Quand l'actualité fait douloureusement écho à l'histoire : l'Allemagne a commémoré la semaine dernière le 85ème anniversaire de la nuit des pogroms nazis alors que la nouvelle crise au Moyen-Orient provoque une montée des actes antisémites dans le pays et suscite l'inquiétude de la communauté juive.
La synagogue où se déroulait jeudi dernier à Berlin la cérémonie officielle commémorative a récemment été victime d’une attaque antisémite. Des cocktails Molotov ont été jetés sur le bâtiment à la mi-octobre, sans conséquence. En 1938, l’édifice religieux avait été pillé comme 1400 autres dans le pays. Le président du conseil central des juifs d’Allemagne a fait un parallèle lors de la cérémonie entre ce chiffre et celui des Israéliens victimes des attaques du Hamas le 7 octobre. Mais Josef Schuster a en même temps souligné qu’aujourd’hui l’Etat allemand protège la communauté juive. Cette dernière est sous le choc. Depuis cinq semaines, les actes antisémites ont augmenté fortement. L’office criminel fédéral en a recensé depuis le 7 octobre 2600 dans toute l’Allemagne dont près de la moitié à Berlin. 52% des Allemands estiment d’après un sondage de la semaine dernière que l’antisémitisme est important dans leur pays; 39% sont d’un avis contraire.
Comme d’autres Allemands, le chancelier Scholz a nettoyé des “pavés de la mémoire”. Ils rappellent la mémoire de personnes persécutées par le régime nazi et ont été posés devant le dernier domicile connu de ces victimes, majoritairement juives.
Lors de la cérémonie qui suivait, Olaf Scholz a réitéré la solidarité de son pays avec la communauté juive et Israël, qui font partie de l’ADN du pays depuis la guerre : “Notre Allemagne se fonde sur notre union indivisible, sur l’appartenance de principe des juifs à notre communauté et sur notre rejet commun de la haine et du terrorisme. Plus jamais ça : cette formule vaut toujours, aujourd’hui, demain et pour l’éternité.” Jeudi soir, cette formule qui a marqué l’Allemagne d’après guerre était projetée sur la porte de Brandebourg avec l’additif “c’est maintenant”.
Le Bundestag a aussi commémoré cet anniversaire jeudi. Contrairement à la France, le Hamas est dénoncé par tous les groupes parlementaires comme une organisation terroriste. Dans les rues, le parlement a aussi affiché sa solidarité avec Israël.
Le ministre de l’Economie et du Climat, le vice-chancelier écologiste Robert Habeck a publié sur X une vidéo sur le conflit qui a remporté un énorme écho. Plus que Olaf Scholz, le vice-chancelier a su trouver les mots justes pour toucher le plus grand nombre et se faire applaudir au-delà des rangs de la coalition au pouvoir. La video est aussi disponible avec des sous-titres en anglais, en hébreu et en arabe : https://www.youtube.com/watch?v=MdZvkkpJaVI Le site “Le grand continent” qui fait un travail remarquable a traduit le discours en français : https://legrandcontinent.eu/fr/2023/11/04/robert-habeck-lallemagne-contre-lantisemitisme/
Cette solidarité se traduit aussi dans le positionnement du gouvernement allemand dans la crise actuelle au Moyen-Orient. Olaf Scholz a répété dimanche soir qu’il rejetait un cessez-le-feu durable contrairement à la France, tout en plaidant pour des pauses humanitaires à Gaza. La ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, est pour la troisième fois dans la région depuis le début de la crise et se livre à un difficile exercice diplomatique entre la solidarité résolue de Berlin aux côtés d’Israël et le souci de réduire les drames humanitaires à Gaza.
Le président de la république Frank-Walter Steinmeier, conscient des retombées du conflit au sein de la société allemande, avait organisé mercredi dernier une discussion avec des Palestiens et des juifs oeuvrant au dialogue entre les deux communautés, même dans la période actuelle pleine de tensions. La survivante de l’holocauste Margot Friedländer, inlassablement active, a également participé à cette discussion. Son portrait sur le site de RFI : https://www.rfi.fr/fr/europe/20231109-allemagne-margot-friedländer-inlassable-combattante-de-la-mémoire
En Allemagne, comme ailleurs, la guerre actuelle domine les débats et polarise. Si le gouvernement et la majeure partie de la classe politique soutient Israël, la communauté palestinienne se mobilise et manifeste. Elle bénéficie du soutien d’une partie non négligeable de la société allemande. La video du magazine satirique illustre en forçant le trait ces discussions enflammées : https://www.youtube.com/watch?v=ej6vbSWBzho
Le 9 novembre ne rappelle pas seulement les pogroms nazis de novembre 1938. C’est une journée associée aux pages les plus noires de l’Allemagne comme le putsch manqué de Hitler en 1923 il y a cent ans https://www.rfi.fr/fr/connaissances/20231108-les-8-et-9-novembre-1923-en-allemagne-le-putsch-de-la-brasserie-la-farce-avant-la-tragédie Mais le 9 novembre, c’est aussi l’anniversaire d’événements plus positifs comme la proclamation de la république en 1918 et la chute du mur de Berlin en 1989.
Si le Troisième Reich a dominé le travail de mémoire en Allemagne depuis la guerre, d’autres pages de l’histoire du pays jouent aujourd’hui un rôle plus important qu’autrefois. Cela vaut pour le passé colonial allemand qui s’acheva en 1918 avec la défaite et le traité de Versailles l’année suivante. Lors d’une récente visite en Tanzanie, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a demandé pardon au pays pour les crimes commis sur place par son pays au début du XXème siècle : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20231101-l-allemagne-demande-formellement-pardon-pour-ses-massacres-commis-en-tanzanie-à-l-époque-coloniale?utm_medium=social&utm_campaign=x&utm_source=shorty
Rarement une rencontre réunissant l’Etat fédéral et les régions aura été aussi attendue. Mardi à trois heures du matin, c’est après neuf heures d’intenses discussions qu’une conférence de presse a présenté les résultats des conciliabules consacrés avant tout à la politique migratoire.
"L'Allemagne non attractive" titrait mercredi le quotidien de gauche berlinoisLe chancelier Scholz, d’ordinaire peu adepte des envolées lyriques, n’a pas hésité à parler d’un « moment historique” pour réduire la migration illégale. Un compromis a été trouvé pour un coup de pouce financier de l’Etat aux collectivités locales que ces dernières débordées par l’accueil des migrants réclament depuis des mois. Les autres mesures doivent rendre l’Allemagne moins attractive pour les demandeurs d’asile, les procédures doivent être accélérées et le rapatriement des personnes déboutées renforcé. Les prestations en nature doivent être développées au détriment des virements de l’allocation aux demandeurs d’asile. L’accès à l’aide sociale plus élevée ne leur sera accordée qu’après trois ans au lieu de 18 mois. Les procédures doivent être closes en trois mois, recours compris, pour ceux qui viennent de pays pour lesquels les demandes d’asile sont rarement accordées. Six mois sont prévus pour les autres. Un défi pour l’appareil administratif et judiciaire. Si les partis au pouvoir se montrent satisfaits ce matin comme la fédération des communes allemandes, l’opposition chrétienne-démocrate estime que les mesures ne vont pas assez loin. CDU et CSU plaidaient pour un nombre limité de demandes d’asile et le traitement des dossiers dans des pays tiers.
politique migratoire avec l'aigle allemand à deux têtes : recrutement de main d'oeuvre qualifiée et lutte contre l'immigration illégale
On peut douter de l’efficacité de ces mesures. D’abord, elles ne conduisent pas réduire les flux migratoires et encore moins à lutter contre les causes de cette migration. Accélérer le traitement des demandes d’asile sera pour certaines régions où les procédures durent des mois un défi herculéen. Organiser la distribution de cartes pour remplacer les virements au profit des migrants constituera également une prouesse dans un pays où le numérique ressemble parfois au 22 à Asnières.
Mais ce paquet de mesures n’est qu’un élément parmi d’autres de l’actuel durcissement de la politique migratoire allemande. D’autres solutions sont européennes avec le soutien finalement apporté par Berlin au pacte de l’UE qui doit encore être finalisé. Et les accords bilatéraux sont aussi une composante de cette politique qu’il s’agisse du renvoi de demandeurs d’asile déboutés dans leur pays d’origine ou de la protection des frontières extérieures de l’Europe. La visite du président turc Erdogan vendredi qui suscite des polémiques en raison de ses prises de positions pro-Hamas et anti-israéliennes pourrait être l’occasion de donner une nouvelle dynamique à l’accord conclu entre Ankara et l’Europe en 2016 sous l’impulsion d’Angela Merkel.
Si à l’époque les Allemands étaient plus généreux quant à l’accueil de migrants, les temps ont changé. Dans un sondage paru vendredi dernier, 63% d’entre eux estiment que leur pays ne peut pas accueillir autant de réfugiés que dans le passé (35% sont d’un avis contraire). Et les succès de l’extrême-droite, dans les urnes et dans les sondages, vient renforcer un peu plus cette tendance restrictive. Elle met aussi le gouvernement sous pression pour “prouver” à ses concitoyens qu’il réagit et pour tenter de réduire le succès de l’AfD.
L’électricité est depuis longtemps plus chère en Allemagne que dans d’autres pays européens comme la France. Même si la hausse impressionnante des prix due à la guerre en Ukraine s’est réduite, les entreprises, notamment les plus énergivores comme la chimie, ont toujours des factures deux foix plus élevées qu’il y a quelques années.
Pour la puissante industrie allemande -un cinquième de la richesse nationale- ces coûts hypothèquent leur avenir. Des entreprises sont en difficulté. D’autres pourraient délocaliser des productions devenues trop chères et moins rentables en Allemagne comme à l’exportation.
Depuis des mois, le gouvernement était divisé. Le ministre vert de l’Economie voulait un prix maximum assez bas de l’électricité pour l’industrie lourde. L’accord trouvé prévoit une baisse sensible de la taxe sur l’énergie pour toutes les entreprises de ce secteur. Les plus énergivores, plus exposées à la concurrence internationale, bénéficieront d’une compensation pour les coûts liés à l’achat de certificats de CO2. Les mesures devraient coûter prêt de 30 milliards d’Euros sur les prochaines années. La fédération de l’industrie allemande parle d’un « pas important vers une plus grande compétitivité ».
La hausse des prix plus élevée depuis des mois en Allemagne que dans la moyenne de l’Union européenne a ralenti sensiblement en octobre avec +3,8% sur un an après 4,5% en septembre et 6,4% en août. Il s’agit du niveau le plus bas depuis août 2021. Cette baisse est avant tout due à une forte détente sur les prix de l’énergie à commencer par le pétrole. Si l’inflation alimentaire baisse également, elle reste, elle, à un niveau plus élevé avec une hausse sur un an de +6,1%.
L’abonnement mensuel à 49 Euros qui permet d’utiliser les transports en commun dans toute l’Allemagne ainsi que les liaisons régionales était jusqu’à il y a quelques jours sur la sellette. Le financement pérenne de ce billet introduit en mai dernier n’était pas garanti. Les trois milliards de subventions pour la première année, financés à parité par l’Etat fédéral et les régions, ne suffisent pas sur la durée en raison de l’augmentation des coûts. Sans augmentation de ces subventions, le prix de cette offre pourrait donc augmenter. Mais un sondage montre que les usagers ne sont pas forcément prêts à payer plus.
"Le changement dans les transports... Nous y travaillons"600 millions non utlisés cette année pourront l’être l’an prochain mais cela ne suffira pas. Les ministres des Transports devront d’ici mai présenter de nouvelles propositions pour l’avenir.
L’introduction du Deutschlandticket a conduit à une hausse de 18% du nombre d’usagers sur les liaisons régionales d’après DB Regio, la filiale de Deutsche Bahn. Plus de la moitié des passagers qui utilisent ces trains possèdent un abonnement mensuel à 49 Euros.
La ponctualité des chemins de fer allemands reste, elle, peu glorieuse. Deutsche Bahn n’a pas réussi sur les dix premiers mois de l’année à atteindre ses maigres ambitions, à savoir 7 trains sur dix à l’heure. Deux sur trois seulement étaient ponctuels. Ces retards parfois spectaculaires figurent en bonne place dans les standards de l’humour germanique contemporain…
L’Allemagne souffre de déficits massifs dans ses infrastructures. Le changement climatique impose un développement massif des énergies renouvelables. Et l’industrie lourde, secteur essentiel du made in Germany, doit se décarboniser le plus vite possible. Mais de nombreux projets piétinent victimes de la bureaucratie, de réglementations complexes et de longs délais.
La conférence qui réunissait la semaine dernière le chancelier Scholz et les régions n’a pas seulement parlé migration. Elle a aussi débouché sur un plan qui doit donner aux projets d’infrastructures un coup de booster. Une centaine de règles doivent être supprimées; les délais seront raccourcis et des demandes seront déclarées accordées si l’administration ne répond pas dans les trois mois (logements, mâts pour la téléphonie mobile…); si un pont est reconstruit, les enquêtes environnementales disparaissent; la participation et les recours des riverains doivent être limités; les règles pour la protection des animaux unifiées.
“La guerre est revenue en Europe”, “la Bundeswehr doit être état de mener une guerre”, “l’Allemagne doit être la colonne vertébrale d’une Défense européenne”. Les propos du ministre Boris Pistorius comme le contenu d’un texte présenté la semaine dernière le montrent : Berlin entend bien poursuivre ses efforts pour adapter son armée à la situation actuelle. Après l’adoption du fonds spécial de 100 milliards pour la Bundeswehr l’an dernier, les prévisions budgétaires suscitaient toutefois quelques doutes pour l’avenir. Une fois les moyens du fonds épuisés, l’impasse financière chaque année serait d’environ 25 milliards pour le budget courant de l’armée allemande à l’avenir d’après les experts.
Réforme de l'orthographe : le ministère de la Défense devient le ministère de la guerre
Olaf Scholz a voulu dissiper ces doutes. Le chancelier a annoncé que la Bundeswehr bénéficierait jusque dans la prochaine décennie de moyens équivalant à 2% du produit intérieur brut, soit la recommandation fixée par l’OTAN à ses Etats membres. Le chef du gouvernement a aussi voulu dissiper les doutes sur l’engagement de son pays au sein du projet d’avion du futur franco-allemand SCAF. Cette coopération doit être poursuivie d’après Scholz comme pour le projet de char MGCS entre les deux pays.
Olaf Scholz a cherché ces dernières semaines sur les dossiers migratoires le dialogue avec le chef de l’opposition, le président de la CDU Friedrich Merz. Il n’en fallait pas plus pour que le landerneau politico-médiatique berlinois évoque le retour de la Groko, comprenez grande coalition, l’alliance entre chrétiens-démocrates et SPD avec laquelle Angela Merkel a gouverné durant trois législatures sur quatre. Les choses sont plus compliquées. Friedrich Merz a régulièrement l’impression que Scholz le prend de haut (un travers du chancelier…) et leurs rapports ne sont pas si simples. Il n’empêche. Les traditionnelles positions très libérales des Verts sur l’immigration ne permettent pas à Scholz d’aller aussi loin et vite qu’il le souhaite sur ce dossier. Trouver des points communs avec les chrétiens-démocrates serait plus aisé.
Après la fin de l’ère Merkel, la grande coalition soporifique paraissait avoir fait son temps. Avec le nouveau gouvernement berlinois depuis l’hiver dernier, elle a fait son retour. Comme dans la capitale, le ministre-président de la Hesse, le chrétien-démocrate Boris Rhein, grand vainqueur des régionales du 8 octobre, aurait pu faire un autre choix. Mais Boris Rhein a décidé de mettre fin après dix ans à l’alliance entre la CDU et les Verts au profit d’une coalition avec les sociaux-démocrates, grands perdants pourtant du scrutin.
"Nous tapons visiblement sur les nerfs des gens" : le ministre-président vert du Bade Wurtemberg Winfried Kretschmann
Les Verts sont sur la défensive. Ils ont pour beaucoup l’image d’un parti qui prône les interdits et donne des leçons de morale à chaque instant. Même si les écologistes en Hesse sont super pragmatiques (c’est dans cette région qu’un certain Joschka Fischer devint le premier ministre vert d’un gouvernement régional en… 1985), l’omniprésence du dossier migratoire actuellement explique pour partie le choix de la CDU d’une alliance avec le SPD avec lequel des accords seront plus faciles.