Le deuxième anniversaire du début de la guerre en Ukraine coïncide avec des querelles franco-allemandes. Un mauvais signe pour l'Europe alors que le continent devrait être plus que jamais uni.
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Au menu également de cette Lettre d’Allemagne : la recrudescence des conflits sociaux, un sabotage contre l’usine Tesla près de Berlin, l’arrestation d’un ancien membre de la fraction armée rouge, un shit strom contre la nouvelle Miss Allemagne.
La guerre en Ukraine a mis en exergue des divergences de longue date entre la France et l’Allemagne que l’urgence des décisions à prendre a renforcé. On l’a vu sur la politique énergétique, sur les questions budgétaires et financières ou encore sur la Défense.
Les dix derniers jours ont encore livré un bon exemple de ces bisbilles cette fois sur le soutien à apporter à le Kiev et sur le rôle que Berlin et Paris. Depuis plusieurs semaines, le chancelier Scholz n’a cessé de répéter qu’il souhaitait un soutien plus important de ses alliées européens à Kiev ne manquant jamais de rappeler que Berlin est le premier contributeur après les Etats-Unis. Ces déclarations genre “premier de la classe” ont sensiblement irrité à Paris où l’on maudit le classement régulièrement mis à jour par l’institut IfW de Kiel https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/ sur les livraisons militaires occidentales à l’Ukraine. La France rétorque que ces données sont sous-estimées et que la qualité des armements livrés et leur efficacité priment sur les chiffres absolus. Moralité : Berlin en fait peut-être plus mais nos matériels constituent un aide plus décisive pour l’Ukraine.
"Ce qui les sépare"
Visiblement, Paris veut désormais s’affiche comme le fer de lance d’une politique résolument solidaire avec l’Ukraine contre la Russie. (et faire oublier qu’en 2022, Emmanuel Macron estimait qu’il ne fallait pas humilier Moscou). Les déclarations du président français sur un éventuel envoi de troupes au sol en Ukraine a provoqué en Allemagne une levée de boucliers et nourri des critiques au vitriol contre Paris. Olaf Scholz a immédiatement, sans prendre de gants diplomatiques, répliqué en rejetant une telle hypothèse synonyme pour lui d’une dangereuse escalade. Le chancelier a le lendemain diffusé un podcast video (programmé d’habitude le week-end) pour enfoncer le clou. A bon entendeur, salut ! Ce positionnement s’explique également pour des raisons de politique intérieure. Olaf Scholz s’affiche par là comme un leader mesuré pesant mûrement les conséquences de ses décisions. Le chancelier sait que les Allemands ne sont pas des foudres de guerre. Un sondage récent montrait qu’une majorité d’entre eux n’abandonnerait pas leurs Birkenstock et leur canapé douillet pour prendre les armes si leur pays était attaqué. A Paris, un conseiller de l’Elysée aurait déclaré : “Quand Scholz entend Poutine éternuer, il court se réfugier dans son bunker”.
Pour aller plus loin, je vous conseille d’écouter la dernière édition du Podkast de ma collègue Hélène Kohl : https://podcast.ausha.co/le-podkast/s4-e3-ne-pas-laisser-la-guerre-nous-diviser
"Macron fait peur à l'Allemagne" titrait la semaine dernière le quotidien de gauche
Pour le quotidien conservateur "Frankfurter Allgemeine”, le Kremlin doit sabrer le champagne pour se féliciter de ses dissenssions franco-allemandes affichées. Le même journal critique les “salves rhétoriques” de Macron. A Prague cette semaine, le président français a estimé que l’Europe ne devait pas être lâche, une sortie que le ministre de Défense Boris Pistorius n’a pas goûté. Pour beaucoup en Allemagne, les déclarations de l’Elysée constituent une manoeuvre de diversion pour dissimuler la faiblesse de la politique française en faveur de l’Ukraine.
Cette prudence affichée de Berlin s’illustre également par le refus du chancelier de livrer des missiles Taurus à Kiev. Un refus que six Allemands sur dix soutiennent dans un sondage publié aujourd’hui. La semaine dernière, Olaf Scholz a enfin explicité ses raisons évoquant le fait que l’utilisation de ces armes impliquerait la présence de forces allemandes en Ukraine ce que le chef du gouvernement exclut. En mentionnant indirectement que Paris et Londres qui ont livré des missiles Scalp et Shadow à Kiev aurait des militaires sur place, Olaf Scholz a irrité ses partenaires, révélant par là une implication qui pourtant n’a pas étonné les experts militaires.
Les grandes oreilles de Moscou à la une du magazine
La diffusion quelques jours plus tard par la Russie de l’enregistement d’une visioconférénce entre des hauts responsables de l’armée allemande sur les missiles Taurus a fait rebondir les débats sur de telles livraisons à Berlin d’abord. Dans cet échange, on apprend que la présence d’éléments de la Bundeswehr en Ukraine ne serait pas nécessaire si ces armements devaient être livrés à Kiev. La crédibilité du chancelier est donc en cause. La véritable raison de la réserve d’Olaf Scholz, résiderait plutôt dans le manque de confiance du chancelier à l’égard des responsables ukrainiens. Tiendraient-ils leurs promesses de ne pas utiliser ces missiles susceptibles d’atteindre Moscou contre le territoire russe ?
Au-delà, la publication de cet enregistrement égratigne l’image de l’Allemagne où des discussions sensibles ont pu être captées grâce à une erreur d’amateur d’un des participants utilisant une connexion non sécurisée depuis sa chambre d’hôtel. Les alliés de l’Allemagne peuvent-ils avoir confiance dans la fiabilité d’un tel partenaire ? “C’est comme si une bombe à fragmentation avait été larguée au dessus de Berlin” a commenté le quotidien “Frankfurter Allgemeine”.
"Comment ça marche ?" "Super ! Je viens de m'inscrire au groupe whatsapp de l'état major de la Bundeswehr sous le nom de "Nounours 45"" (quotidien ND)
Les Allemands qui voulaient voyager cette semaine ont dû prendre leur mal en patience. Pour la cinquième fois, les conducteurs de train de la Deutsche Bahn ont cessé le travail à l’appel du syndicat GdL. Ce débrayage de 35 heures s’est achevé aujoud’hui à 13 heures. Le patron de l’organisation Claus Weselsky a été critiqué pour son rejet d’un compromis élaboré par deux médiateurs. Si les positions en matière de salaires ne sont plus très éloignées entre le syndicat et l’entreprise, la réduction de la durée hebdomadaire du temps de travail de 38 heures à 35 heures sans réduction de salaire, exigée par GdL, reste la pierre d’achoppement des négociations. Le compromis proposait une baisse dans les prochaines années en deux étapes à 36 heures, une concession sensible faite au syndicat.
"Weselsky déraille complètement" dans "Bild" cette semaine
Les deux tiers des Allemands rejettent les grèves à répétition chez Deutsche Bahn. Une offre de l’entreprise aujourd’hui pour de nouvelles négociations lundi a été immédiatement rejetée par le syndicat GdL.
Le personnel au sol de Lufthansa est aussi en grève depuis hier pour deux jours alors que l’entreprise vient de présenter des résultats flamboyants. Le syndicat des services ver.di réclame des augmentations de salaires de 12,5% soit un minimum de 500 Euros par mois. Les pilotes d’avion de la compagnie ont eux massivement voté le principe d’une grève dont le début n’a pas encore été fixé.
“Eruption volcanique dans le Brandebourg" peut-on lire ci-dessous à la une du quotidien “Tageszeitung” connu pour ses titres ironiques. La région n’est pas en effet connue pour ce risque naturel. Le titre du journal fait référence au groupe d’extrême-gauche “Vulkan” (en français “volcan”) qui a revendiqué un attentat contre un pylone alimentant la Gigafactory de Tesla dans les environs de Berlin.
Le groupuscule n’apprécie pas l’investissement géant de l’Américain Elon Musk et s’était livré à un autre incendie criminel contre l’installation encore en construction il y a trois ans. Vulkan estime que Tesla “dévore la terre, les ressources, les hommes, leur force et crache en échange des SUV”. L’usine suscite depuis des années des polémiques. Actuellement, des activistes du climat occupent une forêt adjacente pour protester contre l’extension prévu du site industriel.
Après cet attentat, les chaines de production de l’usine sont interrompues jusqu’à la fin de la semaine prochaine. Les dommages pour l’entreprise pourraient s’élever à plusieurs millions d’Euros. Cette attaque traduit également la radicalisation d’une partie de l’extrême-gauche et de militants pro-climat baptisés par certains “éco-terroristes”.
L’arrestation le 26 février d’une ex-terroriste de 65 ans au coeur de Berlin fait depuis la une des médias allemands. Daniela Klette vivait sous une fausse identité dans un appartement du quartier de Kreuzberg. "La vie secrète de la terroriste de la RAF"
La police a retrouvé à son domicile des armes de guerre et des explosifs dont une kalaschnikov, un pistolet mitrailleur ou encore une grenade bazooka. Cette voisine sympathique qui donnait des cours de maths et s’éclatait dans un groupe de capoeira brésilien n’était donc pas complètement inoffensive et rangée des voitures. Comme d’autres membres de la troisième génération de la fraction armée rouge, elle avait financé sa survie quotidienne avec de vulgaires braquages, des crimes de droit commun commis entre 1999 et 2016 (la RAF s’est officiellement dissoute en 1998). Daniela Klette est aussi accusée d’avoir participé à trois attentats du groupe d’extrême-gauche au début des années 90.
Cette troisième génération a dix morts sur la conscience. Un seul a été tiré au clair. Ses membres n’ont pratiquement pas laissé de traces sur les lieux de leurs attentats. Ils sont des professionnels de la clandestinité et ont comme Daniela Klette réussi à survivre des années sans être inquiétés. On peut toutefois se demander comment cette femme a pu vivre une vie normale au coeur de la capitale allemande, malgré sa fausse identité. Pourtant, en 2019 encore, l’office criminel fédéral avait diffusé un avis de recherche avec les photos (certes anciennes) de Daniela Klette et de deux autres terroristes.
Actuellement dans les rues de Berlin : les autorités recherchent Burkhard Garweg et Volker Staub
-Les énergies renouvelables ont assué 56% de la production électrique allemande en 2023 (contre 46% en 2022). L’éolien a supplanté le charbon (31% contre 26%). L’année dernière aura aussi été marquée par l’abandon du nucléaire. Les trois dernières centrales qui auraient dû mettre la clé sous la porte fin 2022 avaient bénéficié d’un sursis de quelques semaines pour permettre à l’Allemagne de passer plus aisément le premier hiver après la fin des livraisons de gaz russe.
Il faut aussi souligner que la production globale d’électricité a baissé de 12% l’an dernier. La mauvaise conjoncture a réduit la demande des industries très consommatrices d’électricité comme la chimie. Le volume de l’électricité importée a sensiblement augmenté (+40%).
La cour des comptes vient d’étriller les objectifs du gouvernement et estime que les objectifs actuels ne sont pas tenables. Le développement du renouvelable reste insuffisant à terme pour satisfaire la demande accrue à attendre. Les experts jugent également que les nouvelles centrales au gaz prévues (plus tard à l’hydrogène) ne permettront pas de satisfaire les besoins prévus.
"Le gouvernement pour les retraites casino"
-le gouvernement allemand veut introduire un régime de retraite additionnel avec un fonds souverain doté à terme de 200 milliards d’Euros. Les bénéfices attendus seront reversés aux caisses de retraite à partir de 2036 soit dix milliards par an ce qui est bien peu par rapport aux coûts du système. Berlin veut garantir le niveau des retraites (48% du salaire moyen aujourd’hui) jusqu’en 2040. Les cotisations inchangées à 18,6% depuis 2018 resteront à ce niveau jusqu’en 2027 pour passer ensuite à 20% et à 22,3% à partir de 2035.
-l’inflation continue sa décrue et est passée à un rythme annuel de 2,5% en février après 2,9% en janvier
-pas de perte de pouvoir d’achat pour les salariés allemands en 2023, pour la première fois depuis 2019 même si la hausse des revenus réels a été symbolique, inflation oblige. Une hausse plus sensible du pouvoir d’achat est attendue cette année car les hausses de salaires sensibles ne seront pas autant grignotées par la hausse des prix à la baisse.
“Le Pen veut-elle castrer l’AfD ?” : la publication du poster boy du mouvement identitaire germanique, l’Autrichien Martin Sellner, sur Telegram résume les tensions actuelles entre des les partis d’extrême-droite. Le RN qui cherche depuis des années à se donner une façade plus respectacle n’a pas goûté les révélations dans la presse allemande (en fait un objectif bien connu) sur la volonté de l’AfD d’expulser massivement des étrangers mais aussi des Allemands d’origine étrangère.
Marine Le Pen a rencontrré la co-présidente de l’AfD Alice Weidel lors d’un déjeûner à Paris et exigé que le parti allemand prenne ses distances avec ses projets de “remigration”. Difficile car ils figurent dans le programme du mouvement. L’AfD s’est fendue d’une missive destinée au RN dans laquelle le mouvement évoque une campagne médiatique menée contre lui et des problèmes de traduction. Le mot “remigraton” n’est pas remis en cause. L’Alternative pour l’Allemagne explique qu’il signifierait simplement dans la langue de Goethe l’application de lois existantes outre-Rhin. Curieux…
La lettre de l’AfD n’a pas convaincu Marine Le Pen qui n’a pas apprécié par ailleurs que son contenu soit révélé dans les médias. L’ancienne présidente du RN estime que des questions restes ouvertes. Elle rejette le concept de “remigration” et l’expulsion de Français d’origine étrangère. L’alliance entre les deux partis au parlement européen après les élections est en cause. Ils siègent tous les deux actuellement au sein du groupe “Identité et démocratie” avec au total 28 députés sur 63. La tête de liste plus que radicale de l’AfD pour les Européennes de juin irrite au RN. Maximilian Krah a recruté après son élection en 2019 un collaborateur du RN exclu après la publication de photos antisémites. Et le même Krah avait soutenu durant la campagne présidentielle un certain Zemmour…
Apameh Schönauer, une architecte d’origine iranienne qui s’engage pour les droits des femmes, vient de remporter ce concours modernisé il y a quelques années. Depuis, cette mère de famille de 39 ans qui vit à Berlin a reçu de nombreuses injures sur le net. La désignation d’une femme d’origine étrangère -elle est arivée d’Iran en Allemagne avec sa mère à l’âge de six ans- ulcère visiblement les milieux xénophobes pour qui Miss Allemagne devrait être une Aryenne blonde de vingt ans posant en bikini.