Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
20 nov. · 4 mn à lire
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Séisme budgétaire

La cour constitutionnelle allemande a censuré les pratiques du gouvernement pour desserrer le corset très contraignant de la règle d'or avec des fonds spéciaux extérieurs au budget courant. C'est une gifle magistrale pour la coalition au pouvoir mais aussi une hypothèque pour l'avenir.

Les règles budgétaires ne peuvent pas être ignorées même durant des situations exceptionnelles. Le tribunal de Karlsruhe, saisi par l’opposition chrétienne-démocrate, a brutalement sanctionné le gouvernement mercredi dernier. Les juges constitutionnels ont estimé que le reliquat budgétaire de soixante milliards destiné au départ à la lutte contre le covid ne pouvait pas alimenter un autre fonds “pour la transformation et le climat”. Il n’est pas légal d’emprunter de l’argent pour une certaine cause puis de l’utiliser à d’autres fins.

Depuis 2011, la règle d’or ou frein à l’endettement est ancrée dans la constitution. Elle limite le déficit de l’Etat fédéral à 0,35% du produit intérieur brut sauf circonstances exceptionnelles. Les gouvernements Merkel et Scholz ont usé de cette possibilité en raison de la pandémie de Covid puis de la crise créée par l’invasion de l’Ukraine. Depuis 2020 et jusqu’à cette année incluse, la règle d’or a été suspendue. L’Etat a massivement emprunté et mis en place des fonds exceptionnels, extérieurs au budget courant.

"La faillite de la coalition feu tricolore" pour le quotidien "Bild Zeitung""La faillite de la coalition feu tricolore" pour le quotidien "Bild Zeitung"

Karlsruhe remet donc en cause cette pratique pour l’un de ces fonds et donne gain de cause aux chrétiens-démocrates qui dénonçaient un “tour de passe-passe budgétaire”. Ces derniers qui ont savouré leur victoire ces derniers jours réfléchissent maintenant à une autre plainte devant la cour constitutionnelle contre le fonds de stabilisation économique datant de 2020 et augmenté l’an dernier pour passer à un volume sans précédent de 200 milliards. Une remise en cause de ce fonds, bien plus conséquent, constituerait une catastrophe encore plus importante pour le gouvernement.

Ce dernier est sanctionné pour ses pratiques par la très prestigieuse cour constitutionnelle. La coalition d’Olaf Scholz, en poste depuis à peine deux ans, prend des allures de mauvais élève tricheur qui prend des libertés avec les règles. Mais ceci n’est pas tout à fait nouveau…

Plus grave, le gouvernement est confronté désormais à une impasse budgétaire de 60 milliards d’Euros, autant de dépenses effacées purement et simplement par la cour de Karlsruhe. Lors d’une déclaration à chaud, mercredi à la mi-journée, le chancelier Scholz, le ministre de l’Economie et du Climat, le vert Robert Habeck et le ministre des Finances, le libéral Christian Lindner, ont évité tout accent alarmiste. Mais beaucoup de questions se posent.

"La politique climatique du gouvernement détruite""La politique climatique du gouvernement détruite"

Les soixante milliards manquants devaient être dépensés sur quatre années de 2024 à 2027, soit quinze milliards par exercice budgétaire. Certaines mesures ne sont pas remises en cause comme les fonds pour une meilleure efficience énergétique des bâtiments et notamment le remplacement de chaudières à gaz. D’autres dépenses pour les infrastructures nécessaires aux voitures électriques, la modernisation de la Deutsche Bahn ou le soutien massif de l’Etat à l’implantation d’une usine Intel sont sur la sellette.

Le ministre de l’Economie et du Climat Robert Habeck est le plus menacé par cette coupe budgétaire drastique. Pour les écologistes allemands, c’est le projet central de modernisation de l’économie pour parvenir à la neutralité climatique qui est remis en cause, ou en tout cas son rythme. Alors que les verts sont sur la défensive, c’est un coup dur pour eux à quelques jours de leur congrès où une partie de la base se rebiffe contre des concessions jugées excessives au sein de la coalition. Si le projet phare des écologistes, à savoir le climat, devait faire les frais de la décision de la cour constitutionnelle, le moral des troupes risquerait encore plus d’en prendre un coup.

Il faut dans l’urgence trouver des solutions. Une remise en cause de la règle d’or ancrée dans la loi fondamentale nécessite une réforme constitutionnelle et une majorité des deux tiers, pour laquelle un soutien des chrétiens-démocrates est exclu. Le ministre des Finances estime que la décision de la cour est aussi l’occasion de réfléchir aux priorités. Au sein du FDP, certains s’interrogent sur le niveau jugé trop élevé de prestations sociales. Un no go pour le SPD. Lespriorités des uns ne sont pas celles des autres. Les libéraux refusent toute augmentation d’impôts alors que les sociaux-démocrates et les Verts souhaiteraient taxer plus fortement les plus riches. La suppression de subventions comme pour le gasoil ou l’achat de voitures de société pourrait permettre de réduire les dépenses. Les Verts y sont favorables; les libéraux voient là une hausse déguisée des prélèvements. Dans l’urgence, une mesure concrète a toutefois été décidée jeudi avec le retour au taux de TVA de 19% pour les restaurants; il avait été réduit à 7% pour soutenir cette branche durant la pandémie. Les intéressés auraient volontiers goûté une prolongation de cette disposition alors que l’inflation les a déjà obligée à augmenter leur prix.

Scholz (à côté du vert Habeck et du libéral Lindner) : "Bon, chacun lui envoie une lettre et demande vingt milliards d'Euros. ça sonne plus raisonnable"Scholz (à côté du vert Habeck et du libéral Lindner) : "Bon, chacun lui envoie une lettre et demande vingt milliards d'Euros. ça sonne plus raisonnable"

Les négociations menacent d’être laborieuses. Les bisbilles au sein de la coalition pourraient à nouveau reprendre des couleurs et nuire à la popularité du gouvernement. Beaucoup de solutions étant bloquées par les divergences entre les trois composantes du gouvernement, une solution pourrait consister à prolonger la suspension de la règle d'or qui normalement doit reprendre du service l’an prochain. Berlin pourrait évoquer un état d’urgence budgétaire pour justifier cette énième dérogation. La cour constitutionnelle serait-elle prête à accepter une telle mesure?

Si la décison de Karlsruhe la semaine dernière a le mérite de mettre fin à l’hypocrisie consistant à créer des fonds spéciaux hors budget pour détourner les règles, il n’en reste pas moins que le frein à l’endettement constitue par le faible déficit autorisé et sa rigidité un frein pour l’avenir. D’après de premières estimations du ministère de l’Economie, la croissance en 2024 pourrait être plus faible que prévu après la décision de la cour avec un demi point en moins. Les prévisions, déjà modestes -+1,3% de hausse annoncée en 2024- seraient sérieusesment revues à la baisse. Plus largement, les règles budgétaires actuelles ne permettent pas à l’Allemagne de faire face à la modernisation en profondeur de son économie pour atteindre à terme la neutralité climatique et pour remettre des infrastructures déficientes à niveau. Les chrétiens-démocrates qui ont crié victoire après la décision de la cour constitutionnelle la semaine dernière pourraient faire grise mine s’ils devaient revenir au pouvoir, comme ils l’espèrent, en 2025.

Die Linke : le parti de gauche peau de chagrin

L’annonce de la création d’un parti rival par Sahra Wagenknecht qui doit être lancé début 2024 sonne le glas du groupe parlementaire Die Linke au Bundestag. Avec la défection de plusieurs députés qui veulent rallier le nouveau mouvement, le parti de gauche ne disposera plus de suffisamment de mandats pour constituer un groupe parlementaire en bonne et due forme. Il se sabordera la six décembre, jour de la Saint Nicolas.
"Le groupe parlementaire Die Linke se dissout""Le groupe parlementaire Die Linke se dissout"

Lors du congrès de ce week-end à Augsbourg en Bavière, la ville natale de Bertolt Brecht, cette idole de la gauche a souvent été cité. Le co-président de Die Linke Martin Schirdewan n’a pas démérité déclarant : “Quand un ami s’en va, il faut fermer la porte, sinon il fait froid”. Une allusion discrète sans la mentionner à Sahra Wagenknecht dont on n’a pas parlé durant le congrès, un peu comme si Die Linke respirait après que l’abcès a été crevé. En élisant Carola Rackete, l’activiste connue pour avoir secouru des migrants en Méditerranée, en deuxième position sur la liste pour les europénnes de juin prochain, le parti confirme sa fidélité à une politique migratoire libérale. Une opposition claire au discours dominant mais aussi aux accents nationaux d’une Sahra Wagenknecht dont les positiions restrictives sur ces questions ont longtemps provoqué des tensions au sein de Die Linke.

Thunberg, “persona non Greta”

Les nouvelles déclarations pro-palestiniennes de l'activiste du climat Greta Thunberg il y a une semaine aux Pays-Bas ont suscité de nombreuses réactions négatives en Allemagne. La jeune Suédoise se voit reprocher des prises de position jugées anti-israéliennes, voire antisémites. Même les traditionnels alliés de Greta Thunberg l'ont critiquée.  « Persona non Greta », le jeu de mots à la Une du quotidien “Tageszeitung” résumait bien les réactions négatives suscitées par les prises de position de Greta Thunberg. Le journal “Tagesspiegel” titrait, lui,  sur « la chute d’une icône du climat », 

La militante a appelé dimanche 12 novembre 2023 à un « cessez-le-feu » au Proche-Orient lors d'une marche pour l'environnement qui a rassemblé quelque 70 000 participants à Amsterdam pour réclamer davantage d'attention des autorités au changement climatique.

« En tant que mouvement pour la justice climatique, nous devons écouter les voix de ceux qui sont opprimés et de ceux qui luttent pour la liberté et la justice », a-t-elle affirmé devant la foule. Elle a été interrompue par un homme qui a tenté de lui arracher le micro, affirmant être venu pour une manifestation écologique – celle-ci était organisée par une coalition réunissant notamment Extinction Rebellion, Fridays for Future, Oxfam et Greenpeace – et non pour « son point de vue politique ».

En Allemagne, où la sécurité d'Israël est considérée comme « raison d'État » en raison de la responsabilité historique du pays dans la Shoah, cet épisode a suscité des remous. Après ces déclarations, la branche allemande de Fridays For Future, le mouvement lancé par la jeune Suédoise, a à nouveau pris ses distances avec son égérie. Ses responsables ont condamné les attaques du Hamas contre Israël et déclaré que l’antisémitisme n’avait pas sa place au sein de l’organisation.

"Les errements d'une idole-Greta Thunberg et les ennemis de gauche d'Israël""Les errements d'une idole-Greta Thunberg et les ennemis de gauche d'Israël"

La co-présidente du parti écologiste a estimé que Greta Thunberg discréditait le mouvement pro-climat par ses prises de position. « On pourrait presque dire qu’elle fait des victimes des bourreaux et remet en cause l’existence d’Israël », a ajouté Ricarda Lang. Le secrétaire général des chrétiens-sociaux bavarois a qualifié Greta Thunberg « d’antisémite », l’accusant de soutenir le Hamas. L'homme politique et président de la société germano-israélienne Volker Beck a écrit sur X (anciennement Twitter) : « À partir de maintenant, au service de la haine contre Israël ».

Scholz et Erdogan affichent leurs divergences

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