Olaf Scholz pourra-t'il rebondir?

s'interroge ce week-end le quotidien "Süddeutsche Zeitung" avec un chancelier menacé par un impressionnant tracteur. La mobilisation massive des agriculteurs comme la grève chez Deutsche Bahn illustrent les frustrations de nombreux Allemands. L'extrême-droite est plus menaçante que jamais.

Lettre d'Allemagne
8 min ⋅ 14/01/2024

Egalement au menu de cette première newsletter de l’année : l’AfD et la ”remigration”, le lancement du nouveau parti “Alliance Sahra Wagenknecht”, le vague à l’âme des libéraux et les amours du maire de Berlin; des indicateurs économiques moroses; la mort de deux géants, Wolfgang Schäuble et Franz Beckenbauer.

Les agriculteurs mobilisés

Les nécessaires coupes budgétaires pour rentrer cette année dans les stricts clous de la règle d’or prévoyant un déficit de l’Etat fédéral d’au plus 0,35% du PIB ont contraint la coalition au pouvoir en décembre à adopter dans l’urgence une série de mesures. Parmi ces dernières figuraient notamment l’abandon de deux subventions au profit des agriculteurs allemands : l’exonération de la taxe sur les véhicules agricoles et des avantages fiscaux sur le diesel. Face à la colère des intéréressés, le gouvernement a déjà abandonné la première mesure. La seconde sera échelonnée sur trois ans pour être moins brutale.

Le gouvernement a heurté de front une catégorie sociale qui faisait peu parler d’elle depuis les dernières élections. Le ministre de l’Agriculture, l’écologiste Cem Özdemir, qui aurait pu braquer ces interlocuteurs avec des mesures impopulaires, a évité de telles annonces, et s’est fait critiquer par les organisations de défense de l’environnement dénonçant une gestion trop timorée à leurs yeux.

Les annonces de décembre qui devaient entrer en vigueur dans la foulée ont pris de court les agriculteurs. Comme d’autres décisions du gouvernement, de telles mesures remettent en cause la capacité des entreprises concernées à planifier sur la durée. Les experts estiment que la réduction échelonnée dans le temps des subventions pour le diesel agricole ne constitue pas une menace sévère pour la plupart des exploitations. La hausse par hectare serait de 2,5% soit un surcoût supportable.

Après avoir fait en partie machine arrière, les responsables politiques ne semblaient pas vouloir aller plus loin pour ne pas perdre à la face. A la veille d’une grande manifestation de tracteurs à Berlin, le ministre de l’Agriculture sort de son chapeau une mesure déjà évoquée dans le passé au profit des agriculteurs : une taxe que devrait acquitter les consommateurs sur leur lait, leur steak ou leurs oeufs. Ces recettes bénéficieraient aux exploitations agricoles qui feraient des efforts pour se moderniser et offrir de meilleurs conditions de vie aux animaux. Cette proposition sera t’elle adoptée et suffira t’elle à déamorcer la colère paysanne ? Cette grogne met les responsables politiques sous pression. Au sein du SPD, des patrons de régions sociaux-démocrates ont critiqué les mesures de leur propre gouvernement et demandent leur remise en cause. Au sein du parti d’Olaf Scholz, l’insatisfaction à l’égard du chancelier se fait de plus en plus jour.

La mobilisation des agriculteurs allemands est populaire. Près de sept Allemands sur dix soutiennent les manifestations de tracteurs à travers le pays. La moitié des personnes interrogées estime que toutes les mesures d’économie envisagées doivent être remises en cause.

Ca n’est pas la première fois que les agriculteurs allemands descendent dans les rues. Mais les actuelles protestations ont donné lieu à des dérapages inédits qui traduisent la radicalisation de la société. Les images de manifestants remontés tentant de prendre d’assaut un bâteau avec à bord le ministre écologiste de l’Economie ont fait le tour du monde. Des groupes d’extrême-droite tentent d’infiltrer les manifestations ce qui porte atteinte à la crédibilité des organisateurs. L’installation de potences au bord des routes symbolisant le sort à réserver aux responsables politiques a été dénoncée. Le parti d’extrême-droite AfD instrumentalise également les protestations bien que son programme d’inspiration libérale rejette toute subvention pour le monde agricole… Dans un message video samedi, Olaf Scholz a appelé les manifestants à la raison et rejeté les appels à la violence.

Grève de trois jours chez Deutsche Bahn

Le conflit social entre la compagnie de chemins de fer et le syndicat des conducteurs de trains GDL se poursuit et une issue reste plus que jamais incertaine. La semaine dernière, un arrêt de travail de trois jours a bloqué pour partie le pays avec seulement un cinquième des liaisons grande distance assurées. Le conflit échoppe toujours, plus que sur les hausses de salaires, sur une revendication centrale du syndicat GDL, à savoir une baisse de la durée hebdomadaire du travail de 38 à 35 heures, sans diminution de salaire. Une revendication rejetée par la Deutsche Bahn qui met en avant les problèmes de main d’oeuvre en Allemagne. Ce conflit illustre la force de pression de petites organisations syndicales comme les pilotes ou en l’occurrence les conducteurs de trains dont les arrêts de travail ont des conséquences massives pour les entreprises concernées et le grand public. Au-delà, dans un pays où le manque de main d’oeuvre augmente, les syndicats sont dans une situation plus favorable pour arracher des concessions au patronat. Enfin, la personnalité du président de GDL, Klaus Weselsky, encarté à la CDU, joue aussi un rôle non négligeable. Contrairement à des syndicalistes “traditionnels”, acteurs de la cogestion à l’allemande et plus enclins à des compromis, le patron de la modeste organisation des conducteurs de trains ne fait pas de quartier.Streik, à traduire par grève. Une caricature du président de GDL, Claus Weselsky.Streik, à traduire par grève. Une caricature du président de GDL, Claus Weselsky.

L’AfD plus dangereuse que jamais

Les révélations sur une discrète rencontre à l’automne dernier de responsables de l’extrême-droite allemande pour évoquer un plan de “remigration” secouent l’Allemagne. Sous ce terme euphémiste se dissimule en fait un paquet de mesures pour se débarasser d’étrangers mais aussi d’Allemands jugés “non assimilés”. En clair, il ne s’agirait ni plus ni moins que de déportations massives qui rappellent les pires heures de l’histoire allemande. Un proche conseiller de la co-présidente de l’AfD, Alice Weidel, participait à cette rencontre ou encore le patron du mouvement d’extrême-droite en Saxe-Anhalt. La figure centrale du mouvement identitaire, l’Autrichien Martin Sellner, assistait également à la rencontre. Des membres du parti chrétien-démocrate auraient également été présents.

Dans la presse, des personnalités d'origine étrangère réagissent : "Ce qui se passe me fait peur"Dans la presse, des personnalités d'origine étrangère réagissent : "Ce qui se passe me fait peur"

Les condamnations ont été nombreuses après ces révélations. Le choc qu’elles ont suscité ont conduit des milliers d’Allemands à descendre dans les rues ce dimanche à Berlin ou à Potsdam où la rencontre de l’extrême-droite s’était tenue. Ces révélations illustrent une fois de plus la dangereuse radicalisation de l’AfD dont un certain nombre de fédérations et de groupes sont surveillés par les renseignements généraux. Ces informations relancent une fois de plus les débats sur une interdiction du parti. Une telle procédure qui ne peut être tranchée que la cour constitutionnelle requiert des preuves solides. Un échec comme cela fut le cas dansle cas du parti néo-nazi NPD constituerait un échec cinglant.

L’AfD reste stable dans les sondages en deuxième position derrière les chrétiens-démocrates avec un peu plus de 20% soit deux fois le résultat obtenu par le parti d’extrême-droite aux législatives de septembre 2021. 2024 pourrait être une “annus horribilis” pour la démocratie allemande avec une percée à attendre de l’AfD aux Européennes de juin et surtout en raison d’un séisme politique à craindre à la rentrée.

Trois élections régionales se tiendront en septembre dans le Brandebourg, la Saxe et la Thuringe qui comme les autres Länder de l’Est font partie des fiefs de l’AfD. Dans un sondage la semaine dernière, le parti arrivait en tête dans ces trois régions avec des scores allant de 36% (Thuringe) à 32% (Brandebourg). Des résultats inédits qui compliquent les équations politiques pour constituer une majorité sans l’extrême-droite. C’est surtout vrai en Thuringe. Quelques voix encore isolées chez les chrétiens-démocrates estiment qu’il faut mettre fin à l’ostracisme à l’égard du parti de gauche Die Linke, héritier lointain du parti communiste est-allemand, qui prévaut depuis la réunification.

L’alliance Sahra Wagenknecht sur les rails

Le nouveau parti-BSW en allemand- a été fondé officiellement il y a une semaine. Le mouvement se veut de gauche et souhaite reconquérir un électorat populaire séduit par l’AfD. Die Linke aurait trahi ses idéaux d’après les responsables de BSW en devenant une gauche “lifestyle” s’intéressant plus aux questions de genre ou à l’écologie qu’aux problèmes des petites gens. BSW défend des positions restrictives sur l’immigration sans reprendre les thèses radicales de l’extrême-droite. Le mouvement dénonce le soutien militaire de l’Allemagne à l’Ukraine.

Le nouveau parti doit faire très vite pour être prêt pour les échéances électorales de cette année. Les têtes de liste ont été désignées pour les Européennes. Mais bien que BSW ait pour ambition de reconquérir les électeurs populaires séduits par l’AfD, les actuels responsables sont avant tout originaires de l’Ouest. Disposer de suffisamment de candidats pour les trois régionales de septembre dans les nouveaux constituera un défi. La participation de l’alliance Sahra Wagenknecht pourrait réduire les scores de l’AfD. Les pronostics des experts sur le potentiel du nouveau mouvement sont contradictoires. 17% des électeurs affirment qu’ils “pourraient” voter BSW. Mais le sondage ci-dessus n’accorde que 4% au nouveau venu.

Malaise au FDP

Des membres du parti libéral opposés au maintien du mouvement au sein de la coalition au pouvoir ont contraint la direction à organiser une consultation interne. A l’arrivée, le résultat a été serré. 52% des adhérents qui ont participé au vote ont plaidé pour un maintien de leur parti au pouvoir. Après l’annonce du résultat, le président du FDP et ministre des Finances, Christian Lindner, a évoqué “un mandat clair pour que le projet libéral continue à marquer l’action du gouvernement”.

Mais la consultation montre bien que les frustrations au sein du parti sont importantes. Cette première coalition au niveau fédéral entre sociaux-démocrates, verts et FDP donnent des états d’âme à de nombreux libéraux. Les scrutins intermédiaires depuis les législatives de 2021 ont été marqués par différentes défaites électorales pour le petit parti. Dans les sondages, il se situe actuellement en dessous de la barre des 5% nécessaires pour être représenté au Bundestag, loin des 11,5% obtenus en septembre 2021.

Les amours du maire de Berlin

C’est le soap politique de ce début d’année dans la capitale allemande. La liaison entre le maire de Berlin Kai Wegner (CDU) et l’adjointe à l’éducation, également chrétienne-démocrate, suscite une polémique. Un rapport hiérarchique existe entre les deux responsables. Est-il compatible avec une relation privée qui pourrait conduire par exemple à un “favoritisme” de l’adjointe à l’Education lors d’arbitrages budgétaires. Le maire assure que sa relation privée avec sa nouvelle compagne et les rapports professionnels qu’il entretient avec elle sont clairement séparés. L’opposition n’est pas convaincue.

"Kai Wegner confirme sa relation avec l'adjointe à l'Education Günther-Wünsch""Kai Wegner confirme sa relation avec l'adjointe à l'Education Günther-Wünsch"Conjoncture

-remontée de l’inflation à 3,7% en décembre après cinq mois de baisse d’affilée. Un rebond des prix de l’énergie explique cette évolution. Sur l’ensemble de l’année 2023, la hausse des prix aura été de 5,9% avec 6,9% en 2022. Pour 2024, la BCE table sur un niveau d’inflation de 2,7%.

-légère augmentation du chômage en décembre : une évolution qui traduit le ralentissement de l’activité en Allemagne. Le taux s’est établi le mois dernier à 5,9% (+0,1) et le nombre de personnes sans emploi a augmenté de 5000 (2,6 millions). La stabilité du niveau de chômage s’explique par la hausse parallèle de la population active. 46 millions de personnes disposaient d’un travail en 2023, le niveau le plus élevé enregistré depuis la réunification.

-production d’électricité en 2023 : le renouvelable majoritaire avec 55% (48,4% en 2022). Les éoliennes ont principalement contribué à cette évolution (31%) contre 12% pour le photovoltaïque. Cette montée en puissance s’est accompagnée d’un recul de la part du charbon à 26% contre 34% en 2022. Mais le recours au gaz a sensiblement augmenté.

-recul important des émissions de CO2. L’Allemagne a émis en 2023 673 millions de tonnes de Co2 soit une baisse de 10% par rapport à 2022 et le plus bas niveau depuis 70 ans. Les émissions ont été inférieures de 46% par rapport au niveau de référence de 1990 et se rapprochent de l’objectif d’une baisse de 55% fixé par l’Union européenne d’ici 2030.

Exportations d’armements : retour de la Realpolitik

Berlin vient d’opérer un virage à 180 degrés en acceptant des exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite. L’Allemagne y avait mis fin en 2018 en raison de la guerre au Yémen et de l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. La livraison de 150 missiles de longue portée de type Iris a été officiellement validée. Et l'Allemagne ne s'opposera plus à la fourniture par son partenaire britannique de 48 Eurofighter à Riyad. Le changement de cap est considérable pour Berlin, qui traditionnellement ne livre pas d'armes aux pays en guerre, à de rares exceptions près, telles que l'Ukraine et Israël.« L'Arabie saoudite a évolué et joue en ce moment même un rôle très important de stabilisation d'Israël après l'attaque du Hamas », explique l'entourage de la ministre des Affaires étrangères, la Verte Annalena Baerbock.

"Politique étrangère fondée sur les principes". "Nous maltraitons notre peuple avec des épées, des pierres, des fouets et des tronçonneuses ! Mais pas avec des Eurofighters ! Promis" "Super, merci !""Politique étrangère fondée sur les principes". "Nous maltraitons notre peuple avec des épées, des pierres, des fouets et des tronçonneuses ! Mais pas avec des Eurofighters ! Promis" "Super, merci !"

“Strike Germany” : la liberté d’expression en question ?

Le soutien résolu de Berlin à Israël est critiqué par un appel international d’artistes lancé sur le net. “Strike Germany” https://docs.google.com/document/d/1_7LWNZyyXa0jfOoR3P9F_q1QI6zPfWQe8CZZ8OXAGUU/edit

dénonce les intimidations dont seraient victimes les acteurs du secteur culturel solidaires des Palestiniens. Cet appel en ligne depuis quelques jours appelle à suspendre toute participation à des événements culturels en Allemagne. Parmi les quelques centaines de signataires, on trouve notamment l’écrivaine et prix Nobel de littérature Annie Ernaux. Le texte dénonce le fait que l’Allemagne reprenne à son compte la définition de l’antisémitisme de l’alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA). Strike Germany reproche à cette dernière de faire un amalgame entre la critique contre l’Etat d’Israël et l’antisémitisme.

La décision de la ville de Berlin de lier les subventiions à des projets culturels à la signature d’une déclaration reprenant cette définition n’est sans doute pas étrangère au lancement de cet appel. Environ 3000 acteurs de la scène culturelle berlinoise ont protesté contre cette mesure adoptée par l’adjoint à la Culture de la capitale allemande.

La mort de deux géants, Wolfgang Schäuble et Franz Beckenbauer

Avec la mort de Wolfgang Schäuble, c’est une figure centrale de la vie politique allemande qui a disparu fin décembre à 81 ans. Il a marqué son pays comme peu d’autres avec une longévité hors du commun. L’ancien président du Bundestag de 2017 à 2021 avait été élu député en 1972 et siégeait depuis sans interruption au parlement allemand. Il doit sa carrière nationale à Helmut Kohl. Il dirige la chancellerie à Bonn avant de devenir ministre de l’Intérieur et de négocier pour la RFA le traité de réunification avec la RDA en 1990. Quelques jours après, il est victime d’un attentat perpétré par une femme déséquilibrée. Cet homme sportif perd l’usage de ses jambes et doit poursuivre sa carrière en fauteuil roulant.

"Il a servi l'Allemagne""Il a servi l'Allemagne"Schäuble préside ensuite le groupe chrétien-démocrate au Bundestag. Le dauphin désigné d’Helmut Kohl ne deviendra jamais chancelier. Son père en politique veut rempiler une dernière fois en 1998 au lieu de passer la main. La gauche gagne les élections.

Schäuble succède à Helmut Kohl à la tête de la CDU mais doit se retirer prématurément entâché par le scandale des caisses noires du parti chrétien-démocrate. L’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel en 2005 lui permet de reprendre du service comme ministre de l’Intérieur puis aux Finances. Ce grand Européen pour qui la relation franco-allemande était centrale s’aliénera dans cette dernière fonction ministérielle les pays du Sud à commencer par la Grèce en raison de sa défense résolue de l’orthodoxie budgétaire.

Un hommage officiel lui sera rendu à Berlin le 22 janvier, jour anniversaire du traité de l’Elysée. De nombreuses personnalités sont attendues dont le Français Emmanuel Macron.

Le dernier empereur allemand Guillaume II a abdiqué il y a plus d’un siècle. L’Allemagne pleurt aujourd’hui un autre Kaiser, le géant du football Franz Beckenbauer qui vient de s’éteindre. Un hommage officiel lui sera rendu vendredi à Munich.

Lettre d'Allemagne

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Par pascal thibaut

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