Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
23 juil. · 7 mn à lire
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Olaf orphelin, Ursula superstar, Angela for ever

L'annonce du retrait de Joe Biden est un coup dur pour le chancelier Scholz très proche du président américain. Ursula von der Leyen rempile à la tête de la commission européenne et prend la place de l'ancienne "reine de l'Europe" Angela Merkel qui vient, elle, de fêter ses 70 ans marqués par un documentaire péplum en attendant ses mémoires.

“Le chancelier perd un ami paternel” titre ce mardi le quotidien de Munich “Süddeutsche Zeitung”. Olaf Scholz et Joe Biden sont proches l’un de l’autre. Lorsque le retrait du président américain a été annoncé dimanche soir, Olaf Scholz lui a immédiatement rendu hommage sur X. Joe Biden a joué un rôle central pour la politique allemande depuis que le chancelier actuel est aux affaires. On l’a surtout vu dans le positionnement à l’égard de l’Ukraine avec un Olaf Scholz aligné sur Washington ou bien attendant que l’administration Biden prenne les devants avant que l’Allemagne ne suive. Lorsque le chancelier a été sous pression pour livrer des chars Leopard 2 à Kiev, il a réussi à persuader Biden de faire un geste en décidant simultanément d’envoyer des chars M1-Abrahams en Ukraine. Le président américain a dû pour cela ignorer les états d’âme de son ministre de la Défense.Une initiative solitaire de Berlin devait être à tout prix évitée pour Olaf Scholz.

Avant cela, c’est le même Biden qui renonce en mai 2021 à des sanctions contre Nord Stream 2 pour ne pas égratigner les bonnes relations bilatérales malgré les fortes critiques aux Etats-Unis contre le gazoduc germano-russe. Au dernier G7, on a pu voir un Joe Biden pousser ses partenaires à entonner “Happy Birthday” pour un Olaf Scholz un peu gêné : https://www.youtube.com/watch?v=AhZnxD8z3Tg

Scholz : “Au moins, le retrait de Joe Biden crée un nouvel élan au sein de son parti” “Pourquoi tu me regardes si bizarrement ?” “Oh, comme ça”

Scholz s’est aussi efforcé de préparer l’avenir en cas de victoire de Donald Trump.Cela vaut par exemple pour le soutien sur la durée à l’Ukraine de l’OTAN ou le déploiement de missiles de longue portée américains en Allemagne à partir de 2026 pour contrer ceux de la Russie. Une décision qui suscite des critiques de certains sociaux-démocrates allemands dont les racines pacifistes restent vivaces. C’est le cas du président du groupe parlementaire SPD au Bundestag, Rolf Mützenich qui craint que cette annonce ne provoque une escalade. Des parallèles bancals avec la situation il y a une quarantaine d’années sont mis en avant lorsque des missiles Pershing ont été installés en Allemagne de l’Ouest pour contrer la menace des SS 20 soviétiques.

“von der Leyen II” : l’ancienne ministre d’Angela Merkel a été réélue pour un second mandat à la tête de la commission européenne. Une élection acquise plus facilement qu’il y a cinq ans et qui consacre l’assise de la chrétienne-démocrate qui sera auparavant restée 14 ans aux affaires dans les quatre gouvernements d’Angela Merkel après une carrière ministérielle dans sa région d’origine la Basse-Saxe. Pour rappel, l’Allemand Walter Hallstein avait été le premier président de la commission européenne et occupa ce poste de 1958 à 1967.

Angela Merkel fête ses 70 bougies

L’ancienne chancelière a fêté discrètement ses 70 ans le 17 juillet dernier. A cette occasion, de nombreux articles sont revenus sur le bilan de celle qui gouverna l’Allemagne durant seize ans de 2005 à 2021.

La première chaîne publique ARD présente actuellement un documentaire péplum en cinq parties sur l’ancienne dirigeante. https://lmy.de/xFzUt Angela Merkel, grande wagnérienne devant l’éternel ne sera pas au festival de Bayreuth qui commence ce mercredi. Son parti, la CDU, qui a pris ses distances avec son héritage organisera une fête en son honneur à la rentrée. L’ancienne chancelière publiera ses mémoires très attendues fin novembre dans plusieurs langues.

Débats sur la liberté de la presse

Le gouvernement allemand a décidé la semaine dernière d’interdire le magazine d’extrême-droite “Compact” l’accusant “d’attiser la haine contre les juifs, les migrants et la démocratie parlementaire”. L’organe lancé en 2010 était devenu une référence dans les milieux d’extrême-droite et a épousé les différents combats de cette mouvance à commencer par la lutte contre l’immigration. Angela Merkel faisait partie des figures les plus honnies du magazine comme le montre cette couverture très connue ci-dessous.

Le magazine a aussi accompagné la montée en puissance du parti d’extrême-droite “Alternative pour l’Allemagne” et d’autres groupuscules. Les réactions de l’AfD ont logiquement été très négatives après la décision de la ministre de l’Intérieur d’interdire la publication. “Compact”, c’était aussi une quinzaine de sites internet associés au magazine qui disparaissent, des manifestations régulières avec une figure de proue, Jürgen Elsässer, qui a fait ses classes à l’extrême-gauche dans sa prime jeunesse.

Cette interdiction va donc porter atteinte aux milieux d’extrême-droite. Mais la décision ne manquera pas d’être attaquée. Des organisations comme la fédération des éditeurs de magazines allemands qui n’ont pas de sympathie particulière pour “Compact” ont exprimé leurs doutes sur la validité juridique de cette interdiction.

”Attaque contre la liberté de la presse”

C’est aussi la semaine dernière que le tribunal administratif de Berlin traitait de la requête du quotidien d’extrême-gauche “Junge Welt” dénonçant son observation par les renseignements généraux allemands. Le journal est le seul à figurer dans le rapport annuel de l’organisation. L’ancien organe des jeunesses communistes est-allemandes -le quotidien le plus important du temps de la RDA- ne vend aujourd’hui plus que 20 000 exemplaires par jour. Son attachement aux valeurs marxistes constitue t’il pour autant une menace de poids pour la démocratie allemande ? On peut en douter. Le tribunal berlinois n’a pas eu d’états d’âme et a rejeté la requête du journal.

Economie

-Gross Travaux chez Deutsche Bahn

L’Euro 2024 en Allemagne a permis à des milliers de supporters et aux médias internationaux de découvrir combien le réseau ferroviaire allemand était déficient. Des supporters n’ont pas pu assister au match de leur équipe à cause des retards de la Deutsche Bahn, un responsable de la compétition a manqué un rendez-vous important, l’équipe nationale des Pays-Bas a dû pour un trajet prendre un avion au lieu du train.
Les choses doivent changer. La Deutsche Bahn a lancé il y a une semaine un plan pluriannuel de grands travaux. Fini le bricolage et les réparations incessantes d’infrastructures au bout du rouleau. L’heure est désormais à des fermetures complètes de tronçons pour une rénovation complète.

120 km de rails à poser, 380 000 tonnes de gravier, 265 000 traverses, 140 km de lignes électriques et vingt gares à rénover : après des années de sous investissements et de bricolages, des pannes à répétition et un train sur trois en retard, la Deutsche Bahn a pris le taureau par les cornes et tente un pari. Pendant cinq mois, les 70 km de la Riedbahn entre Francfort et Mannheim vont être refaits à neuf. Une course contre la montre et la bagatelle de 1.3 milliard d’Euros.
Un train grande ligne sur cinq en Allemagne passe dans ce couloir surchargé où les problèmes sont fréquents. Ces liaisons seront détournées comme le fret. Les passagers des trains régionaux, eux, devront goûter aux joies de l’autocar avec sièges en cuir, wifi et parfois toilettes pour réduire les frustrations.
Avant Noêl, tout doit être terminé même si une première interruption sur cette voie en janvier n’a pas été un franc succès. Jusqu’en 2030, 40 tronçons stratégiques à travers le pays doivent être rénovés sur ce modèle soit 4000 des 34 000 km de réseau. Après des années de négligences, la Deutsche Bahn, devenue le sujet de moquerie numéro un sur les réseaux sociaux et ailleurs, espère pouvoir à nouveau offrir des prestations dignes de ce nom.

-Un projet d’attentat russe contre le patron de Rheinmetall?

https://lmy.de/VpkYv

- Huawei débranché

L'Allemagne veut interdire des composants et technologies des groupes chinois Huawei et ZTE dans l'ensemble de ses réseaux 5G pour des raisons de "sécurité", dans un climat de tensions croissantes entre Pékin et l'UE. Leurs produits ne seront plus utilisés dans le "coeur du réseau" d'ici "fin 2026 au plus tard", et remplacés dans les systèmes "d'accès et de transport" 5G d'ici "fin 2029 au plus tard", a annoncé la ministre de l'Intérieur Nancy Faeser

-Clap de fin pour les Galeries Lafayette à Berlin

L’humour involontaire de l’affiche sur la façade de l’immeuble des GL a sûrement échappé aux experts en marketing du grand magasin. Ouvert en 1996, il ferme ses portes à la fin de la semaine. Il s’agit de la dernière succursale du groupe français à l’étranger. Un départ symbolique qui marque les esprits dans la capitale allemande. Les Galeries Lafayette avaient joué les pionniers dans une rue phare du centre historique de Berlin, la Friedrichstrasse, reconstruite après la réunification. La marque française apportait à l’époque un zeste de glamour dans une ville qui en manquait. Le rayon gourmet était le plus connu. On pouvait parfois y croiser une certaine Angela Merkel qui venait y acheter du fromage ou de la viande. C’est aussi là qu’elle avait acheté son sac Longchamp qui l’a longtemps accompagné. Lorsqu’une réparation fut nécessaire, la chancelière, encore en exercice, était venue elle même gérer ce dossier brûlant.

La profitabilité des GL à Berlin a, d’après les informations qui circulent, toujours été chancelante. Les difficultés du quartier et celles du commerce en général ont eu raison de l’enseigne qui tire sa révérence. L’avenir du bâtiment de Jean Nouvel est ouvert. Un projet de grande bibliothèque est évoqué mais n’est pas encore mûr.

Un coming out en Formule 1

L’ex-pilote Ralf Schumacher (le frère cadet de Michael) a surpris son monde avec une photo de lui et de son compagnon sur instagram avec en légende : “Le plus beau dans la vie c’est d’avoir à ses côtés un partenaire avec lequel on peut tout partager”.

La photo a été “likée” depuis par plus de 500 000 personnes et plus de 30 000 commentaires, la plupart positifs, ont été publiés. L’ancien sportif a remercié plus tard sur le net toutes les personnes connues ou moins connues qui l’ont félicité. Le coming out de l’ancien coureur de Formule 1 a été salué dans un monde sportif, plus spécialement de la course automobile, où l’acceptation de l’homosexualité ne va pas de soi.

Si on a su rapidement que le compagnon de Ralf Schumacher est Français, c’est quelques jours plus tard seulement qu’on a appris qu’Etienne Bousquet-Cassagne avait eu une carrière politique d’une douzaine d’années au sein du FN puis du RN. Des photos le montrent en compagnie de Jean-Marie Le Pen.

Nazisme

-l’Allemagne commémore l’attentat manqué contre Hitler il y a 80 ans

C’était il y a 80 ans, le 20 juillet 1944 : un attentat contre Hitler échouait de peu. « L’opération walkryrie » comme l’ont baptisé ses instigateurs aurait pu changer le cours de la guerre.Préparée de longue date, elle est soutenue par des personnalités aux profils très divers. Tout d’abord des militaires de haut rang qui ont prêté serment à Hitler et ont été au départ des nazis convaincus. Les crimes du régime sur le front de l’Est, les pertes sévères subies par la Wehrmacht, la perspective de la défaite les pousse dans la résistance. Ils sont alliés avec des personnalités diverses, des conservateurs, des socialistes, des communistes, des chrétiens qui surmontent leurs différences dans leur volonté de faire tomber le régime et le Führer Adolf Hitler. Le comte von Stauffenberg, un militaire de carrière, joue un rôle central. Il dépose à la mi-journée une valise bourrée d’explosifs lors d’une réunion autour de Hitler en Prusse orientale et quitte la salle. Persuadé de la mort de Hitler, il active un plan monté de longue date et de nombreuses arrestations de responsables nazis ont lieu. Mais Hitler a survécu légèrement blessé. Dès le soir du 20 juillet, le putsch est brisé dans l’œuf. Von Stauffenberg et d’autres sont abattus immédiatement. D’autres seront exécutés ultérieurement.

 La reconnaissance de cette résistance après la guerre a demandé du temps. Longtemps ces résistants ont été considérés comme des traitres ou comme des militaires qui voulaient sauver leur peau alors que la défaite de leur pays s’annonçait. Ces militaires mais aussi tous les autres membres de la résistance au nazisme, une infime minorité, prouvait à l’immense majorité de leurs compatriotes qu’on pouvait ne pas se contenter d’obéir aux ordres et tout accepter. Il a fallu du temps et l’arrivée d’une nouvelle génération pour que les esprits évoluent. Et puis cette résistance au nazisme diverse était aussi instrumentalisée politiquement. En Allemagne de l’Est, la résistance communiste était la seule qui comptait. A l’Ouest, à l’inverse, les opposants de gauche au nazisme passaient à l’arrière-plan pour ne pas faire le jeu de la RDA.

Aujourd’hui, le 20 juillet est le symbole de l’opposition interne au nazisme avec tous ses acteurs. Le mémorial de la résistance à Berlin ne consacre que quatre pièces sur 18 aux militaires par exemple. Cet après-midi, dans la cour voisine, des soldats de la Bundeswehr prêteront serment. « Les résistants du 20 juillet sont un modèle pour tous » affirme le ministre de la Défense.

Publicité de la Bundeswehr dans la presse à l’occasion du 80è anniversaire de l’attentat

 Mais aujourd’hui encore, des instrumentalisations de ce passé à des fins politiques se font jour. L’extrême-droite essaie de récupérer von Stauffenberg pour en faire un héros d’une « révolution conservatrice » dont certains rêvent. Et puis on voit comment certains manifestants font un amalgame entre la résistance au nazisme et leurs protestations contre le gouvernement allemand, assimilant le régime démocratique actuelle à la dictature nazie. Durant les manifestations contre les mesures anti-covid, une femme s’était comparée à Sophie Scholl, cette jeune étudiante qui fut exécutée pour avoir distribué des tracts anti-nazis durant la guerre à l’université de Munich. Des descendants de résistants à Hitler viennent de publier un manifeste pour dénoncer ces dérives.

Mon ami Peter Hartl vient de réaliser un documentaire sur Stauffenberg pour la ZDF : https://lmy.de/BCFzZ

-”Führer und Verführer” : un film sur Goebbels

Le ministre de la Propagande de Hitler affirme dans le film de Joachim A. Lang que ses homologues tomberont dans les oubliettes de l’histoire tandis que fera son entrée dans les livres d’histore. Le film qui se veut également un écho à la situation actuelle montre très bien comment avant l’ère des “fake news” Joseph Goebbels est passé maître dans l’art d’instrumentaliser des mensonges et de manipuler l’opinion publique. Le film largement basé sur les carnets du propagandiste de Hitler montre également très bien les rapports parfois tendus et les rivalités entre les dignitaires du régime. Goebbels est convaincu de sa supériorité. Il est le premier à être persuadé de son talent et accompagnera son maître en politique dans la mort dans le bunker du Führer avec sa femme et ses enfants.

 

 -”L’instruction” : nouveau film basé sur le livre éponyme de Peter Weiss

L’écrivain et dramaturge Peter Weiss assiste dans les années soixante au procès de vingt-deux responsables du camp d'extermination d’Auschwitz. Sur la base de ses notes, il rédige la pièce de théâtre L'Instruction qui est montée en 1965 dans 14 théâtres dans les deux parties de l’Allemagne divisée. La télévision publique de Hambourg avait porté peu après cette oeuvre à l’écran. Le réalisateur Rolf Peter Kahl sort ce jeudi un film de quatre heures qui décrypte à travers les témoignages des bourreaux et des victimes la machine de mort nationale-socialiste. On y entend des bureaucrates du crime répéter qu’ils n’ont fait que leur devoir, ne savaient rien ou n’étaient pas responsables. Les divers accents des acteurs interprétant des déportés de différents pays européens illustrent la dimension de la shoah dont ils décrivent souvent avec distance les horreurs.

 

La guerre du Döner aura t’elle lieu ?

Avec 2,4 milliards d’Euros de chiffre d’affaires en Allemagne, ce sandwich est un poids lourd de la gastronomie germanique contemporaine. Devra-t’il bientôt changer de nom ? La fédération internationale du Döner basée à Istanboul veut faire reconnaître cette spécialité par l’Union européenne et imposer des critères très précis : la viande utilisée ne peut être que de l’agneau ou du boeuf (de moins de 16 mois), le Döner ne peut être coupé que de haut en bas en tranches de 2 à 5 mm d’épaisseur avec un couteau long de 55 centimètres. Comme pour le serrano espagnol, cette spécialité pourrait être produite partout mais selon des règles bien précises qui ne valent pas aujourd’hui nécessairement en Allemagne. Si les nouvelles règles devaient s’appliquer dans toute l’Europe, nombre de Döners vendus aujourd’hui ne pourraient plus l’être sous le même nom. La commission européenne a six mois pour trancher.