessaires. A défaut, l’assurance dépendance pourrait être à court de liquidités en février prochain. Une hausse des cotisations parait vraisemblable.
-une hausse sensible des cotisations maladie?
L’augmentation des dépenses pourrait conduire l’an prochain à une hausse inédite des cotisations maladie en Allemagne. On évoque le chiffre de +0,7%
-la prime “bouge-ton-cul” : un projet mort-né
Comment réduire le nombre des chômeurs de longue durée ? Et si on leur proposait une prime de 1000 Euros s’ils retravaillent depuis un an. L’idée a fait long feu. Après le tir de barrage de l’opposition chrétienne-démocrate, les états d’âme au sein de la coalition au pouvoir et les gros titres négatifs de la presse à sensation, le projet a été enterré.
-bilan d’un test pour la semaine de quatre jours
Une quarantaine d’entreprises allemandes ont adopté durant six mois cette mesure pour leurs salairés. Le temps de travail hebdomadaire est passé de 38,7 heures à 34,7 heures. Il s’agissait donc plutôt d’une semaine de quatre jours et demi. Mais les salariés disposaient néanmoins d’un jour libre supplémentaire à salaire égal. Les trois quarts des entreprises (des petites structures dans différents secteurs) souhaitent prolonger ce test. A l’arrivée, elles ont constaté que le chiffre d’affaires et la rentabilité n’ont pas souffert. Neuf salariés sur dix estiment que cette expérience a eu des effets positifs sur leur santé mentale et physique.
Un officier de la Stasi condamné 50 ans après son meurtre
Pour la première depuis la disparition de la RDA communiste, un tribunal a condamné lundi dernier un ancien agent de la police secrète est-allemande pour meurtre. Après la réunification, les poursuites n'ont donné lieu qu'à des peines légères.
https://www.rfi.fr/fr/europe/20241014-allemagne-un-ex-agent-de-la-stasi-condamn%C3%A9-pour-meurtre-35-ans-apr%C3%A8s-la-chute-du-mur