Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

image_author_pascal_thibaut
Par pascal thibaut
16 août · 6 mn à lire
Partager cet article :

A l'Est, les scrutins de la colère

Trois élections régionales dans l'ex-RDA sont attendues avec fébrilité le 1er septembre (Saxe et Thuringe) et le 22 septembre (Brandebourg). Le parti d'extrême-droite AfD est en tête dans ces trois Länder et le nouveau mouvement "Alliance Sahra Wagenknecht" BSW, lancé en janvier, devrait faire une percée spectaculaire.

Les “nouveaux Länder” comme on continue de les appeler ici, 34 ans après leur création (ou renaissance) après la réunification, restent une fois de plus fidèle à leur tradition de laboratoire politique. La volatilité politique y est plus forte que dans la partie Ouest du pays. Le retour tardif de la démocratie, la faiblesse des partis traditionnels, le moindre attachement aux valeurs qui ont marqué l’Allemagne de l’après-guerre expliquent ces différences. A cela s’ajoute le particularisme de l’Est avec le sentiment encore présent d’être des citoyens de seconde zone, la méfiance ou le rejet des autorités politiques, la plus grande tentation populiste.

C’est dans l’ex-RDA dans les années 90 qu’un gouvernement régional a été toléré pour la première fois par le mouvement héritier du parti communiste est-allemand, à l’époque massivement rejeté par ses concurrents. Plus tard, le PDS puis Die Linke ont été directement associés au pouvoir. Il y a dix ans, c’est aussi dans cette partie de l’Allemagne qu’a eu lieu une première historique avec l’élection en Thuringe d’un ministre-président de Die Linke, Bodo Ramelow, encore en poste aujourd’hui. Le parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne AfD remporte ses meilleurs scores dans ces régions où le mouvement est aujourd’hui la première force politique. Et le nouveau mouvement lancé en janvier, le BSW avec son programme de gauche sur les questions sociales mais conservateur sur l’immigration ou les valeurs sociétales, séduit plus à l’Est qu’à l’Ouest et pourrait bien faire partie des coalitions qui se mettront -laborieusement- en place à l’automne en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg.

Le sondage ci-dessus donne les résultats des différents partis à l’Ouest (colonnes de gauche) et à l’Est (colonnes de droite). La différence pour les deux partis populistes AfD et BSW est notable.

Le Land qui focalise la plus grande attention est la Thuringe. Cette région, malgré sa petite taille -2,5% de la population allemande- est depuis longtemps sous observation. Elle abrite l’aile la plus radicale de l’AfD avec son leader régional Björn Höcke.

”Comment le fascisme commence” (derrière Björn Höcke vous reconnaîtrez Marine Le Pen ou Donald Trump)

En 2019, un gouvernement minoritaire emmené par Die Linke avec les Verts et les sociaux-démocrates a pu se mettre en place, toléré par la CDU. La poussée de l’AfD dans les sondages (+7 points par rapport à 2019) et la percée spectaculaire de BSW rebat les cartes aujoud’hui. Die Linke voit son score dans cette étude d’opinion divisé par deux. Tous les autres partis rejetant une alliance avec l’AfD, les chrétiens-démocrates, en deuxième position, seront confrontés à la quadrature du cercle. Une résolution adoptée lors d’un congrès de la CDU exclut toute coalition avec l’AfD et Die Linke. Dans un premier temps, le président de la CDU Friedrich Merz avait également rejeté toute alliance avec BSW mais les fédérations de l’Est l’ont contraint à mettre de l’eau dans sa bière et d’accepter au niveau régional une éventuelle coalition. Ironie de l’histoire : la CDU nen veut pas d’un gouvernement commun avec Bodo Ramelow, Allemand de l’Ouest, qui au jour le jour mène une politique social-démocrate modérée; en revanche, les chrétiens-démocrates pourraient s’aillier avec un mouvement fondé par Sahra Wagenknecht qui a adhéré au parti communiste est-allemand juste avant la chute du mur et a un temps encensé Staline. L’image des partis déjà peu reluisante auprès des électeurs ne va pas s’améliorer…

Un zeste d’humour avec la cover version de la chanson “Da, da, da” avec le ministre-président de Thuringe Bodo Ramelow:

https://www.youtube.com/watch?v=EAzZ7ObcaNA

En Saxe, le Land voisin, l’élection se jouera d’abord entre la CDU et l’AfD. Le vote utile nuit visiblement aux autres partis qui ne sont que l’ombre d’eux mêmes. Trois d’entre eux (Linke, Verts et sociaux-démocrates) jouent leur survie politique. Le parti libéral ne peut qu’espérer un miracle douteux. Pour les trois partis qui composent la coalition du chancelier Scholz, ces élections régionales en Saxe et en Thuringe s’annoncent catastrophiques.

Les chrétiens-démocrates qui gouvernent actuellement la Saxe avec les écologistes et le SPD pourraient bien prendre langue avec le nouveau mouvement BSW. Cette alliance de la carpe et du lapin, là comme ailleurs, a aussi une composante internationale bien que les régions allemandes n’aient logiquement aucune compétence décisive en la matière. Le BSW exige que tout partenaire de coalition prennent ses distances avec les aides à l’Ukraine. Le nouveau mouvement, comme l’AfD, rejette les livraisons d’armes à Kiev, prône des négociations, pourtant aujourd’hui irréalistes. En Saxe, cette pilule pourrait passer plus facilement car le ministre-président CDU Michael Kretschmer est depuis longtemps sur une ligne plus “russophile” que la direction de son parti. Plus largement, les réserves face aux livraisons d’armes à l’Ukraine sont importantes dans l’Est de l’Allemagne. L’annonce de l’installation de nouveaux missiles américains en RFA et les révélations sur une implication possible de l’Ukraine dans le sabotage des gazoducs Nord Stream tombent à point nommé pour l’AfD et BSW qui exploitent à fond ces sujets dans leur campagne. En Thuringe, la tête de liste de l’Alliance Wagenknecht a estimé que l’ostracisme à l’égard de l’Alternative pour l’Allemagne n’était pas toujours bonne conseillère et que des propositions de l’AfD pourraient être soutenues.

”Vous prévoyez de voyager ? A partir du 1er septembre ? Dans des pays amis ? La Biélorussie ? La Chine ? La Corée du Nord ?” Poutine : “En Saxe et en Thuringe”

Dans le Brandebourg, la région qui entoure Berlin, on vote le 22 septembre. Ce Land est dirigé depuis la réunfication par le SPD, à la tête de différentes coalitions. Actuellement, les sociaux-démocrates sont au pouvoir avec la CDU et les Verts. Un exemple encore de la souplesse idéologique des partis allemands à des années lumière de la situation française. Si l’AfD ne progresse pas dans les sondages par rapport aux dernières élections de 2019, la situation est plus délicate pour les sociaux-démocrates au coude-à-coude avec la CDU. Dans cette région également, le BSW pourrait bien être le faiseur de roi.

Politique nationale

-Accord sur le budget :

depuis des semaines, on nous rebat les oreilles avec les démêlés budgétaires du gouvernement. Un accord avait été trouvé entre les trois partis de la coalition au début de l’été mais… un trou de 17 milliards d’Euros subsistait. Ce vendredi, on l’a réduit de près de cinq milliards, le reste doit se résoudre de lui même grâce à la conjoncture ou la non utilisation de crédits. L’accord d’aujourd’hui recourt à des “stratégèmes” juridiques : au lieu de subventions au profit de la Deutsche Bahn confrontée à d’énormes besoins pour améliorer ses infrastructures, le gouvernement va augmenter les fonds propres de l’entreprise qui recevra par ailleurs un prêt. Avantage : ces dépenses ne sont pas comptabilisées au sein du budget ce qui permet de respecter plus facilement la stricte règle d’or prévoyant un déficit maximal du budget fédéral de 0,35% du PIB.

-Le parti libéral : le trouble maker désespéré

On l’a vu plus haut : les élections régionales à venir vont être un désastre pour le FDP. Au niveau national, le mouvement recueille tout juste 5% lui permettant en cas d’élections de sauver sa présence parlementaire. Quitter la coalition et provoquer de nouvelles élections serait suicidaire, le parti a opté pour la stratégie du poil à gratter en provoquant en permanence ses alliés avec des propositions qui doivent satisfaire son électorat traditionnel. Le FDP a ainsi suggéré de baisser le niveau de l’aide sociale de 14 à 20 Euros par mois en raison d’une inflation plus faible; il s’attaque par là à un projet phare du SPD de Scholz. Autre proposition chiffon rouge pour les Verts et les sociaux-démocrates, la suppression proposée par des parlementaires libéraux du ministère du Développement pour le rattacher à celui des Affaires étrangères. Et enfin, le parti libéral dirigé par l’amateur de Porsche, le ministre des Finances Christian Lindner, prône le retour de l’automobile au centre-ville. Dans l’idéal, le stationnement devrait être gratuit ou un forfait pour les automobilistes valable dans tout le pays pourrait être mis en place. La création de pistes cyclables et de rues piétonnes doit être rendue plus difficile. Inutile de préciser que ces propositions ont suscité un accueil glacial au sein des deux autres partis au pouvoir.

”Plan en faveur de l’automobile : transformer tous les espaces verts, les aires de jeux pour les enfants, les musées, théâtres et salles de concerts en parkings, plus d’autoroutes au centre-ville, supprimer les pistes cyclables et les trottoirs, légaliser les courses de voitures illégales, vitesse limitée à 160 km/h devant les jardins d’enfants, les écoles et les foyers de personnes âgées”

-Le SPD et les missiles :

l’annonce du déploiement de missiles américains supplémentaires en Allemagne pour contrer la menace russe passe mal auprès de certains responsables sociaux-démocrates. La direction du parti a adopté une résolution soutenant le projet du chancelier Scholz. Mais les critiques se poursuivent sur une décision présentée sans débat parlementaire.

Polémique sur les attaques au couteau

L’augmentation de ces attaques, les violentes diatribes de l’extrême-droite et du quotidien à sensation “Bild Zeitung” contre des migrants dangereux enflent depuis des semaines. La mort d’un policier au printemps à Mannheim avait choqué l’Allemagne.

”la folie des couteaux” dans “Bild Zeitung”

Ce phénomène ne fait l’objet de statistiques que depuis 2022. Depuis le nombre des attaques a augmenté sensiblement. Leurs auteurs sont pour moitié des étrangers, soit bien plus que dans la population globale. On compte 40 attaques ou menaces avec des couteaux chaque jour. En pleine campagne électorale, ces délits récurrents sont pain béni pour l’extrême-droite. Contre ce risque, certaines villes comme Francfort, Berlin, Hambourg ou Cologne ont prononcé des interdictions dans certaines zones sensibles. Mais les experts soulignent que ces décisions ne sont efficaces que si elles s’accompagnent de contrôles stricts. Face à cette recrudescence et à la montée des polémiques, la ministre de l’Intérieur veut durcir la législation et interdire le port de couteaux dont les lames font plus de six centimètres de longueur (aujourd’hui, ils sont autorisés jusqu’à dix centimètres).

Lutte contre l’extrême-droite et liberté de la presse

La ministre de l’Intérieur a d’autres dossiers chauds à gérer. Celui par exemple d’expulsions d’Afghans ou de Syriens criminels dont Scholz a fait une priorité. Nancy Faeser, cette semaine, a vu une décision spectaculaire, l’interdiction d’un magazine phare de l’extrême-droite, retoquée. Le conseil d’Etat qui doit encore juger au fond a estimé en référé que “Compact” pouvait continuer à paraitre pour l’instant.

”L’Allemagne aux Allemands”

Beaucoup de juristes avaient dès le départ exprimé leur scepticisme sur la décision de la ministre. En attendant le jugement au fond, l’éditeur du magazine a savouré sa victoire comme les sphères néo-fascistes sur les réseaux sociaux.

Sabotage des gazoducs Nord Stream : la piste ukrainienne


Il s’agit d’un des attentats les plus spectaculaires de ces dernières années. Fin septembre 2022, trois des quatre conduites du gazoduc Nord Stream 1 et Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne étaient frappées par des explosions sous-marines. Depuis les spéculations vont bon train sur les responsables de ce sabotage aux conséquences politiques majeures. L’attaque avait eu lieu six mois après l’attaque russe contre l’Ukraine.
La Suède et le Danemark ont mis fin à leurs enquêtes au début de l’année. L’Allemagne les a poursuivies et a lancé un mandat d’arrêt contre un suspect ukrainien.
Les informations révélées par plusieurs médias allemands confirment la piste ukrainienne déjà évoquée précédemment. Des plongeurs professionnels auraient loué un voilier au bord de la Baltique d’où le sabotage des gazoducs a été préparé. Le parquet fédéral allemand a lancé en juin un mandat d’arrêt européen contre l’Ukrainien Volodymyr Z. qui se trouvait sur ce navire avec deux compatriotes. Il résidait d’après les informations des médias allemands en Pologne. Varsovie a confirmé avoir reçu le mandat d’arrêt mais a précisé que l’individu avait désormais quitté le pays. Du côté allemand, on soupçonne la Pologne de ne pas avoir fait preuve d’un zèle forcené. Varsovie s’est toujours opposé au gazoduc Nord Stream. L’auteur du sabotage est un « héros » pour les autorités polonaises pour citer un média allemand. Pourquoi arrêter cette personne ? Le suspect joint au téléphone a réfuté toute implication dans l’attentat.

Le quotidien “Wall Street Journal” a lui affirmé que le sabodage du gazoduc avait été décidé au plus haut niveau à Kiev, y compris au départ par le président Zelensky. Ce dernier aurait en cours de route demandé l’arrêt du projet mais l’attentat aurait bien été supervisé par le commandant en chef de l’armée ukrainienne de l’époque. Les médias allemands sont plus prudents sur l’implication des dirigeants ukrainiens. Ces derniers ont réfuté les informations du “Wall Street Journal”.

Je vous présente la nouvelle star et le nouveau chouchou du zoo de Berlin. Toni, c’est le petit nom de l’hippopotame nain qui a fait sa première sortie publique cette semaine. Des millions de vues sur TikTok.