Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
30 mai · 4 mn à lire
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Macron en Allemagne : nouveau souffle ou soufflé?

La visite d'Etat du président français outre-Rhin avec son riche programme, la diversité des rencontres et l'accueil chaleureux réservé à Emmanuel Macron a renoué avec les moments forts de l'historiographie franco-allemande. Ce voyage va-t'il changer la donne ou ne restera t'il qu'une parenthèse alors que l'Europe ne peut attendre.

Une brève partie de baby-foot avec son homologue Frank-Walter Steinmeier, un bain de foule lors de la fête de la démocratie pour les 75 ans de loi fondamentale avec selfies à gogo, un baise-main un peu désuet à Angela Merkel retrouvée au banquet au château de Bellevue, une déambulation dans le labyrinthe du mémorial de l’holocauste et une remise de décorations à Serge et Beate Klarsfeld, un accueil de popstar devant l’iconique église Notre-Dame de Dresde pour un discours à la jeunesse européenne prononcé en partie en allemand, le prix de la paix de Westphalie reçu à Münster : la visite d’Etat d’Emmanuel Macron aura été dense en symboles et en images venant alimenter l’album de famille franco-allemand.

Le prof d’allemand d’Emmanuel Macron interviewé dans “les grosses têtes”:

https://podcasts-francais.fr/podcast/les-grosses-tetes/le-coup-de-fil-du-jour-emmanuel-macron-son-profess#google_vignette

et un extrait de Macron en allemand à Dresde: https://x.com/phoenix_de/status/1795142627727196232

La dernière page du quotidien “Bild Zeitung” “A l’amitié, le président Macron fêté en Allemagne”

Un esprit qui tranchait avec les derniers mois surtout marqués par les différends au sein du couple franco-allemand. Le président français avec 53% de bonnes opinions est plus populaire ici que dans son propre pays. Le premier quinquennat avait développé une véritable “macronmania” en Allemagne qui a perdu de sa superbe depuis. Mais la personnalité du président français, ses talents rhétoriques, son engagement européen continuent de séduire, surtout comparé à Olaf Scholz. Les médias allemands ont abondamment rendu compte de cette visite qui a fait la une de nombreux journaux. On ne peut pas en dire de même côté français…

Emmanuel Macron lors de son discours à Dresde : “L’Europe ne sera achevée que si elle peut se protéger”

Les commentateurs ont également mis en avant le contraste entre Paris et Berlin. “L’offensive de charme de Steinmeier (le président allemand qui avait invité Emmanuel Macron) doit faire oublier l’indifférence qu’Olaf Scholz réserve souvent au président français” pouvait-on ainsi lire dans le quotidien “Westfälische Nachrichten” de Münster où le prix de la paix a été remis mardi à Emmanuel Macron. Le magazine “Der Spiegel” a titré une tribune “L’un parle, l’autre se tait” où l’on pouvait lire : “A nouveau, on a l’impression que Macron veut aller de l’avant en Europe tandis que le chancelier hésite. Berlin n’a rien à proposer à Paris”.

Le lancement de l’été sportif franco-allemand (Euro 2024 en Allemagne et JO à Paris) (Steinmeier est né en 1956)

La visite d’Etat à peine achevée à Münster, Emmanuel Macron s’est rendu dans le Brandebourg, à Meseberg, pour un conseil des ministres franco-allemand. Les affaires courantes reprenaient le dessus avec cette fois comme hôte Olaf Scholz. Les deux responsables ont, dans ce cadre bucolique, fait des efforts pour prolonger l’ambiance chaleureuse des 48 heures qui ont précédé. “Nous finissons toujours par trouver un accord” a déclaré Emmanuel Macron à la fin de la conférence de presse commune avec le chancelier.

Des thèmes plusieurs fois évoqués depuis dimanche figuraient à nouveau à l’ordre du jour du conseil des ministres qu’il s’agisse de la compétitivité de l’Europe et de sa souveraineté ou encore le soutien à apporter à l’Ukraine. Les communiqués publiés au terme de la rencontre s’en tiennent malheureusement à des formules vagues qui ne fâchent pas sans que des mesures fortes ou des propositions pour l’Europe après les élections du 9 juin ne soient formulées. On peut juste espérer que “l’esprit de Dresde” a besoin d’un peu de temps pour déboucher sur du concret.

”Bizarre, Macron est reparti mais son ombre est encore là” Heiko Sakurai

Les discours pro-européens de Macron ont séduit en Allemagne. Le couple franco-allemand a repris des couleurs durant trois jours. Mais sans avancées communes et des propositions ambitieuses pour l’Europe, cette visite d’Etat perdra sa légitimité et sa crédibilité. On se rappelle avec frustration la grande messe organisée le 22 janvier 2023 pour le soixantième anniversaire du traité de l’Elysée dont rien de concret n’est ressorti. Et l’année jubilaire a laissé les enfants du traité que nous sommes sur leur faim.

Les Nazis champagne

L’île de Sylt dans le Nord de l’Allemagne est avant tout connue comme destination privilégiée de la bourgeoise allemande aisée. Gunter Sachs et Brigitte Bardot y ont séjourné. C’est là que le ministre des Finances Christian Lindner s’est marié il y a deux ans. La video devenue virale sur le net montrant des jeunes biens propres sur eux faire la fête dans un restaurant chic en hurlant “L’Allemagne aux Allemands, les étrangers dehors” sur la musique du hit de Gigi D’Agostino “L’amour toujours” https://www.youtube.com/watch?v=FlVwS6Hl3vI a choqué. D’un coup, on découvrait que le racisme et sa normalisation ne se réduisaient pas à des contrées reculées de l’ex-RDA où des jeunes déclassés dérivent à l’extrême-droite. On peut être donc influenceur, cadre supérieur, avoir un bon job dans une start up à Hambourg ou Munich, et vider des bouteilles de champagne en communiant dans un racisme ordinaire. Le magazine “Stern” a fait sa une cette semaine sur ce phénomène. Deux des participants auraient été licenciés par leurs employeurs. La justice a entamé des poursuites.

L’AfD exclue du groupe d’extrême-droite au parlement européen. Pour certains dont le RN, le parti allemand sent trop le soufre et remet en cause la stratégie de dédiabolisation. La petite carte des co-présidents de l’AfD restera sans doute sans réponse : “Chère Marine, ci-joint la photo montrant ce que nous avons fait avec cet abruti de Krah (la tête de liste AfD aux Européennes pour qui tous les SS n’étaient pas des criminels). S’il te plait, s’il te plait, continue à travailler avec nous !”

En vrac

-réforme des retraites :

le projet qui tient à coeur aux sociaux-démocrates a suscité des tensions avec les libéraux. Finalement il a passé le cap du conseil des ministres hier. Mais des députés FDP pourraient exiger des amendements durant les débats parlementaires.

Le projet vise à stabiliser le niveau des retraites jusqu’en 2039 à 48% du salaire moyen après 45 années de cotisation.Sans cette réforme, il baisserait à 45%. La réforme remet une précédente disposition en cause mise en place par le gouvernement Schröder il y a vingt ans. La hausse des retraites sera à nouveau couplée celle des salaires. Cela implique des dépenses supplémentaires qui seront compensées par des subventions plus élevées de l’Etat. Les cotisations retraites sur les salaires doivent augmenter (et le coût du travail ce que dénonce les milieux économiques).

”Lindner prêt pour la retraite” le quotidien ironise sur le ministre libéral des Finances (vieilli sur la photo) qui a fini par accepté le plan voulu d’abord par le SPD.

Pour compenser ces dépenses supplémentaires, un fond est créé. Il est alimenté par la puissance publique jusqu’à une hauteur de 200 milliards d’Euros. Les bénéfices qu’il permettra de dégager (dix milliards par an) seront utilisés dans une dizaine d’années pour réduire les coûts de la réforme.

Pour ses détracteurs, la réforme privilégie ceux qui sont déjà en retraite ou le seront dans les prochaines années au détriment des générations futures. Les libéraux auraient préféré un modèle dans lequel les personnes actives aujourd’hui seraient obligées de placer une partie de leurs cotisations retraite en actions. Le SPD a rejeté cette solution.

-le FMI pour un assouplissement du frein à la dette:

Même les grands argentiers du fonds monétaire international estiment que l’Allemagne devrait investir plus. Ils proposent que le frein à la dette puisse permettre à Berlin un déficit budgétaire de 1% du PIB (au lieu de 0,35% aujourd’hui). Une modification qui déboucherait sur quarante milliards d’Euros de dépenses supplémentaires par an.

Pour le ministre libéral des Finances, le frein à la tête est un marqueur idéologique. Christian Lindner rejette toute réforme. Dans le quotidien “Frankfurter Allgemeine”, on pouvait voir cette pub cette semaine à l’occasion du quinzième anniversaire de l’inscription de la mesure dans la constitution. “Supprimer le frein à la dette ? ça n’est pas ok, boomer !”

-hausse sensible du pouvoir d’achat :

Après un recul ces dernières années, notamment en raison de l’inflation, la hausse du pouvoir d’achat réel a été de 3,8% au premier trimestre, un record inédit. Conséquence : le moral des consommateurs reprend du poil de la bête.

-naturalisations en hausse:

Un record a été enregistré l’an passé avec 200 000 naturalisations (+19% par rapport à 2022). Les cinq principaux groupes concernés sont les Syriens, les Turcs, les Irakiens, les Roumains et les Afghans.

Une loi de 2021 permet aux victimes de persécutions sous le IIIème Reich et à leurs descendants d’obtenir la nationalité allemande. Le nombre de dossiers déposés par des Israéliens a sensiblement augmenté ces derniers mois avec 6869 cas entre janvier et avril contre 9129 dossiers pour l’ensemble de l’année 2023.

En attendant l’Euro

L’Allemagne héberge la compétition de football cette année. Comme lors des grandes manifestations sportives, le grand axe Est-Ouest au coeur du parc de Tiergarten à Berlin se transforme pour l’occasion en fan zone. La rue du 17 juin (1953 : soulèvement ouvrier en RDA) ressemble pour quelques semaines à un gigantesque terrain de foot avec de la pelouse synthétique. L’esplanade devant le Reichstag sera également utilisée.

La liberté guidant Angela

La célèbre drag queen Olivia Jones était invitée à la cérémonie marquant la semaine dernière le 75ème anniversaire de la loi fondamentale allemande. L’occasion d’un cliché inattendu avec l’ancienne chancelière.