CDU/CSU et SPD présentent le contrat de leur mariage de raison

Un peu moins de 50 jours après les élections du 23 février, chrétiens et sociaux-démocrates ont présenté mercredi leur contrat de coalition qui doit les lier pour les quatre années à venir. Les trois partis qui composent cette alliance doivent encore adopter le texte avant que Friedrich Merz ne puisse être élu chancelier début mai.

Lettre d'Allemagne
6 min ⋅ 11/04/2025

C’est la quatrième fois en vingt ans que ces partis concluent une alliance. Angela Merkel a été à la tête de trois grandes coalitions durant 12 des seize années de son long règne. Au soir du 23 février, seule cette option permettait aux vainqueurs emmenés par Friedrich Merz de bénéficier d’une majorité au Bundestag.

Les partenaires du futur gouvernement se connaissent donc bien. Les négociations ont été relativement rapides. Les turbulences actuelles obligeaient chrétiens et sociaux-démocrates à aller vite malgré des divergences sensibles sur différents dossiers. L’économie allemande se porte mal. Après une récession les deux dernières années, les prévisions pour 2025 viennent d’être revues à la baisse et le pays ne peut s’attendre qu’à une mini-croissance de 0,1%. Et à l’heure où l’issue du conflit sur les droits de douane imposés par Washington reste incertaine, des mauvaises surprises ne sont pas à exclure.

Le contrat de coalition présenté mercredi et baptisé sobrement “Responsabilité pour l’Allemagne”

https://www.koalitionsvertrag2025.de/sites/www.koalitionsvertrag2025.de/files/koalitionsvertrag_2025.pdf

fait un peu plus de 140 pages. Les grandes visions ne sont pas à l’ordre du jour. Les négociateurs étaient conscients que la priorité est de redresser le pays et de l’armer -au sens propre comme au sens figuré- pour affronter les défis internationaux. L’exemple de la coalition précédente du chancelier Scholz montre combien des contrats de coalition peuvent être éphémères. Deux mois après la signature du précédent texte début décembre 2021, l’invasion de l’Ukraine changeait largement la donne. Le contrat présenté cette semaine prévoit 88 fois que des mesures devront faire l’objet d’un examen circonstancié. “Nous voulons” et non “nous ferons” revient 300 fois laissant là aussi une marge de manoeuvre au futur gouvernement. 13 lois héritées du gouvernement Scholz devront faire l’objet d’un bilan pour décider ou non d’une suppression ou d’une remise en cause. Cela vaut notamment pour la libéralisation du cannabis à usage récréatif. Enfin, une phrase dans ce long texte est centrale comme l’a souligné mercredi celui qui est le ministre des Finances pressenti, le président du SPD Lars Klingbeil : toute mesure ne pourra être adoptée que si le budget le permet…

Economie : une ordonnance pour l’homme malade de l’Europe

“La coalition veut que l’Allemagne soit de retour dans les quatre ans qui viennent” peut-on lire dans le contrat. A cette fin, le corset budgétaire a été desserré avec l’adoption déjà actée d’un fonds de 500 milliards hors budget pour remettre à niveau les infrastructures allemandes. Une mesure ardemment défendue par les sociaux-démocrates. Le SPD obtient aussi la mise en place d’un fonds de 100 milliards qui doit aider des entreprises à se développer (l’Etat le soutient avec dix milliards, le secteur privé doit prendre en charge le reste).

La CDU n’a pu obtenir la mise en place très ambitieuse de généreuses baisses de prélèvements mais a marqué des points notamment pour les entreprises. Durant trois ans, elles pourront déduire de leurs impôts 30% de leurs investissements destinés à leur modernisation. A partir de 2028, l’impôt sur les sociétés, plus élevé en Allemagne que chez de nombreux voisins, doit baisser en cinq ans pour passer de 15 à 10%. Pour les particuliers mais aussi pour 2,5 millions de petites entreprises qui y sont assujetties, l’impôt sur le revenu doit baisser dans la deuxième partie de la législature mais aucun engagement chiffré n’est pris. Reste différents “cadeaux fiscaux” pour la retraite des femmes qui ont eu des enfants, pour les retraités qui pourront gagner jusqu’à 2000 Euros par mois non imposables, pour les agriculteurs, pour ceux qui prennent leurs voitures pour aller travailler et pourront déduire des sommes plus importantes de leurs impôts. Les restaurants seront soumis à partir de 2026 au taux de TVA réduit de 7% au lieu de 19% aujourd’hui.

Le coût de l’énergie doit baisser avec une réduction de la taxe sur l’électricité et des redevances pour le réseau. L’Etat compensera ces pertes. Ces mesures profiteront aux entreprises comme aux particuliers.

La nouvelle coalition veut s’en prendre à la bureaucratie accusée de brimer l’économie allemande. Une réduction de 25% des coûts qu’elle entraine est prévue soit un allègement d’au moins dix milliards des charges administratives pour les entreprises et les particuliers. Des mesures seront remises en cause ou réduites, des processus doivent être accélérés, 8% des postes de l’Etat fédéral doivent disparaitre.

Social

La principale réforme concerne l’aide sociale avec un changement qui ressemble beaucoup à un retour en arrière. “L’argent citoyen” instauré par le gouvernement Scholz va changer de nom et rappellera étrangement à “Hartz 4”, une réforme adoptée par le social-démocrate Schröder il y a plus de vingt ans. Remettre les bénéficiaires de l’aide sociale sur le marché du travail sera désormais la priorité plutôt que le financement de mesures de formation. Les sanctions seront de nouveau à l’ordre du jour.

Si le SPD obtient que sur le papier le smic horaire augmente pour passer à 15 Euros (contre 12,82 aujourd’hui), le contrat exclut d’y parvenir par la loi. La commission paritaire employeurs/syndicats compétente en la matière doit trancher sur ce sujet.

Le niveau actuel des retraites à hauteur de 48% du salaire moyen doit être maintenu jusqu’en 2031. L’ardoise va donc s’allonger pour le budget de l’Etat.

Défense : le quoi qu’il en coûte

Hormis la création d’un fonds de 500 milliards pour les infrastructures, une autre réforme constitutionnelle déjà adoptée par le Bundestag sortant prévoit que l’actuel frein à la dette avec un déficit maximum de l’Etat de 0,35% du PIB ne vaudra plus pour la majorité des dépenses militaires. Cette décision doit permettre à l’Allemagne de poursuivre la remise à niveau de la Bundeswehr alors qu’un fonds de 100 milliards voté après l’invasion de l’Ukraine par la Russie est largement planifié. Les engagements au sein de l’OTAN devraient être revus à la hausse en raison du désengagement à attendre des Etats-Unis et du nécessaire renforcement de la Défense européenne.

Le contrat prévoit aussi le retour du service militaire alors que la Bundeswehr n’arrive pas à recruter suffisamment. Il sera basé d’abord sur le volontariat. La CDU souhaitait que la conscription obligatoire soit rétablie. Une incidente dans le contrat de coalition ne l’exclut pas.

L’Allemagne est de retour

Ce slogan tient à coeur au futur chancelier Friedrich Merz. Mais c’est aussi le sentiment des partenaires de Berlin, notamment en Europe. Les divisions au sein de la coalition d’Olaf Scholz, le manque d’ambition européenne du chancelier qui gère encore les affaires courantes n’ont pas vraiment (sic) renforcé le rôle de l’Allemagne ces dernières années sur la scène internationale. Friedrich Merz, plus volontariste, a déjà montré qu’il souhaite être plus présent. On l’a vu par exemple avec un voyage à Paris pour rencontrer Emmanuel Macron juste après les dernières législatives allemandes. Le futur chancelier semble vouloir aller de l’avant aux côtés du président français et partagent des idées de l’hôte de l’Elysée. L’arrivée au pouvoir du chrétien-démocrate Friedrich Merz coïncide également avec une conjoncture en Europe marquée par une domination des conservateurs. Une Allemande, également membre de la CDU, Ursula von der Leyen, dirige la commission européenne.

Immigration : des règles plus dures

Friedrich Merz durant sa campagne avait promis dès le premier jour de son mandat des mesures drastiques. Les dernières semaines avant les élections avaient été marquées par de violentes polémiques sur la question migratoire alors que l’Allemagne était frappée par plusieurs attaques meurtrières commises par des migrants. Le président de la CDU avait aussi fait adopter fin janvier une motion sans effet concret au Bundestag sur ces questions grâce aux voix de l’extrême-droite.

Le SPD avait dénoncé des propos et des propositions jugés excessifs même si les sociaux-démocrates ont durci leur politique migratoire durant les derniers mois. Friedrich Merz estime que le contrat de coalition met largement fin à l’immigration irrégulière et soulignent que les migrants seront refoulés à la frontière “en concertation avec les partenaires européens”. Cette formule est sujette à interprétation. Pour le SPD par exemple, le droit d’asile individuel n’est nullement remis en cause. Et les voisins de l’Allemagne, à commencer par la Pologne et l’Autriche, ne veulent pas entendre parler de tels refoulements. Friedrich Merz peut-il se permettre dès son entrée en fonction une brouille avec des partenaires dont il aura besoin sur d’autres dossiers ?

Les contrôles aux frontières mis en place par le précédent gouvernement doivent en tout cas rester en place, sans doute jusqu’à l’entrée en vigueur l’an prochain de la politique d’asile commune européenne. La liste des pays jugés sûrs doit être élargie aux pays du Magreb et à l’Inde. Les délais pour les demandes d’asile doivent être réduits et les renvois de personnes déboutées facilités et renforcés. La police fédérale doit obtenir des compétences supplémentaires.

Qui s’est imposé à l’arrivée ?

Les sociaux-démocrates ont bien négocié. Malgré un échec électoral historique le 23 février avec 16,4% des voix, ils ont obtenu un fonds spécial de 500 milliards d’Euros pour les infrastructures. Le SPD décrochera au sein du futur gouvernement sept ministères alors qu’il n’en avait que six durant la dernière coalition avec les chrétiens-démocrates sous Angela Merkel. Le SPD obtiendra notamment le ministère des Finances, stratégique à l’heure où des centaines de milliards ont été rendus disponibles. La Défense restera entre les mains des sociaux-démocrates. L’actuel titulaire du portefeuille, le très populaire Boris Pistorius, devrait conserver son poste.

Les chrétiens-démocrates n’ont pas pu obtenir les réductions fiscales ambitieuses prévues dans leur programme mais peuvent être satisfaits du contenu du contrat de coalition avec des allègements substantiels pour les entreprises allemandes qui doivent profiter à la compétitivité du pays. Le durcissement affiché de la politique migratoire met du baume au coeur des conservateurs où la grogne il y a quelques jours encore montait face à des concessions jugées trop importantes au profit du SPD.

Les Allemands sont partagés sur le point de savoir qui a tiré le plus de marrons du feu. 39% d’entre eux estiment que les chrétiens-démocrates ont mieux négocié. 36% pensent que le SPD sort gagnant de ces laborieuses négociations.

Dans l’ensemble, un sondage à chaud montre que l’enthousiasme parmi les électeurs reste modéré. Les deux tiers d’entre eux ne pensent pas que le futur gouvernement va changer les choses pour leur pays. Ce scepticisme fait une victime, Friedrich Merz, dont la popularité -qui n’a jamais été très élevée- a sensiblement baissé : six Allemands sur dix ne veulent pas de lui comme chancelier contre 50% début mars.

Ce désamour se traduit aussi dans les intentions de vote. Cette semaine, un sondage donnait pour la première fois l’AfD en première position devant les chrétiens-démocrates. CDU et CSU reculent dans cette étude de près de cinq points par rapport à leur résultat lors des législatives de février ! L’extrême-droite profite du mécontentement ou de l’impatience des électeurs. Le sentiment à droite que Friedrich Merz aurait bradé très vite ses promesses de campagne pour accepter un endettement à tout-va explique sans doute ce recul des conservateurs.

Et maintenant ?

Le contrat de coalition doit être approuvé par les trois partis membres de cette alliance. La CSU bavaroise n’a pas perdu de temps et l’a fait dès ce jeudi. Un mini-congrès de la CDU doit entériner le texte le 28 avril. Le SPD va à nouveau consulter l’ensemble de ces membres ce qui va prendre un peu de temps. Le résultat doit être rendu public le 30 avril. Si les trois partenaires approuvent le texte, ce qui fait peu de doute, il sera officiellement signé. L’élection de Friedrich Merz par le Bundestag pourrait avoir lieu le 6 mai. Deux jours plus tard, à l’occasion de la commémoration du 80ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, le chancelier fraîchement élu pourrait organiser une rencontre internationale à Berlin.

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Par pascal thibaut

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