Friedrich Merz, victoire en demie-teinte

Les chrétiens-démocrates ont remporté les législatives dimanche avec un score médiocre; l'AfD triomphe; le SPD subit une défaite historique; les verts sanctionnés sont relégués dans l'opposition. Une nouvelle coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates, entre vainqueurs et perdants, est attendue.

Lettre d'Allemagne
8 min ⋅ 25/02/2025


Les chrétiens-démocrates en tête malgré un score décevant

CDU et CSU ne parviennent pas à franchir la barre des 30%. Les deux partis améliorent certes leur score de septembre 2021 mais il s’agissait alors d’une défaite historique avec 24% des suffrages exprimés. Le résultat de dimanche peut faire rêver beaucoup de partis conservateurs en Europe. Pour les chrétiens-démocrates allemands, il s’agit du deuxième plus mauvais score depuis la fondation de la république fédérale en 1949.

L’euphorie n’était donc pas de mise dimanche soir. Si l’on prend en compte le rejet massif de la coalition sortante et l’impopularité historique du chancelier Olaf Scholz, le score des chrétiens-démocrates aurait dû être sensiblement supérieur. C’est d’abord l’extrême droite qui a profité de ce rejet (voir ci-dessous). La focalisation de la campagne dans les dernières semaines sur la politique migratoire après plusieurs attaques commises par des étrangers, les propositions très fermes de Friedrich Merz sur ces questions, l’adoption d’une motion anti-migration des chrétiens-démocrates au Bundestag avec les voix de l’AfD ont provoqué de vives polémiques et polarisé la campagne.

Cette stratégie n’a aucunement permis aux chrétiens-démocrates de récupérer des électeurs de l’extrême droite comme le montrent les analyses sur les transferts de voix ci-dessus. Au contraire, 900 000 personnes qui avaient voté pour CDU et CSU lors des dernières élections ont préféré cette fois l’AfD.

Les chrétiens-démocrates ont obtenu trois millions de suffrages supplémentaires dimanche. Ils ont bénéficié des déçus du SPD comme des libéraux du FDP et des abstentionnistes.

Déjà durant la campagne électorale, une coalition entre CDU et SPD s’annonçait

Friedrich Merz, le président de la CDU et candidat des chrétiens-démocrates à la chancellerie, sera le futur chef du gouvernement et va succéder à Olaf Scholz. Merz n’a qu’une option pour gouverner : s’allier avec les perdants, les sociaux-démocrates. Il ont su que tôt lundi matin que ces deux forces disposeraient d’une majorité en sièges au Bundestag. La main tendue de l’AfD pour constituer une majorité à droite n’est que pure rhétorique. Toute alliance entre les chrétiens-démocrates et l’Alternative pour l’Allemagne est exclue.

Mon portrait de Merz sur le site de RFI : https://www.rfi.fr/fr/europe/20250224-allemagne-friedrich-merz-la-revanche-de-l-obstination

Le SPD subit une débâcle historique

Avec 16,4% des voix, les sociaux-démocrates enregistrent un résultat dramatique. Même en mars 1933 alors que Hitler était déjà au pouvoir et que des élections libres n’étaient plus vraiment garanties, le SPD avait obtenu un score supérieur. Le désaveu massif subi par le chancelier sortant Olaf Scholz se traduit dans les urnes. Son espoir d’une remontada dans la dernière ligne droite comme en 2021 ne s’est pas traduit dans les urnes. Le SPD perd 3,7 millions d’électeurs par rapport à septembre 2021 et plus de 9% des voix !

La carrière politique d’Olaf Scholz s’achèvera dans quelques semaines même si le chancelier réélu de justesse dans sa circonscription a déclaré qu’il siégerait au Bundestag durant les quatre années à venir. Son mandat à la tête du gouvernement aura été d’environ 3 ans et demi, une durée des plus courtes comparé à la longévité au pouvoir d’Angela Merkel, d’Helmut Kohl ou de Konrad Adenauer mais aussi par rapport aux autres chanceliers sociaux-démocrates Gerhard Schröder, Helmut Schmidt ou Willy Brandt.

Victoire historique de l'’extrême droite

L’Alternative pour l’Allemagne est la grande gagnante des élections de dimanche. L’AfD double son score des législatives de septembre 2021 avec plus de 20% des suffrages exprimés. Le parti est allé de succès en succès ces derniers mois comme l’ont montré les élections européennes ou trois scrutins régionaux en septembre dans la partie Est de l’Allemagne. L’AfD a réussi à attirer de nombreux électeurs qui rejettent la coalition sortante et sont inquiets pour l’avenir (migration, criminalité, récession, chômage, peur d’un déclassement, questions identitaires…). Les nombreuses manifestations après le vote d’une motion de la CDU avec les voix de l’AfD pour dénoncer ce tabou brisé n’ont rien changé. Le parti obtient un score conforme aux sondages des dernières semaines.

A voir, la video virale de l’humoriste Jan Böhmermann pour le “New York Times” sur l’AfD : https://www.nytimes.com/video/opinion/100000009970138/germany-elections-afd.html

L’Alternative pour l’Allemagne sera le principal parti d’opposition au Bundestag. Toute coopération avec les conservateurs est exclue. Mais avec un groupe parlementaire sensiblement plus important, le pouvoir de nuisance du parti d’extrême droite au Bundestag et au-delà va augmenter. L’AfD espère désormais que son audience va continuer à s’élargir avec l’espoir d’arriver en tête dans quatre ans. Une hypothèque dont le futur chancelier Friedrich Merz est conscient. Il sait que si son gouvernement ne répond pas aux attentes des électeurs acquis ou tentés par l’AfD, la sanction pourrait être sévère en 2029.

Les Verts sanctionnés et frustrés de devoir quitter le pouvoir

Les écologistes allemands espéraient avec le ministre de l’Economie et du Climat Robert Habeck comme candidat à la chancellerie marquer des points et profiter du manque de popularité de Scholz et Merz. Mais à l’arrivée, cette hypothèse est un échec. Les verts enregistrent un recul de trois points par rapport à leur score de septembre 2021. Robert Habeck a annoncé lundi matin qu’il ne jouerait pas de rôle à l’avenir au sein des instances dirigeantes de son parti. Il n’a pas donné de réponse claire sur son avenir parlementaire. Elu député dimanche, siégera-t’il ou non au Bundestag durant la prochaine législature?

”Confiance” Le slogan affiché à travers l’Allemagne n’a pas convaincu

Les Verts, malgré une vague d’adhésions impressionnantes durant les dernières semaines, souffre d’un rejet massif au sein de l’électorat. Avec à peine 12%, ils doivent se contenter d’un noyau dur qui leur ait acquis mais qu’ils n’ont pas réussi à élargir. Une illustration de ce désaveu réside dans le vote des jeunes électeurs. 23% des 18-24 ans avaient voté pour les écologistes en septembre 2021 qui profitaient à l’époque sans doute également de la popularité du mouvement Fridays For Future. Dimanche, un jeune sur dix seulement a opté pour les verts.

Les écologistes voulaient absolument rester au pouvoir. Ils savaient que l’aversion à leur égard parmi les chrétiens-démocrates et surtout le “no way” de la CSU bavaroise ne faciliteraient pas les choses. Mais un bon score aurait pu les rendre incontournables. Dimanche soir encore, une option pouvait encore nourrir leurs espoirs. Si chrétiens et sociaux-démocrates n’avaient pas obtenu de majorité en sièges, une coalition Kénia, inspirée des couleurs du drapeau de ce pays africain aurait été nécessaire avec CDU/CSU, SPD et verts.

Die Linke : le retour des morts-vivants

Le parti de gauche était donné pour moribond il y a encore quelques semaines. La création de l’Alliance Sahra Wagenknecht (voir ci-dessous) début 2024 qui a enregistré de nombreux succès l’an passé a nui à Die Linke. Le parti qui était resté en dessous de la barre des 5% en septembre 2021 avait sauvé sa présence parlementaire grâce à une disposition du code électoral prévoyant une exception pour les partis qui réussissent à conquérir au moins trois circonscriptions au scrutin uninominal direct. Pour les élections de dimanche, trois dinosaures du parti avaient pour mission de sauver par ce biais le soldat Die Linke.

Die Linke remercie ses électeurs sur le net

A l’arrivée, cette solution n’a pas été nécessaire. Die Linke obtient près de 9% des suffrages exprimés et deux fois plus de voix qu’aux législatives de 2021 et même quatre fois plus qu’aux européennes de juin dernier (2,7% des voix). Il s’agit d’une énorme surprise même si la remontée du parti avait été anticipée dans les sondages.

Die Linke récupère de nombreux électeurs écologistes ou sociaux-démocrates déçus et mobilise également des abstentionnistes. La focalisation de la campagne sur la migration avec de nombreuses propositions restrictives, la motion CDU adoptée au Bundestag avec les voix de l’AfD expliquent aussi ce bon résultat en faveur d’un parti clairement favorablement à la migration. Enfin, la personnalité de la tête de lice Heike Reichinnek (au centre de la photo ci-dessus), omniprésente sur les réseaux sociaux, a joué. Die Linke a fait un tabac parmi les plus jeunes. Un électeur sur quatre âgé de 18 à 24 ans a voté pour ce parti contre 8% en 2021 ! Le mouvement profite d’une vague d’adhésions sans précédent avec 20 000 nouveaux membres depuis deux semaines et plus de 40 000 depuis le début de l’année. Die Linke compte aujourd’hui plus de 100 000 adhérents.

Clap de fin pour les libéraux

La participation au pouvoir ne réussit pas au FDP. En 2009, le parti libéral réalisait un score historique de près de 15% avant de conclure une coalition avec Angela Merkel. Quatre ans plus tard, le parti passait sous la barre des 5% et disparaissait du Bundestag. Christian Lindner est l’homme qui a permis au mouvement de faire un comeback. Il conclut en 2021, fort de 11,5% des voix, une coalition “feu tricolore” avec le SPD et les verts et devient ministre des Finances. Ce dimanche, nouvel échec avec 4,3% des suffrages exprimés. Les députés FDP doivent faire leurs valises. Christian Lindner annonce son retrait de la vie politique.

En 2013, le loueur de voitures avait exploité la sortie des libéraux du Bundestag :
“Plus de sièges que le FDP. Les offres bon marché de Sixt”

Pour la coalition sortante, le bilan en chiffres est amer : SPD, Verts et libéraux avaient obtenu 52% des voix (24 millions de suffrages) en septembre 2021 contre 32% (16 millions) dimanche. Les trois patrons de la coalition feu tricolore se retirent. Sixt n’a pas à nouveau pu résister :

”Ne plus jamais échouer au feu rouge. Avec les 510 chevaux de la BMW M4”

Alliance Sahra Wagenknecht BSW : amère défaite

Des jérémiades à n’en plus finir. Les médias ont été méchants avec nous, les sondeurs ont démobilisé les électeurs en sous-estimant notre score, les délais de l’élection anticipée n’ont pas permis à de nombreux Allemands de l’étranger de voter dans les temps par correspondance. Lundi matin, Sahra Wagenknecht avait beaucoup d’arguments pour expliquer la défaite amère de son nouveau parti à qui il manque 13 000 voix pour faire son entrée au Bundestag.

”Notre pays veut la paix. Mais les anciens partis sont sourds” affiche de campagne de BSW

Il est vrai que la défaite est rude puisque BSW obtient 4,972% des suffrages exprimés et échoue de justesse à entrer au parlement. Il y a quelques semaines encore, les choses se présentaient sous un jour plus favorable pour cette nouvelle force lancée début 2024. L’alliance Sahra Wagenknecht du nom de son égérie défend un programme de gauche classique sur les sujets économiques et sociaux mais prône une politique migratoire très restrictive. Comme l’extrême droite, le parti plaide pour la paix en Ukraine et s’oppose à toute livraison d’armes à Kiev.

Et maintenant ?

“Le retour de la Groko” comprenez “grosse Koalition” ou “grande coaltion”. Cette alliance des chrétiens et des sociaux-démocrates ne mérite plus aujourd’hui ce nom. Le SPD n’est plus avec 16% qu’un parti de taille moyenne et ne joue plus en première division.

Le co-président du SPD Lars Klingbeil à gauche et son homologue de la CDU Friedrich Merz

Il n’empêche. Une telle coalition a des airs de déjà vu. Angela Merkel a gouverné durant trois législatures sur quatre aux côtés des sociaux-démocrates. Il faut rappeler que le SPD avec une pause entre 2009 à 2013 est aux affaires depuis 1998. A nouveau, la question se pose : une cure d’opposition après une défaite historique ne serait-elle pas la meilleure solution pour permettre au parti de se refaire une santé ? Mais l’urgence des défis que l’Allemagne doit relever sur le plan intérieur (récession, chômage, prix de l’énergie, modèle économique en question…) et à l’international avec une administration Trump bulldozer qui remet en cause cause les fondements de la relation transatlantique sont immenses. Difficile pour le SPD de se défiler. Bien sûr -c’est de bonne guerre- plusieurs responsables sociaux-démocrates scandent qu’il n’y a pas d’automatisme à former une coaliton avec les conservateurs et qu’à l’arrivée, à nouveau, un referendum de l’ensemble des membres du SPD devra trancher.

Le parti d’Olaf Scholz peut et va monnayer chèrement une alliance avec CDU et CSU qui n’ont pas d’autre alternative. Mais il fait peu de doutes qu’elle verra le jour. Friedrich Merz veut aller vite en raison des problèmes urgents du moment. Le futur chancelier espère être à la tête d’un nouveau gouvernement d’ici Pâques. D’ici là, celui que dirige toujours Olaf Scholz gère les affaires courantes. Les premiers contacts ont déjà eu lieu. Ce mardi, Friedrich Merz a rencontré le tenant du titre à la chancellerie.

”Fais mieux !” titre le magazine cette semaine. “Impopulaire, affaibli, entouré d’autocrates et de populistes : pourquoi Friedrich Merz est condamné au succès malgré une mission quasi impossible”

Des divergences importantes séparent chrétiens et sociaux-démocrates. Mais dans le passé, des compromis ont toujours été possibles. Il est vrai cependant que Friedrich Merz plus à droite que Merkel et qui a polarisé ces dernières semaines sur le dossier migratoire provoque de l’urticaire au SPD.

Déjà, on voit que le frein à la dette pourrait bien être réformé. Cette règle interdit à l’Allemagne d’avoir un déficit budgétaire supérieur à 0,35% du PIB. Friedrich Merz, malgré l’attachement de son parti à cette règle introduite dans la constitution par une… grande coalition, s’est toujours gardé une certaine flexibilité. Il a déclaré ce mardi ne pas vouloir brusquer les choses et adopter une réforme avant même d’être aux affaires. Le Bundestag sortant est encore en poste pour un mois et une majorité des deux tiers existe sur le papier pour une réforme de la constitution. Cela n’est plus le cas avec le nouveau parlement où l’AfD et Die Linke disposent d’une minorité de blocage.

En revanche, des discussions sont en cours sur la création d’un nouveau fonds, non soumis aux règles budgétaires pour les dépenses militaires. Olaf Scholz avait déjà pris une telle décision, juste après le début de la guerre contre l’Ukraine, avec un fonds de 100 milliards d’Euros pour la Bundeswehr. Le nouveau pourrait peser le double. Là aussi, une majorité des deux tiers est nécessaire. Une décision avant la fin mars serait possible avec les députés du Bundestag sortant.

Plusieurs dossiers opposent sur le papier chrétiens et sociaux-démocrates. Sur la migration, les contrôles durables aux frontières et le refoulement de tout étranger en situation irrégulière y compris les demandeurs d’asile sont rejetés par le SPD qui jugent ces projets contraires aux règles européennes. Mais sur d’autres mesures, des compromis sont possibles. Le départ des verts du gouvernement rend des solutions communes plus faciles; les écologistes sur une ligne plus libérale en matière migratoire avaient refusé dans le passé des durcissements souhaités par le SPD.

”Friedrich Merz peut-il sauver l’Allemagne ?” s’interroge le magazine britannique

Les programmes économiques et sociaux des sociaux-démocrates et des conservateurs sont assez opposés et des compromis réciproques seront nécessaires. Friedrich Merz plaide pour des baisses d’impôts sensibles pour les particuliers et pour les entreprises. Le SPD rejette de telles mesures pour les plus riches et plaidaient pour des primes ciblées aux sociétés investissant en Allemagne. Une mesure phare du programme du SPD consiste en une nouvelle augmentation sensible du smic horaire qui devrait être porté à 15 Euros. La CDU souhaite que la commission paritaire patronat/syndicats formule ses propositions comme cela est prévu.

En Allemagne, tout est négociable et les partis ont l’habitude des compromis et des coalitions. Reste à savoir à moyen terme si ce gouvernement pourra relever les énormes défis auxquels est confronté le pays et surtout convaincre les électeurs qui ont voté pour l’extrême droite que les forces du centre peuvent répondre à leurs inquiétudes. Friedrich Merz l’a répété à plusieurs reprises : son gouvernement n’a pas droit à l’échec sinon en 2029, l’AfD pourrait être la première force du pays. Lors d’un meeting vendredi dernier, le futur chancelier a déclaré pathétique : “Je ne souhaite pas être le dernier président de la CDU”

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Par pascal thibaut

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