L'Allemagne complice d'un génocide ?
C'est ce qu'affirme le Nicaragua qui a lancé une procédure inédite devant la cour internationale de justice de La Haye. Managua estime plausible que des armements livrés par Berlin à Israël soient utilisés pour "des actes de génocide" à Gaza. Lors des audiences en début de semaine, l'Allemagne a rejeté fermement ces accusations.
Egalement au menu de cette nouvelle édition : la diplomatie pachyderme du Botswana, la criminalité en hausse et un débat sur la délinquance des étrangers, l’AfD est-elle financée par Moscou, Scholz sur TikTok, l’avortement va t’il devenir légal en Allemagne, les maillots de la Mannschaft et la SS
En janvier, c’est l’Afrique du Sud qui avait accusé Israël de commettre un génocide contre les Palestiniens à Gaza et avait saisi la cour de La Haye. Cette fois, c’est le Nicaragua qui s’attaque à un pays soutien de l’Etat hébreu. Les Etats-Unis ne reconnaissant pas la compétence de la CIJ, Managua a lancé une procédure contre Berlin. L’Allemagne est le deuxième fournisseur de matériels militaires à Israël, derrière les Etats-Unis avec près de la moitié des armes conventionnelles importées par l’Etat hébreu l’an passé. La valeur totale de ces livraisons s’élevaient en 2023 à 326 millions d’Euros soit dix fois plus qu’en 2022. Le Nicaragua demande notamment aux juges de la CIJ d’ordonner à Berlin de stopper ses exportations d’armes au profit d’Israël. Managua a par ailleurs annoncé cette semaine la fermeture de son ambassade en Allemagne.
Mardi, c’était au tour de Berlin de se défendre en rejetant les accusations de Managua estimant qu’elles n’avaient aucun fondement “en fait ou en droit”. La diplomate du ministère allemand des Affaires étrangères a rappelé que la sécurité d’Israël était au coeur de la politique de son pays en raison de la responsabilité historique de Berlin après la shoah. L’Allemagne a souligné que ce soutien était conforme au droit international, que toute exportation d’armes était soumise à des contrôles très stricts et que ces exportations avaient sensiblement baissé avec un million d’Euros le mois dernier contre 200 en octobre. 98% des matériels livrés depuis cette date n’étaient pas, d’après Berlin, des armes de guerre. L’Allemagne qui rejette l’existence d’un génocide que perpétuerait Israël à Gaza a enfin souligné l’importance de son soutien aux populations palestiniennes. Un jugement de la CIJ est attendu à la fin du mois.
Reste que l’Allemagne par son soutien traditionnel à Israël est isolée. Berlin se livre à un grand écart entre sa solidarité historique à l’égard de l’Etat hébreu et sa volonté tout aussi traditionnelle de prendre de par le monde la défense des droits de l’homme et du droit international, des principes qui tiennent à coeur à la ministre verte des Affaires étrangères Annabella Baerbock. Dans le monde arabe, l’Allemagne se voit reprocher de faire deux poids deux mesures par exemple entre les victiimes des guerres en Ukraine ou en Syrie et les Palestiniens de Gaza. L’interdiction de manifestations pro-palestiniennes en Allemagne a été dénoncée dans le monde arabe comme les critiques jugées exagérées lors de prises de position pro-palestiniennes dans le monde culturel allemand.
Le groupe de hip-hop Antilopen Gang vient de sortir une chanson dans laquelle le trio s’en prend à l’antisémitisme et interpelle ses fans, des jeunes de gauche souvent, qui depuis six mois ont manqué d’empathie pour les victimes juives du Hamas et pour la communauté juive en Allemagne. https://www.youtube.com/watch?v=-QbQWtYe194
Le texte évoque ces juifs en Allemagne qui ont peur et dissimulent leur étoile de David quand ils sortent dans la rue. La troisième strophe évoque un concert du groupe avec les antifas dans un lieu alternatif connu de Hambourg avec des fans en délire en septembre dernier qui un mois après étaient silencieux. Une référence au manque de solidarité des milieux culturels et de gauche avec la communauté juive après le 7 octobre. La chanson se termine par ses paroles : “Je voulais aller à une manif antifa contre l’antisémitisme mais il n’y en avait pas pas à Berlin”.
“Un voyage en Chine comme au temps de Merkel”
Le quotidien “Frankfurter Allgemeine” au sujet de la visite de trois jours du chancelier qui s’envole samedi pour une mission délicate alors que Washington, Bruxelles, Paris ou les écologistes au sein de sa coalition demandent à Olaf Scholz de faire preuve de plus de fermeté à l’égard de Pékin. Les pratiques commerciales jugées déloyales de la Chine sont dénoncées; le soutien de ce pays à Moscou dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine suscite des critiques.
Scholz qui se rend pour la deuxième fois en Chine depuis son entrée en fonction a jusqu’à présent plutôt été sur une ligne soft. Il avait autorisé contre des voix dissonantes en Allemagne la société Cosco de prendre pied sur le port de Hambourg. L’ouverture lundi d’un compte TikTok du chancelier a été perçu à Pékin comme l’expression du pragmatisme de Scholz.
Olaf Scholz part en Chine samedi avec une importante délégation de patrons d’entreprises allemandes dont ceux de Siemens, Bayer, Mercedes, BMW ou ThyssenKrupp. Trois ministres accompagnent le chancelier. Le chef du gouvernement devrait plaider la cause des milieux économiques germaniques qui se plaignent depuis longtemps de “désavantages concurrentiels” sur ce marché. Mais le “derisking”, la réduction de la dépendance à l’égard de la Chine, reste pour l’instant lettre morte parmi les milieux économiques allemands. Les investissements directs y augmentent. Les difficultés actuelles du made in Germany expliquent en partie cette évolution, même si le marché chinois n’est plus l’eldorado qu’il a pu être pour les entreprises allemandes. Les concurrents de ce pays leur font de l’ombre comme on le voit dans le secteur automobile.
"La nouvelle diplomatie Dumbo"Le Botswana veut envoyer 20 000 éléphants en Allemagne
Il ne s’agit pas d’un poisson d’avril ! Le président du pays africain n’a pas apprécié les critiques de Berlin contre la chasse aux pachydermes et les exportations de trophées. “Les Allemands n’ont qu’à vivre avec ces animaux en surnombre chez nous s’ils nous interdisent de les tuer”, a déclaré en substance Mokgweetsi Masisi passablement remonté. Le petit pays abrite la plus importante population d’éléphants au monde et la cohabitation n’est pas toujours facile en raison d’attaques contre les habitants, les villages et les cultures. D’où la nécessité d’après ce pays de réduire leur nombre en permettant à nouveau leur abattage. Mais la ministre verte de l’Environnement à Berlin dénonce les trophées de chasse que s’offrent des clients occidentaux fortunés.
Criminalité en hausse : débat sur les délinquants étrangers
Depuis des semaines, le quotidien “Bild Zeitung” fait ses gros titres sur la criminalité en général et sur celle des étrangers en particulier.
La ministre de l’Intérieur a présenté mardi les statistiques de la criminalité pour 2023 et elles sont mauvaises. Près de six millions de crimes et délits ont été recensés soit une hausse moyenne de 5,5% l’an passé. Un “rattrapage” après les restrictions liées à la pandémie de Covid a certes eu lieu. Mais l’augmentation par rapport à 2019 est de plus de 9%. Les agressions physiques et les cambriolages qui attisent les craintes de la population ont augmenté; les délits commis par les mineurs sont en hausse sensible (+43% par rapport à 2019).
Mais c’est surtout la criminalité des étrangers qui suscite un débat. Quatre crimes et délits sur dix ont été commis en 2023 par des étrangers. La hausse d’une année sur l’autre est de près de 18%. Les experts s’efforcent d’expliquer voire de minimiser ces chiffres : certains délits comme le franchissement illégal des frontières sont évidemment spécifiques à cette catégorie; l’immigration importante des dernières années constitue également une explication comme des phénomènes sociaux en raison de la situation précaire de nombreux migrants. Il n’empêche, le débat est lancé.
La ministre de l’Intérieur, la sociale-démocrate Nancy Faeser, veut pouvoir expulser plus massivement les étrangers auteurs d’infractions. Le parti d’extrême-droite AfD se frotte les mains et depuis quelques jours a déclenché un feu d’artifices sur les réseaux sociaux pour exploiter ces derniers chiffres qui ne font que confirmer pour lui le danger lié à l’immigration qu’il dénonce depuis toujours. En cette année électorale, cela est pain bénit pour l’AfD et contraint les autres partis à réagir.
L’AfD sous pression
Le parti d’extrême-droite est monté au créneau ces derniers jours pour exploiter les statistiques sur la criminalité des étrangers. Mais à deux mois des élections europénnes, une affaire de financement par des fonds russes de responsables politiques d'extrême-droite via une plateforme d'information basé en république tchèque embarasse l'Alternative pour l'Allemagne dont deux responsables sont en cause. Il s’agit des numéros un et deux sur la liste pour les Européennes du 9 juin.
Per Bystron a dénoncé une campagne de diffamation et juré qu’il n’avait jamais reçu d’argent russe. Des enregistrements audios entre les mains des services tchèques confirmeraient un tel versement mais ces preuves, si elles existent, n’ont pas été présentées. Per Bystron et Maximilian Krah ont donné des interviews dans le passé à « Voice of Europe », la plateforme d’information basée à Prague et financée par un oligarque ukrainien pro-russe. Les deux hommes sont connus pour leur proximité avec Moscou que certains au sein même de l’AfD jugent trop “ardente”. Le Bundestag a débattu de ces questions ce jeudi lors d’un débat très animé.
Le procès intenté par le parti d’extrême-droite contre les renseignements intérieurs a repris ce jeudi à Münster. L’AfD rejette la décision de l’institution soupçonnant le mouvement d’extrémisme. Si le tribunal administratif devait confirmer le rapport de l’office de protection de la constitution, cela pourrait faire rebondir le débat sur une procédure pour interdire l’Alternative pour l’Allemagne. Le parti s’efforce de gagner du temps avec des astuces de procédure pour éviter un jugement négatif pour lui avant les élections européennes.
Pour plus de détails sur l’AfD, je vous renvoie à l’entretien que j’ai accordé avec Claire Demesmay au “Grand Continent” en ligne depuis quelques jours : https://legrandcontinent.eu/fr/2024/04/06/jusquou-ira-lextreme-droite-allemande-conversation-avec-claire-demesmay-et-pascal-thibaut/
Elections européennes
Un sondage tout frais confirme un probable succès de l’AfD lors du scrutin du mois de juin. Le parti qui avait obtenu 11% des voix en 2019 est crédité dans ce sondage de 19% des intentions de vote. Ce sont les chrétiens-démocrates (CDU & CSU) qui sans surprise arriveront en tête avec aujourd’hui un score similaire à celui d’il y a cinq ans. Le SPD qui avait obtenu en 2019 un résultat historiquement faible peut espérer un léger mieux bien que les sociaux-démocrates soient dans les sondages loin de leur score des législatives de 2021. Les grands perdants de cette élection à venir seront les écologistes qui avaient atteint il y a cinq ans un résultat historique avec 20% des voix.
Quelles conséquences auront les inquiétudes actuelles de nombreux Allemands pour la participation ? En 2019, elle avait atteint un niveau inédit depuis 25 ans avec 61% (contre 48% en 2014). Pour la première fois, les 16-18 ans pourront voter pour ce scrutin en Allemagne. Le groupe berlinois Die Ärzte vient de sortir une chanson intitulée “Demokratie” incitant les citoyens à voter au lieu de se laisser tenter par l’abstention ou l’extrémisme : https://www.youtube.com/watch?v=n9kQLU3Q8A
Un candidat berlinois veut s’adresser à la génération Z qui déjà à plusieurs reprises a demandé à Olaf Scholz de prendre des mesures pour faire baisser le prix du Döner, devenu, un pilier de la restauration rapide allemande. Le jeune social-démocrate Freddy Augustin propose dimanche grâce à une collaboration avec un restaurant du quartier de Wedding 100 Döners à trois Euros. Le candidat veut profiter de cette action promotionnelle pour entrer en contact avec de jeunes électeurs qui sont plus nombreux à bouder les élections.
L’avortement légalisé en Allemagne ?
Depuis plus de 150 ans, le code pénal allemand condamne l’avortement. Les peines peuvent aller jusqu’à trois ans de prison et dans certains cas graves jusqu’à cinq ans. Depuis un compromis trouvé dans les années 90, une IVG est possible si une femme se rend dans un centre de conseil où elle expose les raisons qui l’incite à avorter. Elle obtient alors une attestation qui lui permet de pratiquer une IVG durant les trois premiers mois de la grossesse. Les coûts sont à la charge des femmes concernées sauf pour celles victimes d’un viol ou dont la vie est en danger.
En 2022, la coalition au pouvoir a par ailleurs supprimé une règle qui interdisait aux gynécologues de préciser sur leur site internet qu’ils pratiquaient des avortements.
Environ 100 000 IVG sont recensées chaque année en Allemagne, un chiffre relativement faible par rapport à d’autres pays européens.
Une commission mise en place par le gouvernement estime que la condamnation pénale toujours valable en principe n’est pas compatible avec les normes européennes et internationales. Les experts plaident donc pour une légalisation pure et simple de l’avortement.
Ces propositions qui seront présentées la semaine prochaine suscitent des réactions réservées au sein de la coalition au pouvoir où l’on n’a guère envie de lancer une réforme synonyme de nombreuses controverses. Les sociaux-démocrates et les Verts sont en principe pour une légalisation ; les libéraux sont sceptiques. Les chrétiens-démocrates rejettent totalement une telle réforme et menacent de saisir la cour constitutionnelle. L’Eglise catholique a également exprimé son opposition de principe.
Jamais sans mon père
La cour constitutionnelle a une fois de plus contraint le législateur à revoir sa copie et à réformer une législation jugée désormais obsolète. Karlsruhe renforce les droits des pères biologiques d’enfants nés hors mariage. Jusqu’en 1969, ils n’étaient même pas considérés comme parent de leur enfant dès lors que la mère avait décidé de refaire sa vie avec un autre homme. Depuis, ils restaient souvent des pères de seconde catégorie. Si le nouveau compagnon de la mère reconnaissait la paternité de l’enfant, les droits du géniteur étaient réduits à la portion congrue. La cour constitutionnelle a estimé que la situation juridique actuelle était contraire à la loi fondamentale. La décision devrait permettre à l’avenir à de nombreux pères séparés de leurs enfants ou qu’ils ne peuvent voir que très épisodiquement de mener une vie familiale digne de ce nom.
Prévisions démographiques
La fondation Bertelsmann a planché sur les perspectives démographiques de l’Allemagne d’ici 2040 et table sur une très modeste augmentation de la population actuelle avec un plus de 0,6%. Actuellement, le pays compte 84,6 millions d’habitants.
L’étude montre des évolutions régionales très disparates. La partie Est du pays devrait voir sa population diminuer. En Saxe-Anhalt dans l’ex-RDA le recul serait de 12,3% d’ici 2040. Certaines villes dans cette partie du pays s’en tireraient mieux comme Leipzig (+15%) ou Potsdam (+11%). La capitale Berlin devrait voir sa population augmenter de près de 6% pour atteindre 3,9 millions d’habitants d’ici 2040.
Les maillots de foot et la SS
L'Allemagne est encore rattrapée par son passé. Les symboles nazis du IIIème Reich sont interdits. Et toute ressemblance même involontaire débouche inévitablement sur une polémique. Dernier exemple en date, un maillot de l'équipe nationale de foot. Le numéro 44 que les particuliers pouvaient commander en ligne ressemblait étrangement au sigle de l'organisation SS nazie.
Les maillots numérotés 1 à 26 des joueurs de la Mannschaft avaient été envoyés à l’UEFA qui organise l’Euro 2024 dans quelques semaines en Allemagne. L’organisation avait donné son feu vert. Il faut dire que le numéro 44 est peu utilisé sur les terrains de foot. Mais pour un cadeau d’anniversaire par exemple, un maillot personnalisé peut être commandé en ligne sur le site d’Adidas. Or la police retenue pour ce nouveau modèle provoquait pour le numéro 44 une ressemblance dérangeante avec les runes germaniques utilisées par le régime nazi pour le logo de la SS, les fameux et terribles escadrons de protection créés à l’origine comme une garde rapprochée de Hitler. Ces symboles sont interdits en Allemagne.
Après une polémique sur les réseaux sociaux, Adidas a tiré le signal d’alarme et décidé de modifier le flocage des maillots de la sélection nationale de football. Les joueurs de la Mannschaft portant les numéros quatre et quatorze obtiendront un nouveau maillot. L’option de personnalisation pour les commandes en ligne des particuliers a été suspendue. Les maillots 44 déjà commandés ne seront pas livrés en l’état.
