L'Allemagne sur les rails des 35 heures?
La grève record du syndicat des conducteurs de trains a débouché la semaine dernière sur un accord avec Deutsche Bahn. Il prévoit la réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures sans pertes de salaire tout en restant flexible. Ce compromis fera-t-il école ?
La patience des usagers allemands des chemins de fer a été mise à rude épreuve ces derniers mois. Aux retards innombrables des trains de Deutsche Bahn, devenus un running gag dans les conversations en ville et sur les réseaux sociaux, s’est ajoutée une demie-douzaine de grèves, parfois sur plusieurs jours des conducteurs de train.
Après de très longues et très laborieuses négociations, un accord a été finalement trouvé juste avant Pâques. Ce texte prévoit comme dans d’autres secteurs des hausses de salaires substantielles. Une prime de 2850 Euros sera versée aux conducteurs de trains pour compenser l’inflation. Une augmentation mensuelle de 420 Euros est prévue et sera versée en deux étapes.
Restait la pierre d’achoppement centrale des négociations, à savoir une réduction de la durée hebdomadaire du temps de travail des conducteurs de train de 38 à 35 heures sans baisse de salaire. Une revendication longtemps exclue par Deutsche Bahn en raison des conséquences pratiques pour l’entreprise, notamment à cause du manque de main d’oeuvre en Allemagne.
A l’arrivée, le petit syndicat GdL a obtenu gain de cause. La mesure entrera graduellement en vigueur entre 2026 et 2029. Mais l’organisation a dû accepter un modèle flexible. Les salariés qui souhaiteront profiter de cette mesure devront informer leur entreprise. D’autres pourront décider de conserver l’actuelle durée hebdomadaire de travail de 38 heures voire travailler jusqu’à 40 heures par semaine pour gagner plus (14% supplémentaire dans cette dernière hypothèse).
La fédération du patronat allemand a salué un modèle flexible jugé plus favorable pour les entreprises qu’une baisse globale et rigide de la durée du temps de travail. Au-delà, diverses propositions émises ou non par les syndicats en faveur d’une semaine de quatre jours ou de 32 heures hebdomadaires sont régulièrement débattues mais sans application d’ampleur jusqu’à présent.
Voyager en général n’a pas été simple pour les Allemands ces dernières semaines. Le personnel au sol de la compagnie aérienne Lufthansa a cessé le travail à plusieurs reprises. Début mars, une grève de deux jours avait conduit à l’annulation de 90% des vols de l’entreprise. Juste avant le week-end de Pâques, un accord a été trouvé. Hormis une prime inflation de 3000 Euros par salarié, il prévoit également des hausses de salaires de 12,5% en deux étapes (cette année et en 2025). Le personnel de cabine de Lufthansa, également en grève début mars, n’est lui toujours pas parvenu à un accord salarial avec la direction.
L’Allemagne stagne
Le rapport de printemps des grands instituts de conjoncture a confirmé la semaine dernière ce qu’on savait déjà : l’économie germanique reste atone. Au lieu des 1,3% de croissance encore attendus à l’automne dernier pour cette année, la première économie européenne va stagner en 2024 avec une hausse symbolique du produit intérieur brut de 0,1%. Les prévisions pour 2025 restent en revanche quasi identiques avec une estimation de croissance de 1,4%.
L’économie allemande souffre toujours d’exportations moins importantes que prévues. Et l’industrie a du mal à rebondir. Les entreprises très consommatrices d’énergie sont toujours confontées à des difficultés malgré la baisse des prix de l’électricité. Certaines ont commencé à délocaliser. Les auteurs du rapport critiquent également les dissenssions au sein de la coalition au pouvoir et des mesures parfois erratiques qui suscitent des inquiétudes chez les consommateurs allemands qui préfèrent jouer la sécurité et épargner.
Des centrales au charbon à la retraite
La fin des livraisons de gaz russe après l’invasion de l’Ukraine par Moscou a provoqué un bouleversement radical du modèle énergétique allemand, alors que le pays était dans le passé très dépendant de cette source d’énergie. Il a fallu dans l’urgence trouver du gaz ailleurs, comme en Norvège ou l’importer de destinations lointaines sous forme liquéfiée à des prix bien plus élevés. Le ministre de l’Economie et du Climat, Robert Habeck, a dû aussi faire preuve d’un pragmatisme douloureux pour un écologiste en relançant certaines centrales au charbon. Elles ont mis la clé sous la porte ce week-end.
Du gaz liquéfié maudit par les verts, un sursis l’an dernier d’un trimestre pour les trois dernières centrales nucléaires et un recours supplémentaire au charbon : le sevrage brutal de l’Allemagne qui a longtemps carburé au gaz russe n’a pas été simple pour les Verts allemands. Il y a un an, ils pouvaient célébrer une victoire historique avec la fin définitive du nucléaire. Un an plus tard, ce sont les sept centrales au charbon utilisées pour faire des économies de gaz qui mettent la clé sous la porte. Elles produisaient 3 Gigawatts par an. Cinq avaient été réactivées ; la fermeture de deux autres repoussée. Des salariés à la retraite avaient été rappelés ; d’autres avaient repoussé leur départ.
L’agence fédérale des réseaux a affirmé que ces fermetures n’auront pas d’incidence sur la sécurité de l’approvisionnement en Allemagne. Le gouvernement devra d’ici fin juin livrer un bilan des émissions de CO2 causées par l’utilisation de ces centrales et proposer des mesures pour les compenser.
La production de l’énergie renouvelable a fait des progrès sensibles avec 56% de l’électricité produite l’an passé. La part du charbon est passée, elle, d’un tiers à un quart entre 2022 et 2023. Un succès qui s’explique également par les émissions moindres d’industries lourdes en difficulté.
La génération Golf fête ses 50 ans
En l’an 2000, la célèbre voiture de Volkswagen lancée fin mars 1974 vient de fêter ses 25 ans. Le journaliste Florian Illies sort un livre à succès baptisé “Génération Golf”. Avec 37 millions d’exemplaires en cinq décennies, ce modèle populaire qui succédait à la Coccinelle, est le plus vendu de la firme automobile de Wolfsburg. La Golf -la huitième génération- est toujours construite sur place mais aussi sur d’autres sites allemands et étrangers. Une exposition rend hommage au siège du groupe à cette success story.
Ukraine : des historiens proches du SPD attaquent leur parti
Il n’y a sans doute pas d’autre pays occidental où le soutien à l’Ukraine suscite autant de débats passionnés. Depuis l’invasion russe, la classe politique allemande se querelle à ce sujet, principalement à propos des armes à livrer à Kiev. Des discussions qui divisent la coalition du chancelier Scholz. Les débats télévisés sur ces questions sont innombrables.
Le chef du gouvernement mais aussi son parti social-démocrate sont régulièrement accusés d’être trop prudents. Dernière polémique en date, une lettre envoyée par des historiens de renom, membres du SPD, à la direction de leur parti.
Ces intellectuels dont un des papes de l’histoire contemporaine allemande Heinrich August Winkler critiquent le « déni de réalité » dont ferait preuve le chancelier à l’égard de la menace russe. Les cinq historiens observent « avec une inquiétude croissante la position du SPD sur la guerre d’agression russe contre l’Ukraine ». Ils reprochent au chancelier et à son parti de tracer des lignes rouges, non pas pour Moscou mais pour l’Allemagne ce qui affaiblit pour eux la politique de sécurité de Berlin et profite à la Russie. Dernier exemple en date, le refus d’Olaf Scholz de livrer des missiles Taurus à l’Ukraine. Les auteurs de la lettre dénoncent également un positionnement mal coordonné avec les alliés de l’Allemagne. La déclaration du président du groupe parlementaire SPD Rolf Mützenich sur un gel du conflit en Ukraine signifie pour les historiens une issue favorable à l’agresseur. Au-délà, les scientifiques reprochent au SPD de ne pas avoir suffisamment analysé avec critique le rapport de leur parti durant les dernières décennies avec Moscou, un rapport jugé trop compréhensif. On pense entre autres à la dépendance à l’égard du gaz russe.
Il y a eu jusqu’à présent peu de réactions officielles depuis que cette lettre a été rendue publique mercredi. Olaf Scholz dans un message vidéo hier a réitéré son soutien résolu à l’Ukraine en rejetant des propositions pour une paix déséquilibrée. Le chancelier se serait sans doute passé du soutien de son prédécesseur et camarade de parti Gerhard Schröder qui fête ses 80 ans dimanche prochain et ne regrette pas ses liens étroits avec Vladimir Poutine.
L’annonce cette semaine que le président social-démocrate de la commission des affaires étrangères, indéfectible soutien de l’Ukraine va quitter la politique illustrait les divisions au SPD où Michael Roth était jugé trop « va t’en guerre » par d’aucuns. Le magazine « Der Spiegel » affirme qu’une rencontre entre la direction du SPD et les cinq historiens auteur de la lettre critique doit avoir lieu fin avril.
La position d’Olaf Scholz fait écho à une opinion publique divisée. Début mars, 45% des Allemands soutenaient la politique du chancelier sur ce dossier. Ils étaient autant à la désapprouver. Et six Allemands sur dix rejettent l’exportation de missiles de longue portée Taurus vers l’Ukraine. Au plan intérieur, le SPD pourrait être tenté de se profiler en septembre comme le parti de la paix répondant par là à l’attente d’une partie des électeurs, plus nombreux à l’Est où des régionales ont lieu en septembre. Les scientifiques dénoncent un positionnement électoraliste qui pourrait rapporter des points au SPD mais ne serait pas à la hauteurs des enjeux géopolitiques et historiques.
Bons baisers de Russie
Attention au charme slave ! Le ministère des Affaires étrangères allemand déconseille à ses ressortissants amateurs d’applications comme Tinder de se laisser tenter par une première rencontre avec une sémillante Russe dans son pays. Le vol retour n’est pas garanti.
Tests de naturalisation : nouvelles questions sur l’antisémitisme
Les règles pour l’obtention de la nationalité allemande viennent d’être assouplies. Cinq ans de résidence (voire trois dans certains cas) suffiront désormais pour se faire naturaliser. En même temps, la guerre à Gaza a conduit à une recrudescence des actes antisémites. Le ministère de l’Intérieur veut élargir le catalogue des questions susceptibles d’être posées aux impétrants qui souhaitent devenir allemands à des questions sur la shoah, le judaïsme ou l’Etat hébreu. “L’Allemagne a une responsabilité particulière envers les juifs et l’Etat d’Israël après l’holocauste, crime contre l’humanité qu’elle a commis” a affirmé il y a quelques jours la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser. D’après le magazine “Der Spiegel”, des questions comme “Comment s’appelle le lieu de culte des juifs ? Quand l’Etat d’Israël a-t’il été fondé? Pourquoi l’Allemagne a une responsabilité particulière vis-à-vis d’Israël ?” pourraient figurer désormais dans le catlague de questions pour les test de naturalisation à côté d’autres sur la fondation de la RFA, la date de la réunification ou le miracle économique d’après-guerre. On peut bien sûr se demander en quoi ces questions peuvent vraiment permettre de filtrer des personnes antisémites, comme le serment exigé en Saxe-Anhalt des candidats à la naturalisation par lequel ils doivent accepter le droit à l’existence d’Israël.
Un parti Erdogan pour les Européennes en Allemagne
Les élections européennes auront lieu dans un peu plus de deux mois. En Allemagne, on sait depuis vendredi que 35 partis et organisations seront en lice. Hormis les mouvements établis, d’autres plus modestes présenteront des candidats. Certains sont nouveaux comme un parti qui s’adresse à la communauté d’origine turque très importante en Allemagne.
DAVA, comprenez « Alliance démocratique pour la diversité et le renouveau » : c’est le nom de cette organisation lancée au début de l’année. « Da’wa » est également un terme qui pour l’islam est synonyme de mission auprès des non musulmans.
Les responsables du nouveau mouvement sont proches de l’AKP du président turc Erdogan qui à la dernière présidentielle a obtenu les deux tiers des suffrages exprimés parmi ses concitoyens en Allemagne. Le lancement de Dava a été critiqué par de nombreux responsables politiques. Le programme du mouvement insiste sur la défense de l’islam qui serait attaqué, sur le renforcement des valeurs traditionnelles et pour un Etat social fort. Dava exploite également la colère de nombreux musulmans en raison de la situation à Gaza. La communauté d’origine turque ou musulmane en Allemagne compte plusieurs millions de personnes. Le mode de scrutin pour les Européennes où la barre des 5% pour obtenir des sièges pour les législatives ne vaut pas peut permettre à de petits partis de décrocher un ou deux sièges de députés au parlement européen. Les experts doutent en revanche de l’enracinement d’un tel mouvement sur la scène politique allemande. D’autres organisations au profil similaire n’ont jamais pu dans le passé percer et sont restées des groupuscules sans poids politique.
Cannabis : libéralisation et beaucoup de questions
Ca n’est pas un poisson d’avril. Le cannabis récréatif est légal depuis aujourd'hui en Allemagne. Une réforme promue par l'actuel gouvernement entre en vigueur malgré de nombreuses critiques de l'opposition, des médecins inquiets pour les consommateurs les plus jeunes et des juristes. Les règles sont nombreuses et tout n'est pas encore clair. Les contrôles risquent d'être impossibles ou très compliqués. Malgré tout, des partisans de la légalisation ont manifesté dès hier soir au pied de la porte de Brandebourg, joint à la main, pour saluer une réforme qu'ils attendaient depuis longtemps.
Si le cannabis récréatif est légalisé, pour l’instant il n’y a que les dealers qui peuvent en fournir. Car les clubs où l’on pourra s’achalander après y avoir adhéré ne fonctionneront qu’à compter du 1er juillet. Depuis quelques heures, on peut en revanche légalement commander en ligne des graines pour faire pousser jusqu’à trois plants par personne sur son balcon mais cela demande un peu de patience.
Depuis ce premier avril, on peut légalement se promener dans la rue avec 25 grammes de cannabis dans sa poche. Et on peut en avoir 50 grammes à la maison. Mais attention, pas de consommation à moins de 100 mètres des écoles et jardins d’enfants et dans les zones piétonnes. La police a déjà bricolé des cartes spéciales. Elle aura donc besoin de petites balances de précision pour savoir si la quantité autorisée est respectée. Et pour les 18-21 ans qui n’ont droit qu’à un cannabis light, la maréchaussée devra vérifier en théorie la constitution chimique du produit. Et les tests pour les conducteurs ne sont pas disponibles. Les juges eux vont devoir rouvrir 200 000 dossiers en raison de l’amnistie prévue par la nouvelle loi ce qui les emballe modérément.
Euro 2024
Autre polémique autour de la photo publiée sur Instagram par Antonio Rüdiger, joueur de football membre de la Mannschaft. On le voit durant le ramadan effectuer sa prière, un doigt levé. L’index pointé vers le haut renvoie à l’unicité de dieu, qui est le dogme le plus important de l’islam, un geste d’affirmation de la foi, pas un geste politisé comme il l’est devenu avec des groupes comme l’Etat islamique. Mais d’aucuns, à commencer par l’ancien rédacteur en chef de “Bild Zeitung” ont immédiatement interprété le geste du joueur différemment titrant sur “un islamiste au sein de la Mannschaft”.
Antonio Rüdiger a réagi en rejettant cette diffamation et expliqué la signification de ce geste précisant : “La violence et le terrorisme sont totalement inacceptables. Je suis pour la paix et la tolérance, des valeurs que toute ma famille défend. Je reconnais que ma publication a pu polariser et être mal interprétée”. Une plainte contre l’ex-patron de “Bild” Julian Reichelt a été déposée par Antonio Rüdiger et la fédération allemande de football.
Quel hymne pour l’Euro ?
L’UEFA a fait son choix. L’hymne de la compétition sera interprété en anglais par l’Allemande Leony en commun avec le groupe américain OneRepublic. On ne le connait pas encore. Mais les fans de la Mannschaft réagissent négativement avec des commentaires chauvinistes. Ils veulent un titre dans la langue de Goethe et plébisicitent “Major Tom” de Peter Schilling : https://www.youtube.com/watch?v=Q_iW4AgFxsI
Si vous préférez la version anglaise : https://www.youtube.com/watch?v=wO0A0XcWy88
Ou celle en français de Plastic Bertrand : https://www.youtube.com/watch?v=TDnjlAHoBIk
Record pour la gastronomie allemande
