Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
12 juin · 4 mn à lire
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Stop ou encore : Macron dissout,Scholz fait l'autruche

Les gouvernants en France et en Allemagne ont été brutalement sanctionnés dimanche . Emmanuel Macron a choisit la fuite en avant avec un pari des plus risqués. Olaf Scholz promet de mieux faire et donne rendez-vous aux électeurs dans quinze mois. Leur patience face à un gouvernement des plus impopulaires est mise à rude épreuve.

Les élections européennes ont débouché en Allemagne sur un vote sanction contre la coalition au pouvoir. Le SPD avait misé sur le chancelier omniprésent sur les affiches très nombreuses. A l’arrivée, le parti bat son record négatif de 2019. Jamais les sociaux-démocrates n’ont été aussi faibles au niveau national depuis la guerre. Il faut remonter à… 1887 pour trouver un résultat aussi médiocre du parti. (Aux législatives de 2021, le SPD avait récolté près de 26% des voix soit 12 millions de suffrages contre 5,5 millions dimanche).

La sanction est particulièrement sévère pour les écologistes. Les verts allemands avaient, il faut le rappeler, engrangé un score historique de plus de 20% en 2019. Un recul était programmé. Mais le résultat d’à peine 12% dimanche soir est douloureux (le parti avait obtenu 14,7% aux législatives de 2021). Le désamour chez les jeunes, soutien traditionnel des Verts, est massif. 35% des 18-24 ans avaient voté pour ce parti aux Européennes de 2019 contre 11% dimanche… Ce dernier chiffre vaut pour les 16-24 ans car l’âge légal pour voter a été abaissé pour ce scrutin à 16 ans comme c’est déjà le cas dans différents Länder pour les régionales.

Ce vote sanction va de pair avec l’impopularité massive du gouvernement et du chancelier. Dès dimanche soir, le secrétaire général de la CDU remettait en cause la légitimité d’Olaf Scholz exigeant que le chancelier pose la question de confiance. Lundi, le patron de la CSU bavaroise, Markus Söder estimait : “Il doit se passer la même chose qu’en France où Macron a répondu à ceux qui réclamaient de nouvelles élections”.

”une gifle pour le chancelier”

Au siège du SPD dimanche soir, Olaf Scholz se promenait placide et faisait des selfies avec des camarades du parti. Lundi, son porte-parole interrogé sur des élections anticipées rappelait que la législature se termine en septembre 2025. Interrogé plus tard lors d’une conférence de presse, le chancelier affirmait avoir entendu le message des urnes, promettait de travailler mieux à la tête de sa coalition tiraillée par des dissensions et donnait rendez-vous aux électeurs dans quinze mois. Dans le genre, je vous ai compris, on a déjà fait mieux…

Il faut dire que dissoudre le Bundestag n’est pas aussi simple qu’en France. Cela n’est possible que si le chancelier perd une question de confiance. Le président de la république peut prendre une telle mesure comme en 2005 lorsque Schröder avait mis fin à l’agonie de son deuxième mandat en demandant à ses troupes de ne pas lui voter la confiance.

Il va donc falloir durant quinze long mois assister et supporter les déchirements de la coalition au pouvoir. A court terme, c’est le bouclage du budget 2025 qui focalise les débats avec quarante milliards d’économies à réaliser. La gauche réclame des impôts plus élevés pour les plus riches ou une nouvelle suspension du frein à la dette, deux chiffons rouges que rejette le petit parti libéral qui se bat pour sa survie politique.

Aucun des trois partis membres de cette coalition n’a intérêt à organiser de nouvelles élections dont ils ressortiraient affaiblis voire éventuellement laminés comme le FDP qui n’est pas sûr d’atteindre la barre des 5% nécessaire pour être représenté au parlement. Un traumatisme subi en 2013 qui a laissé des traces.

La CDU a remercié dimanche soir ses électeurs sur X

Les chrétiens-démocrates sont les grands vainqueurs de ces élections. Avec 30% des voix (un score légèrement supérieur à celui de 2019), CDU et CSU rassemblent presque autant de suffrages que les trois partis de la coalition au pouvoir. Les conservateurs devancent les sociaux-démocrates de seize points ! Ce résultat est aussi à comparer à l’échec historique des législatives de 2021 avec 24% pour les chrétiens-démocrates.

Ce score conforte la position du président de la CDU Friedrich Merz au sein du parti. La décision sur la candidature à la chancellerie au sein du camp chrétien-démocrate doit être prise à l’automne après les trois élections régionales de septembre dans l’Est du pays. Friedrich Merz a certes assis son autorité au sein de son parti, mais il ne parvient pas à convaincre les Allemands qu’il ferait mieux que Scholz comme l’ont encore confirmé des analyses dimanche soir.

”Au moins 80% n’ont pas perdu la tête”

Comme ailleurs en Europe, une crainte majeure durant la campagne en Allemagne résidait dans le score de l’extrême-droite. Au début de l’année, l’AfD avait atteint jusqu’à 23% dans les sondages. Dimanche, le parti d’extrême-droite a obtenu 16% des suffrages. C’est moins que ce qui était craint mais ce résultat représente néanmoins une hausse de 5% par rapport aux élections européennes de 2019. En voix, cela équivaut, en cinq ans, à une augmentation de plus de 50%.

Un score à la hausse malgré un vent mauvais et des affaires auxquels l’AfD était confrontée depuis le début de l’année. Les numéros un et deux sur la liste pour les Européennes ont été priés de se faire discrets durant la campagne. De nombreuses manifestations contre l’extrême-droite ont eu lieu à travers l’Allemagne durant l’hiver mais aussi ces derniers jours. Mais les sondages réalisés dimanche montrent que cela n’impressionne guère les électeurs de l’AfD. 82% d’entre eux estiment que cela leur est égal que ce parti compte dans ses rangs des extrémistes. L’essentiel pour ces supporters sont les thèmes que défend le parti, comme l’immigration ou la sécurité.

L’AfD est, de loin, le premier parti dans la partie Est du pays (voir graphique ci-dessus). Un résultat qui confirme un enracinement dans l’ex-RDA et qui soulève de nombreuses craintes dans le reste de la classe politique avant les élections en septembre en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg.

L’AfD séduit aussi beaucoup de jeunes électeurs et obtient parmi eux le même score que dans l’ensemble de la population, soit trois fois plus qu’il y a cinq ans dans cette tranche d’âge. La CDU arrive en tête d’une courte tête avec 17% des voix parmi les 16-24 ans.

Le scrutin a été marqué dimanche par une première avec un nouveau parti lancé en janvier, l’alliance Sahra Wagenknecht (BSW), un mouvement à gauche sur les questions sociales, conservateur sur les dossiers sociétaux et la migration. Le président de la CDU, Friedrich Merz, qui a rejeté hier toute alliance avec cette force, comme avec l’AfD et Die Linke, a estimé que BSW était à la fois d’extrême-droite et d’extrême-gauche.

On le voit dans le graphique ci-dessus, cette nouvelle force réalise dans la partie Est du pays un score deux fois plus élevé qu’au niveau national. Les positions fermes de BSW sur les questions migratoires laissaient penser dans les sondages antérieurs aux élections que le parti contribuait à la baisse depuis le début de l’année de l’AfD. Les analyses du scrutin de dimanche nuancent cette perception. Plus de 900 000 voix obtenues par BSW viennent des partis de gauche SPD et Die Linke, 140 000 seulement de l’AfD, à peine plus que les transferts venant des verts. Il semble donc que l’électorat de l’Alternative pour l’Allemagne lui reste majoritairement fidèle.

BSW et AfD se rejoignent sur certaines questions notamment la guerre en Ukraine. Ces forces critiquent les livraisons d’armes à Kiev et plaident pour des négociations de paix, quitte à ce qu’elles signifient une victoire de fait de la Russie. Un positionnement commun qui s’est illustré hier avec un boycott par ces deux forces du discours de Volodymyr Zelensky devant le Bundestag. Le nouvel axe franco-allemand

Le coup de théâtre causé en France par la dissolution a tout autant surpris l’Allemagne qui s’inquiète. Déjà dans le passé, la montée de l’extrême-droite avait suscité la crainte non seulement des responsables politiques mais aussi de la société civile. Cela était perceptible lors des deux dernières élections présidentielles. Cette crainte s’impose depuis dimanche soir, y compris dans des échanges privés. Les commentaires de la presse sont négatifs. Les collègues allemands dénoncent un pari risqué du président français.

Au-delà, les conséquences pour les relations franco-allemandes et l’Europe sont en jeu pour de nombreux observateurs en Allemagne. L’affaiblissement d’Emmanuel Macron en Europe avait déjà été souligné avant et durant sa récente visite d’Etat en RFA fin mai. Cette perception est encore plus forte aujourd’hui.