Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
9 juil. · 3 mn à lire
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Koalition ? Vasistas?

L'Allemagne respire après le deuxième tour des législatives en France. La victoire menaçante du Rassemblement National n'a pas eu lieu. Mais quelle majorité va se mettre en place pour quelle politique franco-allemande et européenne ? Les Français vont-ils devoir et comment former des coalitions comme leurs voisins ?

“Je suis soulagé par le résultat des élections en France. C’est une bonne nouvelle pour l’amitié franco-allemande. Il faut maintenant qu’un gouvernement constructif se mettre en place qui puisse agir pour une Europe plus forte” : Olaf Scholz n’a pas tardé pour s’exprimer après la surprise du 2è tour des législatives en France. Quand le chancelier recevra son nouvel homologue français, il ne s’agira pas de Jordan Bardella.

Les réactions ont été similaires dans la grande majorité de la classe politique allemande. « Le pire est évité » a ainsi estimé dès dimanche soir le porte-parole pour les affaires étrangères du SPD au Bundestag Nils Schmid. Le social-démocrate se réjouit que le RN ne puisse pas constituer un gouvernement. Cet élu des plus francophiles considère qu’Emmanuel Macron est « politiquement affaibli" tout en estimant que le président conserve une marge de manœuvre en l’absence de majorité claire à l’Assemblée Nationale. Nils Schmid appelle les "partis démocratiques" français à faire preuve de "flexibilité" et de "capacité de compromis".
L’ancien ministre des Affaires européennes, Michael Roth, un autre social-démocrate juge qu’il est trop tôt pour respirer. « Les nationalistes populistes à l'ED et à gauche n'ont jamais été aussi forts. Mais si les forces pro-européennes (Socialistes, verts, libéraux et conservateurs modérés) coopèrent, le pire sera évité pour la France et pour l’Europe" ajoute le président de la commission des affaires étrangères au Bundestag.

"La France va t'elle tomber ? Comment Emmanuel Macron livre le pays à l'extrême-droite" (édition antérieure au premier tour)"La France va t'elle tomber ? Comment Emmanuel Macron livre le pays à l'extrême-droite" (édition antérieure au premier tour)
L’ancien président de la CDU Armin Laschet estime qu’il existe une chance en France pour une majorité pro-européenne. L’ancien candidat à la chancellerie en 2021 se félicite: « Ni le RN, ni la gauche radicale de Mélenchon antisémite et germanophobe n’ont gagné ».

C’est aussi le soulagement dans les commentaires de la presse écrite qui réitère ses attaques au vitriol contre la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée Nationale. Pour la plupart des observateurs allemands, elle a crée plus d’instabilité que de clarté.

Si la semaine dernière, les journaux analysaient en détail ce que pourrait signifier une victoire du Rassemblement National, de nouvelles interrogations surgissent depuis dimanche soir. Hormis dans les organes clairement à gauche, moins nombreux et moins lus, on s’interroge sur les conséquences d’un probable coup de barre à gauche de la France. Des journaux comme des responsables politiques concentrent leurs attaques contre Jean-Luc Mélenchon et LFI et ne comprennent pas que son aura n’est plus ce qu’elle était et que le Nouveau Front Populaire ne se résume pas à cette formation. Si d’aucuns imaginaient déjà en 1981 des chars soviétiques descendre les Champs-Elysées après la victoire de François Mitterrand, on a parfois l’impression aujourd’hui en Allemagne que des Bolcheviks sanguinaires, un couteau entre les dents, sont aux portes du pouvoir en France…

"Comment s'est passé votre poker électoral, monsieur le président?""Comment s'est passé votre poker électoral, monsieur le président?"

Aucune force à l’Assemblée Nationale ne dispose d’un semblant de majorité. Faudra t’il, comme dans de nombreux régimes parlementaires européens où une telle constellation après les élections est la norme construire une coalition entre plusieurs partis ? Depuis dimanche soir, les observateurs louchent par dessus le Rhin et comme souvent s’interrogent : “Comment ça marche en Allemagne ?” Les correspondants comme votre serviteur y vont de leur petite analyse plus ou moins savante pour expliquer ce qu’est une Koalition.

Au niveau national, il y a eu en Allemagne où la proportionnelle est de mise, une seule majorité absolue en 75 ans. C’était en 1957 avec la CDU du chancelier Adenauer. Cela ne remonte pas à hier… Autre différence avec la France, le rôle central du parlement dans le modèle allemand avec des compétences bien plus larges du Bundestag que pour l’Assemblée Nationale.

Les coalitions sont la règle. Elles ont longtemps associé deux partis, les chrétiens-démocrates et les libéraux ou bien ces derniers avec le SPD. Avec l’émiettement du paysage politique - les grands partis reculent tandis que de nouveaux se créent - cela devient plus compliqué. Des coalitions à trois sont nécessaires comme aujourd’hui avec la coalition dite « feu tricolore » du chancelier Scholz qui associe les sociaux-démocrates, les verts et les libéraux. Dans les seize régions allemandes, un véritable arc-en-ciel politique règne avec des alliances entre conservateurs et verts, avec ces deux partis associés aux libéraux ou encore les chrétiens-démocrates, le SPD et les verts. Autant de constellations qui paraissent impensables en France. ça n’est pas un hasard si on a souvent vu ces jours ci des illustrations d’Asterix et des combats fratricides mémorables au sein du village gaulois pour évoquer la vie politique française.

"Cauchemard français. Vous allez devoir former une coalition, monsieur le président" (à droite Scholz sur un feu tricolore branlant, symbole de sa coalition)"Cauchemard français. Vous allez devoir former une coalition, monsieur le président" (à droite Scholz sur un feu tricolore branlant, symbole de sa coalition)

La flexibilité idéologique et le pragmatisme sont de mise. La polarisation politique et la division droite-gauche sont moins importantes de ce côté ci du Rhin. Seul le parti d’extrême-droite AfD reste exclu de l’arc républicain. Les conservateurs excluent aussi toute alliance avec le parti de gauche Die Linke mais sont ouverts au niveau régional à des accords avec le nouveau parti national social BSW (alliance Sahra Wagenknecht).

La guerre civile permanente en France reste un mystère pour beaucoup d’Allemands où les débats sont moins violents. Le scrutin proportionnel a l’avantage de la clarté. Chaque parti fait campagne pour lui et compte ses points au soir des élections sans désistements et calculs. On voit ensuite quelles alliances sont politiquement et arithmétiquement possibles. Lorsque différentes options sont possibles des rencontres exploratoires ont d’abord lieu pour jauger la faisabilité de chacune d’entre elles. Au terme de cette première phase, des négociations de coalition sont lancées avec des groupes de travail thématiques réunissant les experts des différents partis. Les points de litige sont tranchés à l’arrivée par les grands chefs. Un contrat avec de nombreux articles et un programme de gouvernement pour la législature est conclu et les postes ministériels répartis en fonction des résultats électoraux des partenaires de la coalition.

Parmi les limites de ce système, il y a d'abord les négociations pour former une coalition, qui peuvent prendre de longues semaines. Le gouvernement Scholz s’est mis en place deux mois et demi après les législatives. Cela a duré six mois pour Merkel IV. La nécessité de gouverner souvent à trois et à quatre avec des partis idéologiquement différents peut susciter des tiraillements au sein des coalitions. On le voit depuis des mois au sein de la coalition d’Olaf Scholz. Ou bien cela oblige à se mettre d’accord sur le plus petit dénominateur commun. Et ces constellations très diverses au-delà des clivages politiques peuvent profiter à l’extrême-droite qui est exclue du jeu politique et estime que ses concurrents sont interchangeables.

Une vidéo satirique sur les bisbilles permanentes au sein de la coalition Scholz : https://www.ardmediathek.de/video/extra-3/song-zum-ampel-zoff-pampt-euch-nicht-an/das-erste/Y3JpZDovL25kci5kZS9mNGVhODcwNy01MjE2LTQ2NDMtOTMxZC0yMGE5YzY4YTQwNGM