L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.
Huit ans après l'attaque contre le marché de Noël de Berlin, l'Allemagne a à nouveau été frappée vendredi dernier. De nombreuses questions se posent : sur les motifs de Taleb A., sur les erreurs éventuelles des autorités comme sur les conséquences de l'attaque pour la campagne électorale.
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”Journées de deuil”
“Pourquoi ?” : c’était le titre dimanche dernier d’un éditorial du journal “Bild am Sonntag” quelques heures après l’attaque à la voiture bélier sur le marché de Noël de Magedebourg, la capitale de la Saxe-Anhalt, dans l’Est de l’Allemagne. Le bilan humain est énorme avec cinq morts dont un jeune garçon et environ 200 blessés.
Le profil de Taleb A. interroge. Si le mode opératoire de l’attaque -cette fois avec une puissante voiture- est connu, les motivations de ce psychiatre de cinquante ans, originaire d’Arabie-Saoudite, restent floues. L’homme qui était arrivé pour ses études en 2006 en Allemagne avait rompu avec son pays et l’islam. Il était venu en aide à des personnes, notamment des femmes, souhaitant quitter l’Arabie-Saoudite. Taleb A. avait dénoncé la politique migratoire d’Angela Merkel et le danger d’une “islamisation” de l’Allemagne. Très prolixe sur la plateforme X, il avait exprimé des sympathies pour le parti d’extrême-droite AfD. Pourquoi alors s’en prendre à un marché de Noël?
”Noël en larmes”
Les enquêtes menées par les médias allemands permettent de dresser le portrait d’un homme irrascible qui dans des accès de colère comme lors d’un procès en 2013 pouvait exprimer des menaces et laisser penser qu’il pourrait recourir à la violence. Il semble qu’il se soit radicalisé de plus en plus, estimant que l’Etat allemand persécutait les réfugiés saoudiens comme lui. En août dernier, il écrivait ainsi sur X : “Existe-t’il une voie vers la Justice dans ce pays sans faire exploser une ambassade allemande ou égorger au hasard des citoyens allemands. Je cherche une voie pacifique depuis janvier 2019 et je ne l’ai pas trouvée”.
Interrogations sur les erreurs ou négligences des autorités allemandes
Les menaces comme celles proférées en 2013, des publications sur X qu’une internaute alertée avait signalé, des informations transmises par l’Arabie-Saoudite ont-elles été prises suffisamment au sérieux ? La ministre de l’Intérieur fédérale promet de tirer au clair toutes ces questions. Elle sera interrogée avec des responsables des services compétents par la commission des affaires intérieures du Bundestag lundi prochain qui interrompera la trève des confiseurs. A nouveau, des débats ont lieu sur les limites du fédéralisme allemand qui nuit à la fluidité de l’information sur ces questions de sécurité; d’autres discussions reprennent sur les compétences des services de sécurité que d’aucuns jugent insuffisantes.
Quelles conséquences aura cette attaque pour les prochaines élections ?
L’attaque de Magdebourg est un “game changer”. Depuis la rupture de la coalition SPD/Verts/Libéraux du chancelier Scholz début novembre, les partis se mettent en ordre de bataille. La semaine dernière, ils ont présenté leurs programmes. Les sujets économiques et sociaux dominent (voir ci-dessous) alors que le pays traverse une conjoncture difficile et qu’au-delà les bases du modèle allemand s’effritent.
Les sondages récents montraient que des thèmes comme la sécurité ou l’immigration jouaient un rôle moins importants parmi les préoccupations des Allemands. Après l’attaque de Magdebourg, cela va changer à coup sûr. Si la plupart des partis ont ces derniers jours évité les polémiques, l’AfD a opté pour une autre partition. Certes, le parti d’extrême-droite n’a pas pu dénoncer une attaque islamiste en raison du profil de Taleb A. L’Alternative pour l’Allemagne critique désormais les erreurs qu’auraient pu commettre les autorités dans le passé. Peu importe que l’auteur de l’attaque ait eu une proximité idéologique avec le mouvement politique allemand, la carte anti-migration est utilisée. Les politologues s’accordent à reconnaître que peu de choses peuvent nuire à l’AfD. On voit sur les réseaux sociaux comment le profil de l’attaquant est passé sous silence ou mis en doute. Le co-président du parit d’extrême-droite, Tino Chrupalla, s’est rendu à Magdebourg durant le week-end; son homologue, Alice Weidel, y a pris la parole lundi lors d’une manifestation qui a réuni 3500 personnes d’après la police.
Durant le week-end, l’AfD s’est félicitée du soutien d’Elon Musk (“Elon voterait Alice”) qui sur le réseau X a affirmé : “seule l’AfD peut sauver l’Allemagne”. Après l’attaque de Magdebourg, le milliardaire a traité Olaf Scholz “d’idiot incapable”.
L’AfD dans ce dernier sondage frôle la barre des 20%. Depuis des semaines, le parti d’extrême-droite arrive clairement en deuxième position derrière les chrétiens-démocrates (son score était de 10,3% lors des législatives de septembre 2021)
L’accord a été publié durant le week-end dernier mais a sans aucun doute été négocié avant l’attaque de Magdebourg : les partis membres de ce qu’on appellerait en France “l’arc républicain” (les chrétiens-démocrates, les libéraux, les Verts, le SPD et Die Linke, sans l’AfD et le mouvement BSW) ont signé un texte pour une campagne électorale “fair play”. Les signataires rejettent toute forme d’extrémisme, d’antisémitisme, de racisme et s’opposent aux forces “anti-démocratiques”. Ils rejettent toute coopération avec l’extrême-droite. Le texte prévoit des débats marqués par le respect mutuel évitant les attaques personnelles, le rejet des déclarations discriminatoires, de toute désinformation (produite ou relayée). L’utilisation de l’intelligence artificielle doit être identifiée comme telle durant la campagne, les “deepfake” qui permettent de mettre dans la bouche d’adversaires politiques des propos qu’ils n’ont jamais tenus sont exclus.
Les craintes face à la montée des populistes expliquent que la classe politique ait marqué une trève la semaine dernière dans la campagne électorale pour adopter à une très large majorité (600 voix pour; 69 contre) un texte renforçant la protection de la cour constitutionnelle de Karlsruhe, pilier du modèle démocratique allemand. Les dispositions sur la structure du tribunal, la désignation des juges et la durée de leur mandat (12 ans) figurent désormais dans la constitution et ne peuvent être modifiées que par une majorité des deux tiers et non par une simple loi. L’élection des juges sera également sécurisée.
Demandez le programme !
Après la perte de la question de confiance au Bundestag par Olaf Scholz en début de semaine dernière, le président de la république Frank-Walter Steinmeier doit annoncer vendredi matin s’il dissout le Bundestag. Sa décision fait peu de doute. Des législatives anticipées doivent ensuite avoir lieu dans les soixante jours qui suivent la dissolution. Les Allemands doivent être convoqués aux urnes le 23 février.
”Noël, c’est de pire en pire” “Et cette année, il y a en plus les cadeaux électoraux”
Les programmes des deux principaux partis, chrétiens et sociaux-démocrates s’opposent sur beaucoup d’aspects. Le SPD du chancelier Scholz joue la carte sociale : l’âge de départ à la retraite comme le niveau des pensions (rare point commun avec CDU/CSU) ne sont pas remis en cause; le smic horaire doit sensiblement augmenter à 15 Euros de l’heure; 95% des personnes imposables doivent bénéficier de baisses d’impôts alors que les plus riches devront seront sollicités, l’ISF doit être remis en vigueur; la TVA sur l’alimentation doit baisser de 7 à 5%; la participation aux frais d’Ehpad doit être plafonnée à 1000 Euros par mois; la loi sur les limitatations de hausses de loyer doit être prolongée.
Les chrétiens-démocrates misent aussi sur des baisses d’impôts mais ne veulent pas en introduire de nouveaux. Ils veulent faire des économies en remettant en question la nouvelle aide sociale introduite par le gouvernement sortant ou en réduisant les prestations pour les personnes en situation irrégulière. CDU et CSU veulent par ailleurs durcir la politique migratoire et remettre en cause des mesures sociétales comme la libéralisation du cannabis ou l’assouplissement des régles de naturalisation. Les experts ont planché sur les promesses des uns et des autres. Les chrétiens-démocrates qui ne prévoient pas de nouvelles recettes et excluent contrairement au SPD une réforme du frein à la dette sont critiqués pour des mesures dont le montant total entrainerait des pertes de 100 milliards pour l’Etat allemand.
Les présidents de la CDU Friedrich Merz et de la CSU Markus Söder présentent le programme électoral des deux partis “Un changement politique pour l’Allemagne”
Accord chez Volkswagen
L’économie sociale de marché n’est pas morte et des compromis sont encore possibles malgré un conflit social qui paraissait insoluble. En septembre, la direction du groupe automobile avait choqué en annonçant que des mesures d’économies drastiques étaient nécessaires. Pour la première fois depuis la création de la “voiture du peuple” dans les années trente, des fermetures d’usines n’étaient pas exclues.
Vendredi dernier, un accord a finalement été trouvé entre la direction et le syndicat IG Metall après des discussions marathon d’environ 70 heures. Des fermetures de site et des licenciements secs seront évités. Mais 35 000 emplois doivent être supprimés d’ici 2030 en Allemagne (soit 29% des effectifs). La production doit être réduite de 700 000 unités sur les sites allemands de VW. En échange, les salariés renonceront à des primes et des hausses de salaires. Grâce à cet accord, Volkswagen espère à terme économiser quatre milliards d’Euros. Le PDG du groupe, Oliver Blume, a salué le compromis lundi estimant qu’il équivalait à la fermeture de deux à trois grandes usines. Les dirigeants de la société devront aussi se serrer la ceinture et renoncer d’après les médias allemands à 10% de leur salaire d’ici 2030.
Volkswagen souffre de la chute de ses ventes et pâtit d’erreurs stratégiques comme une transition trop peu rapide vers les voitures électriques ou une sous-estimation de la concurrence chinoise
A l’automne 2023, c’était une nouvelle liaison de nuit entre les deux capitales qui était lancée en grandes pompes. Depuis le début de la semaine dernière, ce qui devrait être une banalité sans nom est devenu réalité: Paris et Berlin sont reliés par une ligne de jour directe. Bienvenue au XXIème siècle !
Le gain en temps est symbolique puisqu’il faut environ huit heures pour relier les deux villes. Sur le sol allemand, l’absence de ligne à grande vitesse ralentit sévèrement la moyenne de la liaison. Il y en a pour l’instant une par jour dans chaque sens à partir de Paris à dix heures chaque matin; le train direct quitte Berlin à midi.
Le gain le plus substantiel concerne avant tout la santé mentale et physique des passagers : l’absence de changement en Allemagne évite le stress sans nom dû aux retards de la Deutsche Bahn.
Le magazine satirique de la chaine ZDF “Heute Show” a également mis en avant un autre avantage de cette nouvelle liaison inaugurée le jour où Olaf Scholz perdait la question de confiance au Bundestag alors qu’on attendait à Paris le gouvernement Bayrou :
“Trajet direct à partir d’aujourd’hui entre Berlin et Paris où comment assister le même jour à deux crises gouvernementales”
pascal thibaut
Ma relation avec l'Allemagne remonte à ma plus tendre enfance en Bourgogne grâce à un jumelage avec une commune de la Rhénanie Palatinat. Après de nombreuses échanges, divers séjours, des stages et autres séminaires, je me suis installé à Berlin juste après la réunification en octobre 1990. Après quelques années comme journaliste indépendant, j'ai commencé à travailler pour Radio France Internationale.