Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

image_author_pascal_thibaut
Par pascal thibaut
13 déc. · 6 mn à lire
Partager cet article :

Syriens en Allemagne : Should I stay or should I go?

La chute du régime Assad a également provoqué des scènes de liesse en Allemagne où vit une importante communauté syrienne. Un retour au pays n'est plus aujourd'hui une utopie pour eux. Déjà, la question agite la sphère politique et s'invite dans la campagne électorale allemande.

Au menu également : l’Ukraine dans la campagne électorale; Scholz pose la question de confiance lundi avant des élections anticipées; les partis se préparent avant le prochain scrutin; nouveaux gouvernements régionaux à l’Est; la culture berlinoise menacée.


Ils sont environ un million à vivre en Allemagne. Beaucoup sont arrivés au milieu de la dernière décennie, notamment en 2015 lorsque la chancelière Merkel a décidé de ne pas fermer les frontières de son pays permettant à plusieurs centaines de milliers de réfugiés de s’installer en Allemagne. Mais d’autres continuent à arriver depuis. L’an passé, 144 000 demandes d’asile ont été déposées par des Syriens sur 370 000 au total.

Ils sont par ailleurs de plus en plus nombreux à prendre la nationalité allemande. 160 000 ont franchi le pas et les chiffres augmentent chaque année. La nouvelle législation permettant une naturalisation plus rapide après cinq années de séjour (voire trois) au lieu de huit va contribuer à une augmentation des demandes.

Ces Syriens sont de plus en plus nombreux à travailler (surtout les hommes). Une étude estime le nombre d’actifs à près de 300 000. Un nombre très faible en Allemagne mais ces personnes se concentrent dans des secteurs où règne une pénurie de main d’oeuvre comme la santé, le transport et la logistique. Le ministre de la Santé a cette semaine rappelé que 6000 médecins en Allemagne étaient Syriens ou d’origine syrienne et que leur départ entraînerait des difficultés importantes pour ce secteur. Plus largement, cette population jeune (ils sont près de 400 000 à avoir moins de vingt ans) peut répondre aux besoins en main d’oeuvre d’une Allemagne vieillissante.

”Le boucher est tombé. Et maintenant ?”

L’annonce de la chute d’Assad a immédiatement suscité des réactions de la classe politique allemande. Certaines étaient sans surprise. La co-présidente du parti d’extrême-droite AfD, Alice Weidel, a ainsi estimé : “Ceux qui en Allemagne fêtent la chute d’Assad n’ont donc plus de raison justifiant leur exil. Ils devraient rentrer le plus vite possible chez eux”. Au sein de la CDU, le parti d’Angela Merkel, certains ont très vite plaidé pour un renvoi des réfugiés syriens. L’ancien ministre de la Santé, Jens Spahn, a évoqué des charters et une aide au retour de 1000 Euros. A gauche, les sociaux-démocrates et les Verts, ont dénoncé des déclarations prématurées alors que l’évolution de la situation en Syrie reste incertaine. Pourtant, les autorités ont décidé de geler lundi l’examen des demandes d’asile en instance.

A A Damas : “Il y a un type qui appelle depuis l’Allemagne. Une certaine CDU. Il demande qui chez nous s’occupe du rapatriement des réfugiés syriens”

L’Ukraine s’invite dans la campagne électorale

Il est rare qu’un sujet de politique étrangère joue un rôle important lors des campagnes électorales. En Allemagne, le dernier exemple en date remonte à 2002 lorsque le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder (sur la même ligne que le président français Jacques Chirac à l’époque) s’était clairement opposé à une possible intervention en Irak (défendue par la cheffe de l’opposition, une certaine Angela Merkel).

La guerre en Ukraine constitue une nouvelle exception. On l’a vu dans une certaine mesure lors des élections européennes de juin mais aussi lors des scrutins régionaux de septembre (voir ci-dessous). Si l’Allemagne est, après les Etats-Unis, le pays qui soutient le plus activement l’Ukraine (financièrement et militairement), les débats sont récurrents depuis des mois. Une part importante de la population, surtout dans la partie Est du pays, se montre réticente à l’égard des aides militaires à Kiev. Cela vaut notamment pour les sympathisants des partis AfD et BSW. Dans la sphère politique, Scholz a été régulièrement attaqué par ses alliés verts mais aussi par les chrétiens-démocrates qui lui reprochent une politique trop frileuse. Une partie des responsables et des sympathisants sociaux-démocrates rejette une politique trop résolue à l’égard de Moscou qui constituerait pour eux une escalade dangereuse du conflit.

Le chancelier Scholz et quelques jours plus tard son challenger, le président du parti chrétien-démocrate CDU, Friedrich Merz, sont allés à Kiev. A un peu plus de deux mois des législatives anticipées du 23 février, ces deux visites s’inscrivaient dans la campagne électorale balbutiante.

Olaf Scholz réitère lors de chaque intervention sa solidarité inconditionnelle à l’Ukraine et la nécessite de trouver une solution en accord avec Kiev. Mais le chancelier est aussi conscient des divisions au sein de l’électorat allemand. Il dénonce les forces -AfD et BSW- aux positions trop russophiles qu’il accuse de vouloir brader l’Ukraine. En même temps, Olaf Scholz veut se mettre en scène comme un défenseur d’une position raisonnable et critique Friedrich Merz dont les positions seraient trop bellicistes et à terme dangereuses pour l’Allemagne. Le chancelier rejette toute livraison de missiles à longue portée Taurus pourtant réclamés par Kiev. Il voit dans une telle mesure une décision qui impliquerait l’Allemagne directement dans le conflit et pourrait provoquer des rétorsions de Moscou. Friedrich Merz avait récemment évoqué un ultimatum à la Russie en donnant 24 heures à Poutine pour arrêter les bombardements des populations civiles en Ukraine. Faute de quoi, Berlin livrerait les missiles Taurus d’une portée de 500 kilomètres.

L’Allemagne critique les propositions françaises sur l’éventuel déploiement en Ukraine d’une force d’interposition européenne. Lorsque la semaine dernière, la ministre des Affaires étrangères écologiste, Annalena Baerbock, n’a pas voulu exclure une telle mesure, Scholz l’a immédiatement recadrée estimant que la cheffe de la diplomatie allemande avait été mal comprise…

La presse germanique critique le manque d’implication du chancelier dans l’actuel ballet diplomatique autour d’une possible solution en Ukraine. Son absence à Paris lors de l’inauguration de Notre-Dame où Macron a rencontré Trump et Zelensky a été regrettée. En rentrant de Kiev, Friedrich Merz s’est arrêté à Varsovie où il a rencontré le premier ministre polonais Donald Tusk en pointe sur ce dossier ce que Scholz n’avait pas fait.

Olaf Scholz pose la question de confiance

Le chancelier a envoyé une courte lettre mercredi à la présidente du Bundestag l’informant de sa volonté de poser la question de confiance. Après la rupture de la coalition au pouvoir entre les sociaux-démocrates d’Olaf Scholz, les verts et les libéraux, l’Allemagne est dirigée par un gouvernement minoritaire. Sans le FDP remercié, le SPD et les écologistes ne disposent que de 324 sièges sur les 735 que compte la chambre basse du parlement allemand. Une large partie des députés écologistes devrait s’abstenir lundi. Olaf Scholz va donc perdre la question de confiance. Le chancelier pourra ensuite demander au président de la république de dissoudre le parlement (ce que ce dernier n’est pas obligé de faire). Les prochaines législatives doivent avoir lieu le 23 février, sept mois avant le terme normal de l’actuelle législature.

Ce dernier sondage montre que les chrétiens-démocrates conservent une avancée sensible sur les autres forces avec plus de 30% des intentions de vote. L’extrême-droite (AfD) arrive actuellement en deuxième position devant le SPD du chancelier Scholz et les Verts. Les libéraux du FDP associés jusqu’à récemment au pouvoir sont sur la corde raide et pourraient disparaitre du prochain parlement.

Ces sondages sont à prendre avec beaucoup de précaution en raison de la volatilité de l’électorat allemand. En 2005, Gerhard Schröder comme Olaf Scholz en 2021 ont effectué une remontée spectaculaire d’environ dix points dans la dernière ligne droite avant les législatives; l’avance des chrétiens-démocrates avait fondu comme neige au soleil. Aujourd’hui, Olaf Scholz pâtit d’une impopularité inédite qui rend un tel scénario moins crédible comme en témoigne cette caricature :

Le soldat Scholz arbore fièrement son drapeau “victoire électorale” sous le regard sceptique de Mamie SPD (le plus vieux parti allemand est souvent représentée comme une grand-mère un peu défraîchie)

Les chrétiens-démocrates présente leur programme électoral

Si on va parler Ukraine durant la campagne à venir, les sujets économiques et sociaux vont dominer les débats. La situation difficile de l’Allemagne y est pour quelque chose. Le pays est en récession pour la deuxième année consécutive. Les prévisions de croissance pour 2025 et 2026 viennent d’être revues à la baisse par la Bundesbank qui ne table plus que sur un plus maigrichon de 0,2% l’an prochain. Et hormis la conjoncture poussive, c’est le modèle économique allemand en général qui est en question.

”Friedrich Merz, pour une Allemagne dont nous pouvons à nouveau être fiers”

CDU et CSU misent sur une politique de l’offre. Les deux partis excluent toute hausse d’impôts et veulent au contraire les alléger pour les entreprises et les particuliers, notamment pour l’acquisition de biens immobiliers. La bureaucratie doit être réduite avec moins de règles perçues comme nuisibles pour l’économie. Le frein à la dette ne permettant que 0,35% de déficit de l’Etat fédéral doit être maintenu. Un débat a cependant eu lieu au profit d’une plus grande flexibilité pour les Länder. Des barons régionaux de la CDU souhaitent eux que ce frein soit aussi moins strict au niveau fédéral. Le mois dernier, Friedrich Merz avait laissé entrevoir une possible réforme.

Le FDP mise sur son patron

Le parti libéral qui joue sa survie politique est au plus bas dans les sondages et son image est dramatique. Le mouvement a présenté cette semaine ses affiches pour la campagne électorale à venir. On y voit sous toutes les coutures le président du parti, Christian Lindner, ministre des Finances jusqu’à début novembre. Les libéraux manqueraient-ils d’autres arguments ?

”L’imposteur” : la une du magazine “Der Spiegel” sur Christian Lindner en disait long sur l’image du parti libéral

Projet de programme de l’AfD

Dexit : le parti d’extrême-droite souhaite la sortie de l’Allemagne de la zone Euro et de l’Union européenne et plaide pour une “Europe des patries”. Le mouvement veut un retour du nucléaire, la fin des sanctions contre Moscou et à nouveau des livraisons de gaz russe. Le changement climatique est relativisé. L’immigration sans surprise est rejetée. Le droit à l’avortement doit être durci et les IVG doivent devenir l’exception en cas de viol ou si la vie de la mère est en danger.

L’Allemagne de l’Est, laboratoire politique

Les trois scrutins de septembre en Thuringe, en Saxe et dans le Brandebourg ont contraint les acteurs politiques à faire preuve d’imagination. Avec un parti d’extrême-droite, l’AfD, totalisant dans ces trois régions environ 30% des voix, constituer une coalition stable excluant cette force relève de l’impossible. Mais une fois de plus le pragmatisme et la souplesse idéologique des partis a permis de trouver des solutions.

Cela vaut surtout pour la Thuringe où le chrétien-démocrate Mario Voigt (photo ci-dessus) a été élu hier. On le voit prêter serment avec un titre ironique : “avec l’aide du SPD, de Sahra Wagenknecht et du parti Die Linke”. Une coalition inédite en Allemagne s’est mise en place dans cette région connue pour ses innovations politiques : la nouvelle alliance associe la CDU qui revient au pouvoir après dix ans dans l’opposition au SPD et au BSW. Cette nouvelle force, l’alliance Sahra Wagenknecht (le nom de sa fondatrice et égérie) a été créée au début de l’année par l’ancienne responsable de la plateforme communiste au sein de Die Linke, le mouvement héritier du parti communiste est-allemand. BSW défend une politique économique et sociale de gauche, plaide pour une politique dure sur l’immigration et rejette les aides à l’Ukraine. Cette alliance avec la CDU, un parti traditionnellement anti-communiste et atlantiste et qui affiche sa solidarité avec l’Ukraine surprend. Il manque un siège à la nouvelle coalition baptisée “mûre” (le fruit) au parlement régional de Thuringe. Des rencontres régulières et un pacte de non agression permettront au nouveau gouvernement d’être toléré par Die Linke. Ironie de l’histoire : un congrès de la CDU avait il y a quelques années exclu toute alliance des chrétiens-démocrates avec ce parti -et avec l’extrême-droite. Difficile à suivre pour l’électeur moyen et une pilule amère pour d’aucuns à la CDU.

Le BSW, moins d’un an après sa création, participe désormais à un deuxième gouvernement régional, dans le Brandebourg. Dans ce Land, une coalition avec le SPD permet à la nouvelle coalition de disposer d’une majorité en sièges au parlement. Les sociaux-démocrates avec cette nouvelle alliance assoient leur domination dans une région qu’ils gouvernent depuis la réunification il y a 34 ans.

Dans ces deux Länder, les négociations ont surtout été difficiles sur le dossier ukrainien. Un paradoxe alors que les régions allemandes n’ont pas de compétences en matière de politique étrangère. Mais le mouvement BSW met en avant son hostilité aux livraisons d’armes à l’Ukraine et prône une solution diplomatique, surfant sur une position très répandue dans la partie Est du pays. La CDU en Thuringe comme le SPD dans le Brandebourg ont dû accepter quelques phrases dans les préambules des contrats de coalition qui insistent sur ces points.

La culture berlinoise menacée

La ville de Berlin a vu ses dépenses augmenter sensiblement ces dernières années. Pour 2025 en revanche, la capitale allemande doit se serrer la ceinture avec trois milliards d’Euros d’économies sur un budget de 40 milliards. Tous les secteurs sont concernés. La culture, carte de visite essentielle d’une ville qui n’abrite quasiment pas de grandes entreprises, doit aussi faire des économies. Le budget des théâtres, opéras, musées et de la scène indépendante doit être réduit de 12%. D’autres coupures sont prévues en 2026.

L’annonce sans grande concertation en amont a choqué le monde de la culture berlinoise qui s’est mobilisé. Une nouvelle manifestation est prévue ce dimanche avant que le parlement régional ne vote les ultimes arbitrages jeudi prochain.

Cette mobilisation a déjà en partie porté ses fruits avec des coupes moindres pour certains établissements. Pour d’autres, elles sont entièrement remises en cause. L’association de la presse étrangère avait réuni ce mercredi au Deutsches Theater différents acteurs de la la scène culturelle berlinoise pour évoquer la crise actuelle. Un débat que j’ai animé.

A côté de la scène culturelle stricto sensu, le monde de la nuit, également très réputé dans la capitale allemande, est menacé. Certes, le club Berghain, longtemps un des lieux les plus cotés au monde pour les adeptes de la musique électronique fête ce week-end son vingtième anniversaire. D’autres mettent en revanche la clé sous la porte comme le Watergate. Dans un récent sondage, la moitié des clubs qui avaient répondu à un questionnaire évoquait un recul du nombre des visiteurs et de leur chiffre d’affaires. Ils sont presque autant à s’estimer menacés d’une fermeture dans les douze mois à venir. L’ancien maire de Berlin, Klaus Wowereit, était entré dans l’histoire avec sa fameuse formule qualifiant Berlin de “pauvre mais sexy”. La capitale allemande est aujourd’hui moins pauvre mais l’hédonisme a du plomb dans l’aile.