Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
25 juin · 5 mn à lire
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La France vote, l'Allemagne s'inquiète

La dissolution de l'Assemblée Nationale et les législatives anticipées suscitent surprise, perplexité et inquiétudes en Allemagne. L'avenir de la France et la fiabilité du partenaire numéro un sont en jeu et au-delà la stabilité de l'Europe dans une période cruciale pour le continent.

Il y a eu peu de moments depuis que je vis en Allemagne où une actualité politique en France a suscité l’émoi et les interrogations du plus grand nombre, au-delà de la bulle politico-médiatique. Depuis l’annonce de la dissolution, chaque rencontre avec des Allemands lambda tourne autour d’un seul sujet : pourquoi cette décision ? L’extrême-droite va t’elle prendre le pouvoir? J’ai vécu une telle émotion en 1995 lorsque Chirac, fraîchement réélu, a décidé de reprendre les essais nucléaires. Il valait mieux à l’époque pour un Français vivant en Allemagne raser les murs. En 2002, le choc a été massif lorsque Jean-Marie Le Pen s’est qualifié pour le second tour de la présidentielle. Et puis en 2017, paradoxalement plus qu’en 2022, impossible de manger tranquillement sa salade de pâtes ou sa saucisse dans les soirées privées sans être interpellé par des Allemands tremblant à l’idée que Marine Le Pen puisse prendre le pouvoir.

caricature parue dans le magazine "Der Spiegel"caricature parue dans le magazine "Der Spiegel"

Une telle situatiion est à nouveau à l’ordre du jour. Dans les médias, les réactions sont des plus négatives.

« Kamikaze », « Pyromane », « Quelle mouche l’a piqué ? » : la presse allemande n’est pas tendre pour évoquer la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale. Finie la Macronmania qui régnait en Allemagne durant le premier quinquennat et qui avait été égratignée depuis deux ans. Les responsables politiques évitent de s’immiscer trop avant dans les affaires intérieures françaises. Dimanche, Olaf Scholz interviewé à la télévision a exprimé ses inquiétudes et a espéré que “d’autres partis que le RN l’emporteront”. Le ministère des Affaires étrangères a organisé il y a dix jours une rencontre avec des spécialistes de la France pour tenter d’évaluer quelles seraient les conséquences d’une victoire du RN dans deux semaines.

"Qui est en finale ?" "Je parie sur la France contre la France""Qui est en finale ?" "Je parie sur la France contre la France"

L’Allemagne s’inquiète des retombées pour la relation bilatérale même si le président de la république garde la main en la matière. Au-delà, la coopération franco-allemande en Europe serait fragilisée. Berlin craint par ailleurs que le soutien à l’Ukraine ne soit partiellement remis en cause si Jordan Bardella était aux affaires.

Autre dossier qui suscite des inquiétudes ici, les conséquences économiques et financières pour l’Europe des élections françaises. Les propositions du RN et du nouveau front populaire sont perçues de façon critiques dans la plupart des médias où l’on s’inquiète de propositions très généreuses qui aggraveraient le déficit français et pourraient déstabiliser la zone Euro.

"Déficit : carton rouge pour la France" titrait ce week-end le quotidien conservateur "Die Welt""Déficit : carton rouge pour la France" titrait ce week-end le quotidien conservateur "Die Welt"

Deux personnes en marge du personnel politique français suscitent particulièrement l’attention des médias allemands, à savoir les époux Klarsfeld. Leur annonce de voter RN au deuxième tour si un candidat du parti d’extrême-droite était opposé à un adversaire du front de gauche provoque l’incompréhension en Allemagne. Dans un pays marqué par le nazisme et où le rejet de l’extrême-droite par le reste de la classe politique reste entier, la prise de position des “chasseurs de nazis” interrogent. Beate Klarsfeld est une icône de la gauche allemande après la gifle qu’elle avait administrée en 1968 au chancelier CDU de l’époque Kiesinger lui reprochant son passé nazi. Aujourd’hui, cette même gauche en perd son latin…

"Klarsfeld gifle les antifaschistes" titrait ce lundi le quotidien de gauche berlinois"Klarsfeld gifle les antifaschistes" titrait ce lundi le quotidien de gauche berlinois

Ces législatives anticipées signifient également que les Français de l’étranger sont appelés, comme leurs concitoyens aux urnes. Depuis 2012, le monde a été divisé en 11 circonscriptions géantes qui désignent autant de députés à l’Assemblée Nationale. La septième circonscription des Français de l’étranger compte 16 pays dont l’Allemagne (ce pays concentre 78% des 130 000 électeurs). La semaine dernière, le club de RFI Berlin a organisé un débat en ligne avec six des neuf candidats en lice. Vous pouvez le retrouver sur le net: https://www.youtube.com/watch?v=GJOZcxfecIg

Migration et violences : un cocktail sulfureux

La mort d’un policier à Mannheim lors de l’attaque au couteau d’un jeune Afghan soupçonné d’islamisme comme d’autres incidents relancent les débats sur un durcissement de la politique migratoire. Des débats qui s’expliquent également par l’instrumentalisation de ces questions par l’AfD. Le parti d’extrême-droite a augmenté son score aux Européennes et domine la scène politique à l’Est avant trois élections des plus sensibles à la rentrée dans trois régions de l’ex-RDA. Les autres partis durcissent leurs positions.

Un intense débat s’est développé sur l'expulsion de criminels étrangers, notamment Afghans, malgré l'absence de relations diplomatiques entre Berlin et Kaboul et bien que de telles expulsions soient exclues depuis le changement de régime en Afghanistan. L’Allemagne négocie avec des pays voisins qui pourraient accueillir ces délinquants avant de les transférer dans leurs pays d’origine.

Dans ce contexte, un autre débat s'est ouvert : celui d'une délocalisation des procédures de demandes d'asile dans un pays tiers, à l'image du projet britannique au Rwanda ou du « modèle italien » en Albanie. Le ministère de l'Intérieur a consulté une trentaine d'experts pour étudier la faisabilité de telles procédures, qui se sont déclarés en grande majorité très sceptiques. Pourtant, la pression politique exercée par plusieurs régions a conduit le gouvernement fédéral la semaine dernière à accepter d’étudier cette option.

Les Ukrainiens doivent travailler

L’Allemagne est avec la Pologne le pays qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens. Ils ont droit depuis deux ans à l’aide sociale (“Bürgergeld”) plus généreuse que celle dont bénéficient les demandeurs d’asile. Mais des débats se font jour sur la pertinence de ce soutien. Dimanche encore, une interview d’un responsable de la CSU bavaroise a relancé le débat. « Travaillez en Allemagne ou bien rentrer en Ukraine dans la partie Ouest du pays qui est plus sûre » : pour Alexander Dobrindt, le président du groupe de la CSU bavaroise au Bundestag, les réfugiés ukrainiens doivent choisir. Les chrétiens-démocrates comme les libéraux alliés du chancelier Scholz critiquent de plus en plus ouvertement le fait que ces personnes reçoivent l’aide sociale de 563 Euros par mois pour un adulte ce à quoi s’ajoute la prise en charge du loyer. Pour ces voix critiques ce soutien dissuaderait les réfugiés de travailler. Les statistiques montrent qu’ils sont beaucoup moins nombreux sur le marché du travail en Allemagne qu’en Pologne ou dans les pays baltes. Les intéressés répliquent que la bureaucratie tatillonne et les problèmes de reconnaissance des diplômes en Allemagne expliquent cette différence.

Dobrindt CSU : "Bonjour M. Zelensky, bien sûr, l'Ukraine défend nos valeurs mais la CSU vous prie de reprendre vos réfugiés au chômage qui touchent l'aide sociale chez nous"Dobrindt CSU : "Bonjour M. Zelensky, bien sûr, l'Ukraine défend nos valeurs mais la CSU vous prie de reprendre vos réfugiés au chômage qui touchent l'aide sociale chez nous"

Les sociaux-démocrates refusent une remise en cause des dispositions actuelles. « Monsieur Dobrindt veut renvoyer des femmes et des enfants qui ont peut-être perdu leurs maris et leurs pères au front. La CSU devrait supprimer le mot chrétien de son nom » a répondu un responsable du SPD.

Au-delà du cas des réfugiés ukrainiens, l’aide sociale suscite un vif débat en Allemagne. En effet, ce projet phare du SPD avec des prestations revues sensiblement à la hausse provoquent des critiques véhémentes à droite où l’on estime que ce dispositif est trop généreux et ne pousse pas les bénéficiaires à travailler, l’écart entre ces prestations et de petits salaires étant trop faible. Les statistiques ne confirment pas cette vision des choses. Mais la gauche est sur la défensive, une majorité de la population partageant ces critiques contre une aide jugée trop généreuse.  

Vie politique

-la coalition et l’impasse budgétaire

Promis juré, sociaux-démocrates, verts et libéraux veulent trouver un compromis sur l’insoluble bouclage du budget 2025 d’ici le 3 juillet. On murmure désormais que cette date pourrait être repoussée… Au moins 25 milliards d’économies sont à faire et les ministres font de la résistance. Les appels de leur collègue libéral des Finances Christian Lindner restent infructueux. Pour son parti, le FDP, le respect du frein à la dette est une vache sacrée qui ne tolère aucune remise en cause. Les libéraux estiment que l’Allemagne vit au dessus de ses moyens et qu’on pourrait mettre en veilleuse pour un temps les mesures sociales toujours plus chères. Ou réduire la voilure comme pour l’aide sociale. Pour les sociaux-démocrates, il s’agit d’une attaque frontale contre une promesse centrale de leur dernière campagne électorale. Bref, un remake de “High noon” se profile. Les commentateurs spéculent en permanence sur la fin de la coalition. Mais les trois éclopés qui la composent iraient au casse-pipe en cas d’élections anticipées.

Les députés SPD plaident pour une suspension du frein à la dette comme cela a été le cas durant la pandémie. Cela est autorisé dans des circonstances exceptionnelles. L’aide à l’Ukraine et les coûts des inondations justifieraient pour les sociaux-démocrates cette nouvelle exception à la règle. Les libéraux la rejettent.

Macron : "je dois réduire mon endettement" Scholz : "Je peux t'envoyer Lindner" (le ministre libéral des Finances)Macron : "je dois réduire mon endettement" Scholz : "Je peux t'envoyer Lindner" (le ministre libéral des Finances)

-service militaire light : le ministre de la Défense a présenté son projet pour recruter 5000 conscrits à partir de 2025. L’Allemagne cherche à augmenter les effectifs de son armée, mais il n’est pas question de remettre en service le bon vieux service militaire officiellement suspendu depuis 2011. A l’avenir, des questionnaires numériques seront envoyés aux jeunes de 18 ans. En fonction des préférences exprimées, 40 000 à 50 000 seraient invitées à une visite médicale avec l’objectif d’en recruter une partie pour un service de base de six mois.

-la ministre-présidente de la Rhénanie Palatinat, la sociale-démocrate Malu Dreyer, a annoncé sa démission il y a quelques jours estimant que ses “batteries ne se rechargeaient pas aussi vite que dans le passé”. Agée de 63 ans, elle passe la main deux ans avant les prochaines élections régionales pour permettre à son successeur de préparer cette échéance.

-Habeck en Chine : le ministre écologiste de l’Economie et vice-chancelier a effectué ces derniers jours une visite délicate à Pékin. Elle intervient alors que des surtaxes européennes pourraient bientôt frapper les voitures électriques made in China. Sans compromis jusqu’au 4 juillet, la commission européenne imposera jusqu’à 28% de droits de douane sur les importations chinoises alors que Pékin est accusé de fausser la concurrence. Berlin n’était pas très chaud sur ce dossier et la visite de Habeck était très attendue. Le ministre allemand a choisi un langage direct qui pourrait avoir contribué à faire bouger les partenaires à Pékin. Le ministre du commerce chinois a en tout cas téléphoné à la commissaire européenne en charge du dossier.

Et bien sûr un zeste de football

L’Allemagne a fini première de son groupe dimanche soir. Lentement mais sûrement, les Allemands s’enthousiasment pour leur équipe. Le quotidien “Bild Zeitung” qui ne fait jamais dans la dentelle est déjà aux anges et titrait jeudi dernier “Pink ! (la couleur des maillots de la Mannschaft) But ! Coupe?”

Les déclarations de Mbappé sur la situation politique en France et contre le danger de l’extrême-droite ont remporté un largé écho en Allemagne et ont été saluées largement. Le quotidien de gauche “Tageszeitung” a fait en fin de semaine du joueur français “l’homme politique de la semaine”

L’Euro 2024 est scandé à nouveau par des hits qui emballent les supporters et dont la valeur artistique est souvent sujette à caution. Les frères Bhangu, deux chauffeurs de taxis indiens qui vivent en Allemagne depuis 36 ans ont produit la mélodie la plus déjantée de la compétition. Lovely et Monty font de la musique depuis dix ans et chantent en allemand sur des sons indiens. Ils ont baptisé leur style musical “Dollywood”. Après des chansons à l’occasion du mondial de 2014, de l’Euro en France deux ans plus tard, les revoilà aux couleurs de l’Allemagne.

https://www.youtube.com/watch?v=nHjb_HbcCzk