Les jeux sont faits, faites vos jeux !

Le pari risqué de Friedrich Merz avec l'adoption d'une motion anti-migration au parlement avec les voix de l'AfD a provoqué de nombreuses critiques. Mais dix jours plus tard, les sondages restent invariablement stables et la victoire du chrétien-démocrate dans deux semaine fait peu de doutes. Un débat télévisé a lieu ce soir entre Scholz et Merz.

Lettre d'Allemagne
6 min ⋅ 09/02/2025

L’adoption au Bundestag d’une motion visant à durcir les règles migratoires déposée par les chrétiens-démocrates grâce aux voix de l’AfD a provoqué un tremblement de terre politique. Ce coup de canif dans le cordon sanitaire des autres forces (en allemand “Brandmauer” ou “pare-feu”) constituait une première depuis la guerre même si une motion n’a qu’une valeur déclarative et aucune portée contraignante pour l’exécutif. Et il ne s’agit pas comme on a pu le lire d’une “alliance entre chrétiens-démocrates et AfD.

La situation était différente pour une proposition de loi discutée deux jours plus tard au parlement. A l’arrivée, au terme d’un psychodrame comme le Bundestag en a rarement vécu, le texte n’a pas été adopté. Des députés chrétiens-démocrates ont fait défection. Plus d’un quart des députés libéraux dont des responsables de premier plan ont aussi voté contre ou n’ont pas participé au vote. Un coup dur pour le président de la CDU Friedrich Merz qui après une nouvelle attaque au couteau commise une semaine plus tôt par un migrant en Bavière voulait démontrer aux électeurs que son parti agissait sans attendre les élections du 23 février et la laborieuse constitution d’une coalition.

”la rupture d’un tabou” titrait le quotidien “Berliner Morgenpost” avec une photo des débats au Bundestag. Le regard du chancelier Scholz observant du coin de l’oeil son challenger Friedrich Merz en dit long.

L’adoption de cette proposition de loi aurait de toute façon été purement symbolique. Le texte nécessitait l’approbation de la chambre haute du parlement, le Bundesrat qui représente les régions. Hors seule la Bavière aurait approuvé la loi; les autres Länder avec des coalitions associant la gauche ne l’auraient pas fait. Reste que ce texte contenait des propositions sur lesquelles un compromis avec sociaux-démocrates et verts auraient été possibles. Mais à trois semaines des élections, le bon vieux consensus à l’allemande avait du plomb dans l’aile.

Manifestation à Berlin avec un baiser entre Alice Weidel (AfD) et Friedrich Merz (CDU)

La stratégie des chrétiens-démocrates a contribué à nouveau à une forte mobilisation de la société civile contre l’extrême-droite comme durant l’hiver 2023-2024. Mais cette fois, la CDU était clairement attaquée comme le montre le photomontage ci-dessus. Avec des excès comme dans la capitale où on pouvait entendre le slogan “Tout Berlin hait la CDU”. Des attaques contre des militants chrétiens-démocrates en campagne ont illustré une dérive violente inacceptable.

160 000 personnes ont manifesté dimanche dernière à Berlin d’après la police; 250 000 d’après les organisateurs. Un chiffre bien plus élevé que celui qui était attendu. Ce week-end, les protestations se poursuivent dans différentes villes du pays. A Munich, 250 000 personnes ont manifesté ce samedi.

Face aux nombreuses critiques contre les chrétiens-démocrates et à cette mobilisation massive, le congrès de la CDU lundi dernier était très attendu. Le parti a mis en avant son unité et aucune prise de parole n’a critiqué la stratégie des jours précédents. Visiblement, l’aile libérale serre les rangs et ne veut pas se voir accuser après les élections d’avoir été responsable d’un mauvais résultat après des critiques publiques. Seule exception de poids, l’ex-chancelière Angela Merkel qui a dans un communiqué dénoncé la stratégie de son successeur Friedrich Merz. Lors du congrès, ce dernier a une nouvelle fois répété avec la plus grande clareté qu’aucune alliance avec l’AfD n’était envisageable démentant entre autres les doutes exprimés sur cette question par Olaf Scholz.

”Mamie contre l’extrême-droite” :
une référence à une organisation de grands-mères allemandes qui manifestent régulièrement contre l’AfD.

Les nouveaux sondages étaient donc très attendus après ces quelques jours qui ont secoué le pays. A l’arrivée, c’est la stabilité qui l’emporte. Les chrétiens-démocrates n’ont pas été sanctionnés par les électeurs et restent stables avec 30% des intentions de vote. Les Allemands sont partagés sur la stratégie de Friedrich Merz mais le durcissement de la politique migratoire du candidat à la chancellerie de la CDU a le soutien d’une large partie de ses concitoyens (et cela vaut aussi à gauche).

L’encéphalogramme des partis encore au gouvernement (SPD et Verts) reste déséspérement plat. L’espoir des sociaux-démocrates d’une remontée dans la dernière ligne droite comme en 2021 reste une chimère. Les sociaux-démocrates jouent la carte de l’antifascisme contre Merz déjà dénoncé comme un libéral pur et dur accusé de démonter l’état social et présenté en politique étrangère comme un dangereux hasardeur. Mais la campagne fait pschitt. Les publications de la presse selon lesquelles la direction du SPD aurait tenté il y a quelques semaines de dissuader Olaf Scholz de rempiler tombent au pire moment pour le chancelier.

Reste que la polarisation exacerbée des derniers jours risque de compliquer la constitution d’une coalition après les élections car la méfiance à l’égard de Friedrich Merz parmi ses concurrents a augmenté. Après des critiques féroces contre le président de la CDU, il sera plus compliqué de trouver un compromis. Le côté cassant du candidat chrétien-démocrate n’est pas forcément aidant. Pour le SPD, partenaire le plus probable de CDU/CSU après les élections du 23 février, les états d’âme pèseront lourds. Les jeunesses sociales-démocrates comme dans le passé pourraient freiner des quatre fers. Mais si les sociaux-démocrates sont les seuls partenaires possibles ou souhaités des chrétiens-démocrates, ils pourront vendre très chère leur participation à une nouvelle grande coalition.

Dans son dernier numéro, l’hebdomadaire “Der Spiegel” s’interroge sur la capacité des partis politiques à trouver des compromis après les vifs débats des derniers jours.

Sur le thème dominant de cette fin de campagne, l’immigration, un compromis est sans doute possible, hormis sur des règles qui sont pour les sociaux-démocrates incompatibles avec la constitution allemande ou les règles européennes comme le refoulement aux frontières allemandes des migrants sans papiers valables.

La CDU devrait accepter de revoir ses promesses de baisses d’impôts massives. Beaucoup d’experts s’accordent pour dire que leur financement est plus que fragile. Le SPD refuse lui des allègements pour les plus riches. L’assouplissement du frein à la dette pourrait être une concession aux sociaux-démocrates qui devront accepter d’autres mesures amères. Sur les dossiers sociaux, des accords sont sans doute également possibles, même sur la remise en cause de la réforme phare du SPD de l’aide sociale baptisée désormais “Bürgergeld” ou “argent citoyen”. Les responsables sociaux-démocrates sont conscients que leur base la plus modeste comprend mal que l’on réduise les contraintes pour reprendre un emploi alors que les entreprises cherchent désespérément de la main d’oeuvre. Et le niveau de cette aide est jugée par beaucoup comme trop élevé par rapport aux salaires les plus modestes.

”pas de coalition avec les Verts ! Je le garantis à nos électeurs” proclame le président du parti libéral Christian Lindner. L’assistance clairsemée de son meeting électoral lui rétorque : “Quels électeurs ?”

Le parti libéral qui se bat pour sa survie parlementaire avec des intentions de vote inférieures à la barre des 5% nécessaire pour être représenté au Bundestag ne jure que par une alliance avec les chrétiens-démocrates comme au bon vieux temps. La proximité idéologique avec CDU et CSU est évidente sur la politique économique et sociale. Mais les déclarations d’amour des libéraux ne provoquent que des haussements d’épaules de leurs alliés potentiels. Pire, Friedrich Merz vient de rembarrer sans précaution ses admirateurs : “4% pour le FDP, ce sont 4% de trop qui manquent aux chrétiens-démocrates”. On a déjà fait plus diplomatique. Les défections de personnalités libérales de premier plan lors du récent vote au Bundestag peut expliquer ce désamour. Mais Merz voudrait éviter une nouvelle coalition avec trois forces comme celle que dirigeait Scholz car l’expérience a montré qu’elle est difficilement gouvernable. Les libéraux ne pourraient en effet qu’être une force d’apoint.

”L’amour n’est pas encore fini”

Une alliance avec les écologistes n’est pas exclue même si la CSU bavaroise ne veut pas en entendre parler. Symboliquement, on a appris qu’à la veille du psychodrame parlementaire de la semaine dernière, le candidat à la chancellerie de la CDU de 2021, le merkelien Armin Laschet, avait accueilli lors d’une soirée privée à son domicile berlinois des verts et des camarades de parti.

Mais une coalition CDU/CSU-Verts au niveau fédéral qui serait une première reste peu probable, sauf si l’arithmétique politque l’impose. Les écologistes comme les sociaux-démocrates et les libéraux rament. Certes, les écologistes parviennent dans les sondages à atteindre plus ou moins leur résultat de 2021 (14,8%), leurs meetings sont bien fréquentées et ils viennent de battre un nouveau record d’adhésions. Mais leur espoir de percer à l’approche des élections reste pour l’instant infructueux. Le rejet dans une large partie de l’opinion reste important à leur égard. Et des bisbilles internes dans la dernière ligne droite de la campagne ne sont pas porteuses. Le candidat à la chancellerie des écologistes, le vice-chancelier et ministre de l’Economie et du Climat Robert Habeck, a proposé dans les débats actuels sur l’immigration un plan en dix points sur la sécurité qui a provoqué une crise d’urticaire du mouvement de jeunesse de son parti. Ce dernier a parlé de “narratifs d’extrême-droite” et la direction des écologistes a eu du mal à limiter la casse.

L’extrême-droite n’a actuellement pas grand chose à faire. Avec environ 20% des intentions de vote, l’Alternative pour l’Allemagne peut se contenter de compter les points. L’AfD est d’ores et déjà sûre d’être la grande gagnante des élections du 23 février avec un doublement de son score de septembre 2021 si les intentions de vote à son égard ne faiblissent pas d’ici deux semaines.

”Hype autour de Heidi”

A la gauche de la gauche, le rapport de force évolue. L’alliance Sahra Wagenknecht BSW a volé de succès en succès l’année dernière après ses percées aux européennes et lors de trois régionales à l’Est qui ont débouché sur une participation à deux coalitions dans le Brandebourg et en Thuringe. Du jamais vu pour un nouveau parti en quelques mois. Mais le mouvement qui propose un classique programme de gauche sur les dossiers économiques et sociaux et une politique conservatrice sur l’immigration et les questions de société avec une russophilie marquée est à la peine. Il est en perte de vitesse dans les sondages et plusieurs responsables ont claqué la porte du mouvement durant les derniers jours.

Le parti de gauche Die Linke que l’on avait quasiment enterré est à nouveau sur une pente ascendante. Le mouvement ne se complait plus depuis le départ de Sahra Wagenknecht dans des querelles intestines. Alors que sa survie parlementaire était en jeu, elle parait aujourd’hui moins menacée. Le parti qui avait largement souffert lors des dernières élections et dans les sondages de la concurrence de BSW a repris des couleurs. Heidi Reichinnek, députée au Bundestag et une des deux responsables de la campagne pour les élections du 23 février y est pour quelque chose. La jeune femme est une star sur les réseaux sociaux. Sa réplique à Friedrich Merz après l’adoption d’une motion des chrétiens-démocrates avec les voix de l’AfD a été vue par des millions de personnes. Elle a 500 000 abonnés sur TikTok contre 50 000 pour Friedrich Merz. Heidi Reichinnek a été travaileuse sociale et sait parler aux plus jeunes.

Die Linke mise sur les sujets sociaux comme les loyers trop élevés et le coût de la vie. Les permanences du parti où des militants se penchent sur les factures de locataires dont les charges sont trop élevées sont prises d’assaut. Die Linke comme le parti le faisait -sous un autre nom- dans le passé semble répondre aux attentes d’électeurs satisfaits de voir un mouvement politique s’intéresser à leurs problèmes quotidiens. Die Linke a par ailleurs gagné 15 000 nouveaux membres depuis son congrès du mois dernier.

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Par pascal thibaut

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